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    Mali : Des subventions agricoles aux effets pervers

    Mali : Des subventions agricoles aux effets pervers
    Publié le
    Par
    Charles Kouassi
    Lecture 5 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    Le scandale de détournement d’engrais subventionné qui a éclaté début mai 2016 à Kita soulève des interrogations sur la pertinence et l’efficacité des subventions agricoles au Mali. Malheureusement le cas de Kita n’est pas isolé et d’autres détournements ou tentatives de détournement se sont déjà produits dans le pays, notamment à Sikasso en juillet 2014.
    Ces détournements retiennent l’attention de tous car il est question de l’utilisation des deniers publics et d’un secteur très important dans l’économie malienne. Selon les statistiques de la Banque mondiale, l’agriculture représentait près de 38% du PIB malien en 2014 et occupe plus de 75% de la population active. Vu l’importance de ce secteur, le gouvernement malien lui consacre près de 15% du budget de l’état. La subvention de l’Etat destinée à l’agriculture était de 47 milliards de FCFA en 2015, soit 20% du budget consacré au développement rural. Le gouvernement justifie ces subventions par sa volonté d’assurer l’autosuffisance et la sécurité alimentaire, et de faire de l’agriculture le moteur du développement du Mali. De plus, pour les défenseurs des subventions agricoles aux producteurs, le gouvernement malien ne pouvait pas faire autrement car les subventions versées aux agriculteurs des pays développés rendent les agriculteurs maliens non compétitifs. Selon eux, ces subventions visent aussi à lutter contre la pauvreté et à pallier l’absence de financement pour les paysans.

    Cependant, les détournements observés ces dernières années et les résultats obtenus avec ces subventions nous amènent à nous interroger sur la pertinence et efficacité des subventions agricoles au Mali. En effet, les intrants subventionnés sont souvent frauduleusement exportés, ce qui signifie que les contribuables maliens subventionnent les agriculteurs des pays voisins. Nous tenons pour preuve la saisie à la sortie de Sikasso d’un camion contenant 7,3 tonnes d’engrais détournés en partance pour le Burkina Faso en juillet 2014.

    En outre, au cours des campagnes 2008-2009 et 2009-2010, le gouvernement malien a lancé des initiatives consacrant des dépenses importantes à la subvention d’intrants et de semences, mais aussi à des équipements de production et de transformation, au renforcement de la vulgarisation et à la participation publique (par l’OPAM) à la commercialisation de certains produits. Ces initiatives avaient pour objectif de faire du Mali une puissance agricole régionale en augmentant la production céréalière de 3,6 millions de tonnes en 2007 à 10 millions de tonnes en 2012. Mais les statistiques indiquent que la production céréalière était de 5.777.729 tonnes au cours de la campagne 2011-2012. Soit à peine la moitié de l’objectif visé. Du reste, une étude de l’OCDE de 2008 a conclu que la forte croissance de la production agricole réelle ne s’est pas traduite par une augmentation des revenus agricoles. Il n’y a eu aucun impact sur le recul de la pauvreté. En conséquence, ces subventions ont montré leur inefficacité, ce n’est pas une solution viable à long terme.

    Par ailleurs, ces programmes de subventions peuvent représenter un obstacle à l’investissement dans le secteur des engrais. Bien plus, elles créent une dépendance des agriculteurs vis-à-vis de l’Etat et elles peuvent les encourager à gaspiller les intrants qu’ils reçoivent. De surcroit, les ressources consacrées aux subventions ont un coût de renonciation élevé, par exemple en termes d’investissements sacrifiés dans le domaine de la santé, de l’éducation et de l’expansion d’autres secteurs de l’économie.

    Au plan macroéconomique, l’impact des subventions sur la croissance économique peut être négatif. En effet, des taux de subvention très élevés dégradent le déficit public et le solde extérieur. En 2016 le déficit budgétaire du Mali est estimé à 174 milliards de FCFA. Il est donc nécessaire de concilier l’efficacité de la subvention et la préservation d’un cadre macroéconomique sain. Vu que le Mali dépend beaucoup de l’aide extérieure, en rendant l’agriculture dépendante du budget de l’état, le gouvernement malien expose son agriculture aux chocs extérieurs. Enfin, l’absence de suivi-évaluation des subventions agricoles accordées aux agriculteurs maliens ne permet pas de tirer les leçons de cette politique. Dans ces conditions, il est clair que les erreurs du passé seront reproduites.

    Au terme de cette analyse, il est bon de retenir que les subventions peuvent pallier des crises à court terme mais sont très onéreuses à long terme et peuvent engendrer des mesures de rétorsion de la part des partenaires extérieurs qui produisent les mêmes produits. Cela dit, les subventions doivent être circonscrites dans le temps, ciblées et conditionnelles. Ensuite, une réforme des systèmes bancaire et financier est indispensable pour offrir des produits adaptés à la demande des agriculteurs. Il s’agit d’offrir aux producteurs des produits comme la location-vente (ou leasing) qui est inspirée du crédit-bail, le « crédit-stockage » ou warrant agricole, les associations et sociétés de caution mutuelle, l’assurance-récolte, etc.

    Bref, à la place des subventions, un accompagnement du gouvernement à travers la réforme foncière, l’investissement dans les infrastructures de transport, d’entreposage et de stockage et la suppression des droits de douane sur les importations d’équipements agricoles sont indispensables. Ces mesures vont faciliter la diffusion de la mécanisation qui est gage de productivité et de rendement. Des investissements dans la formation du capital humain spécialisé en agriculture, l’aide des agriculteurs dans la prospection des marchés et l’accès aux débouchés étrangers sont indispensables. Enfin, en lieu et place des subventions des intrants, le gouvernement malien gagnerait à favoriser la concurrence au niveau de la production des intrants et des semences pour faire baisser les prix de vente des intrants et des semences aux agriculteurs.

    KRAMO Germain, chercheur associé au CIRES – Côte d’Ivoire
    Article publié en collaboration avec Libre Afrique

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