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Chronique du lundi – l’économie de la Côte d’Ivoire : forces et faiblesses / bilan et perspectives

Chronique du lundi – l’économie de la Côte d’Ivoire : forces et faiblesses / bilan et perspectives
Publié le
Par
Christian Gambotti
Lecture 6 minutes

Il est toujours difficile de mesurer l’état réel de l’économie d’un pays. Les indices négatifs viennent annuler les indices positifs. Si l’on prend la Côte d’Ivoire, les performances macroéconomiques montrent, selon l’agence de notation Bloomfield (1), que « la Côte d’Ivoire est l’un des pays les plus performants d’Afrique, avec un taux de croissance attendu à 7 % en 2023 ». Indice négatif : moins de 10 % des actifs subissent l’intégralité de la pression fiscale dans une économie à près de 90 % informelle, ce qui oblige l’État à s’endetter, les recettes fiscales étant insuffisantes. Or, tout endettement public représente une menace. Le service de la dette (paiement des intérêts) risque de devenir de plus en plus lourd pour le budget de l’État. Selon Bloomfiels, « le service de la dette par rapport aux recettes fiscales est en hausse de 68 % et devient une inquiétude à surveiller à court et moyen terme ».

La grille de lecture de l’économie ivoirienne par l’agence de notation Bloomfield 

Le 25 avril 2024, l’agence Bloomfield a organisé, à Abidjan l’une de ses fameuses conférences « Risque pays » consacrée à la Côte d’Ivoire. Ces conférences, plutôt discrètes, sont très attendues par les investisseurs, car elles permettent d’évaluer l’état des économies nationales et mesurer les « risques investissement » ; elles sont attendues aussi par les gouvernements qui peuvent y voir une légitimation des politiques qu’ils conduisent ou des éléments pour infléchir les grandes orientations des politiques publiques. 

De façon très pédagogique, Bloomfield propose une analyse globale qui intègre les indices positifs et les indices négatifs. La balance entre le positif et le négatif permet d’évaluer le « risque pays ». 

●Analyse globale : « la Côte d’Ivoire est l’un des pays les plus performants d’Afrique ».

● Indices positifs qui montrent la force de l’économie ivoirienne : le taux de croissance élevé et soutenu, la résilience de l’économie ivoirienne malgré les « chocs exogènes » (Covid et guerre en Ukraine), etc.

● Indices négatifs qui traduisent la faiblesse de l’économie ivoirienne : dépendance à l’endettement (« un risque à surveiller »), vulnérabilité de l’agriculture aux changements climatiques, lenteur de l’industrialisation, etc.

● Résultat de la balance : l’agence de notation panafricaine Bloomfield Investment Corporation, qui attribue à la Côte d’Ivoire une note de 6,6 sur 10,  recommande d’investir dans le pays.

La Côte d’Ivoire, économie performante et stabilité politique

Depuis 2011, et personne ne le conteste, la Côte d’Ivoire est solidement installée sur la trajectoire d’un développement économique et social durable. Elle possède tous les atouts pour maintenir sa croissance sur le long terme. L’agence Bloomfield, qui reconnaît les très bons résultats obtenus sous la gouvernance Ouattara depuis 2011, n’en disconvient pas. Ces bons résultats s’expliquent par les performances des finances publiques avec des recettes budgétaires en hausse, les progrès de l’industrialisation, la bonne tenue de l’activité extractive, le maintien de l’agriculture (l’économie ivoirienne est principalement agricole), un climat des affaires amélioré avec des progrès dans la lutte contre la corruption, un endettement total situé en septembre 2023 à 55,9 % du PIB (très en-dessous du seuil critique de 70 % du PIB), une situation sécuritaire contrôlée et un climat politique devenu «  majoritairement stable ». 

On peut supposer que l’économie ivoirienne sera de plus en plus performante pour deux raisons : le pays bénéficie de la confiance des bailleurs de fonds (FMI et Banque mondiale) et la découverte de  gisements de pétrole et de gaz. Signe de la confiance des bailleurs de fonds, alors que le financement des économies africaines se réduit, le FMI, qui voit la Côte d’Ivoire comme un des pays les plus dynamiques d’Afrique de l’Ouest, avait validé, en février 2024, un programme de prêts de 1,3 milliard de dollars pour le pays. Quant à l’exploitation des énergies fossiles (2), la découverte des méga-gisements Baleine et Calao fait « entrer la Côte d’Ivoire dans la catégorie des grands producteurs d’hydrocarbures », selon Bloomfield. Parallèlement au développement économique, la stabilité politique est devenue une réalité palpable.

Les vulnérabilités de l’économie ivoirienne

Si la Côte d’Ivoire connaît, depuis 2011, un redressement spectaculaire, les défis qu’elle doit relever sont immenses. Dans le domaine des finances publiques, les recettes budgétaires restent insuffisantes et le service de la dette publique représente « une inquiétude à surveiller ». Si l’on prend la création des richesses, 5 % de multinationales installées en Côte d’Ivoire génèrent 80 % de la richesse du pays, un danger en cas de crise. L’industrialisation est trop lente et l’écosystème des services reste fragile. Si l’on prend l’agriculture, fer de lance de l’économie ivoirienne, sa vulnérabilité aux effets du changement climatique devrait, selon les projections du gouvernement, faire perdre à la Côte d’Ivoire 3 à 4,5 % de son PIB par an sur la période 2020-2030. Pour Bloomfield, si l’économie ivoirienne est devenue performante, elle reste inégalitaire et très peu inclusive, ce que montre la dégradation du niveau de développement humain. 

Selon les chiffres, la Côte d’Ivoire est passée de la catégorie des pays à développement humain modéré à celle des pays à développement humain faible (l’économie informelle, une économie de survie, fournit 90% des emplois, des pans entiers de la population n’ont pas accès aux services de base, notamment la santé). Si la situation sécuritaire semble sous contrôle, Bloomfield note « quelques inquiétudes concernant les risques dans le Nord » avec la menace terroriste. Autre risque, le retour de l’instabilité politique avec l’élection présidentielle de 2025. L’histoire du pays montre que les performances de l’économie ivoirienne dépendent de la situation politique à l’approche du vote et du résultat des urnes. 

État failli entre 1993 et 2010 avec des pans entiers de son économie ruinés et une forte instabilité politique, la Côte d’Ivoire a su, depuis 2011, se réinventer pour devenir un modèle de développement économique. Alassane Ouattara est certes un homme politique qui a su bâtir une trajectoire d’accession au pouvoir, mais il est aussi un solide économiste (3) ayant travaillé au FMI et à la BCEAO (Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Arrivé au pouvoir, il se fixe trois objectifs : assainir les finances publiques, investir massivement dans les infrastructures économiques et retrouver la confiance des bailleurs de fonds. Mission accomplie, semble dire l’agence de notation Bloomfield. Si le bilan est bon, en politique comme en économie, rien n’est jamais acquis de façon définitive.

__________________________

(1) Après une carrière aux Etats-Unis dans le secteur de l’évaluation des risques, notamment à la Banque mondiale, Stanislas Zézé retourne en Côte d’Ivoire, où il crée, en 2017, Bloomfield Investment Corporation, une agence de notation financière dont il est le président. Les analyses de Bloomfield font autorité dans le monde des affaires.

(2) Dans une précédente chronique, (Chronique du Lundi 15 avril 2024), j’avais écrit que personne ne peut s’arroger, dans la communauté internationale, le droit de demander aux Etats africains de renoncer à exploiter leurs énergies fossiles.

(3) Il n’est pas étonnant que son Vice-président soit un économiste.

Christian GAMBOTTI –  Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Directeur général de l’Université de l’Atlantique- Directeur du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone – Essayiste, chroniqueur, politologue, géopoliticien – Contact : cg@afriquepartage.org

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