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Chronique du lundi- l’archipel des Comores accède a la présidence de l’Union Africaine

Chronique du lundi- l’archipel des Comores accède a la présidence de l’Union Africaine
Publié le
Par
Christian Gambotti
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Azali Assoumani, le Président de l’Union des Comores, est devenu, le samedi 18 février 2023, le nouveau président en exercice de l’Union africaine (UA). Jusqu’à présent, la présidence tournante de l’Union Africaine était réservée aux « grandes » nations africaines. Comment expliquer qu’un pays insulaire, de moins d’un million d’habitants et dont le poids économique et diplomatique est si faible, puisse accéder à un tel niveau de responsabilité ? 

On oublie qu’en 2022, Malte, un archipel du centre de la Méditerranée qui comptait, en 2021, 520 000 habitants, a présidé l’Union Européenne, une présidence réussie selon les observateurs. Les 27 États membres de l’Union Européenne possèdent tous les mêmes droits. Il en est de même dans l’Union Africaine.

Dans le discours qu’il a prononcé, lors de la 36ème Session Ordinaire de l’Union Africaine, S.E. Azali Assoumani a déclaré : « Je voudrais, ensuite, adresser, avec beaucoup d’émotion, mes très sincères remerciements, aux membres du Bureau de l’Union Africaine qui viennent de faire un grand honneur à mon pays, l’Union des Comores, en lui confiant, et ce pour la première fois de son histoire, les destinées de notre Organisation continentale. Je remercie, en outre, mes Chers Collègues, Frères et Sœurs des pays d’Afrique de l’Est pour avoir soutenu ma candidature à cette noble fonction et plus particulièrement Mon Cher Frère, le Président William RUTO qui a eu l’élégance de retirer la candidature de son beau pays, le Kenya, à ce poste, ce qui permet, aujourd’hui, l’accession historique de l’Union des Comores à cette noble fonction. J’ai d’autant plus conscience de cet honneur que mon pays, incarnation même d’un Etat Insulaire en développement, n’a accédé que tardivement à l’indépendance, avec une superficie très réduite et une population de moins d’un million d’habitants. » 

De son côté, Youssouf Assoumani, l’ambassadeur comorien auprès de l’UA, a déclaré : « Nous démontrons à travers cette position que les îles africaines ont toute leur place et légitimité au sein des affaires du continent. » 

Dans le discours qu’il a prononcé, le président Azali Assoumani coche toutes les cases de la feuille de route d’une présidence réussie. Convaincu qu’aucun État africain ne peut avancer seul et que le continent doit apporter des réponses africaines aux défis qu’il doit relever, il se propose d’accélérer la mise en œuvre de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECAf). 

Point positif pour la France et l’Occident, il ne compte pas renoncer à l’appui technique et financier des partenaires traditionnels de l’Afrique (FMI, Banque Mondiale, Union Européenne, mais aussi accords bilatéraux).

L’appui de Paris.  

Au cours de ces trois dernières années, le chef de l’État comorien, Azali Assoumani, a été reçu cinq fois à l’Élysée. Il existe entre Paris et Moroni, malgré la question de Mayotte, une relation de confiance. Lors de son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies en septembre dernier, le président Assoumani a rappelé « le caractère comorien de l’île de Mayotte ». 

La Russie est immédiatement venue au secours des Comores en rappelant que l’ONU, dans une vingtaine de résolutions non contraignantes, a demandé la restitution de Mayotte aux Comores. Mayotte, de son côté, à travers deux référendums, a choisi de rester française. 

Les Comores se retrouvent ainsi au cœur des luttes d’influences qui se déroulent sur le continent. Soucieuse de ménager politiquement Moroni et permettre aux Comores de se développer, la France a choisi d’investir massivement dans l’archipel. 150 millions d’euros vont être injectés, sur trois ans, dans l’économie comorienne par l’Agence Française de développement (AFD). 

Le budget de 1,4 million d’euros de la Commission de l’océan Indien (COI), une plate-forme de coopération régionale, est financé à 40 % par la France qui ne s’est engagé dans la COI qu’au titre de l’île de La Réunion, excluant Mayotte.

Pour Emmanuel Macron, l’Océan indien devient le symbole de la maritimisation des conflits. Il s’y joue, notamment sur les côtes et autour des îles africaines, de nouvelles dynamiques contemporaines où s’entremêlent, de façon complexe, rivalités et coopérations. C’est donc une nouvelle architecture de sécurité qu’il faut imaginer dans l’Océan indien, zone de conflictualité où s’exacerbe la rivalité entre l’Occident collectif et le Sud pluriel. 

À terme, ce qui se dessine, c’est donc une nouvelle géopolitique des Océans. Pour Paris, la Commission de l’Océan Indien (COI), avec l’Union des Comores, Madagascar, l’Île Maurice, les Comores et les Seychelles occupe une place stratégique, à la fois comme puissance médiatrice et stabilisatrice, et comme voie maritime essentielle au commerce mondial. 

En choisissant de se tourner vers l’Est de l’Afrique, la France entend rester  un acteur majeur au sein de la COI, afin de préserver ses intérêts économiques et géopolitiques dans une zone où les îles et les archipels voient leur espace maritime contesté par des puissances qui veulent étendre leur ZEE (1).  Au XIXè siècle, Alfred Thayer Mahan, un officier de la marine américaine, déclarait : « la puissance qui dominera l’océan indien contrôlera l’Asie et l’avenir du monde se jouera dans ses eaux. » (1) Au-delà des risques réels de conflictualité, tout se joue en termes d’influence.

C’est justement pour consolider son influence dans cette zone que la France a milité pour une présidence comorienne de l’Union Africaine. Macron a obtenu du Kenya, une véritable puissance régionale, qu’il retire sa candidature, afin de laisser le champ libre au président comorien, Azzali Assoumani. Deux raisons ont poussé Paris à soutenir l’archipel : Assoumani a condamné ouvertement l’invasion russe de l’Ukraine ; les Comores peuvent jouer un rôle de médiateur au Sahel entre la France et le Mali. 

De plus en plus, les Comores déploient une diplomatie proactive. La présidence de l’Union Africaine donne à Assoumami un statut et une visibilité qui lui permettent de jouer ce rôle. Azzali Assoumani fait partie d’une délégation africaine qui vient de se rendre à Kiev et qui a rencontré Poutine au Forum économique de Saint-Pétersbourg, qui s’est tenu du 14 au 17 juin 2023. Zelensky a dit non à la médiation africaine. Le plan de paix de cette délégation a aussi été rejeté par Poutine, dont l’intérêt, pour des raisons de politique intérieure et de politique étrangère, est de conduire une « guerre perpétuelle » en Ukraine. 

Le plan de paix proposé par la délégation africaine n’avait aucune chance d’aboutir. Là n’est pas l’essentiel. En réalité, cette démarche montre la volonté de l’Afrique de se faire entendre et  jouer, sur la scène internationale, un rôle de plus en plus important. En surplomb du déplacement de la délégation africaine à Kiev et à Saint-Pétersbourg, se profile le sommet des BRICS qui se tiendra en Afrique du Sud à l’automne. Le président sud-africain Cyril Ramaphosa, qui tient à faire de son pays la première puissance en Afrique, ne prévoit pas de s’aligner unilatéralement, c’est-à-dire sans réciprocité, sur Moscou ou Pékin, des alliés certes incontournables, mais qui s’inscrivent dans un jeu d’alliances au service des intérêts de son pays (la Russie pour l’énergie et l’armement, la Chine pour les investissements).

Cette présidence comorienne, qui s’affirme non-partisane, mais qui ne cultive pas la fausse naïveté du non-alignement, est une présidence engagée, point d’équilibre entre le Sud et l’Occident. Je note, dans le discours prononcé par le Président Assoumani, lors de la 36ème session ordinaire de l’UA, trois axes particulièrement forts : a) la volonté de ne pas couper l’Afrique de l’Occident et des bailleurs de fonds internationaux (FMI, Banque Mondiale, Union Européenne) b) la volonté de poursuivre le plaidoyer en faveur des États insulaires africains, sachant que l’Afrique dispose de 26.000 kilomètres de littoral (3) c) la volonté d’atteler l’Afrique avec plus de force et d’engagement à la question climatique.

Corriger une image négative

L’image actuelle des Comores est négative. Elle correspond à l’idée que l’on se fait des micro-États les plus pauvres, dont la base économique reste très étroite et qui ont subi, avec plus de force, l’impact négatif des crises successives (cyclone Kenneth, Covid-19, guerre en Ukraine). La Banque mondiale vient d’accorder un appui de 30 millions de dollars à l’Union des Comores afin de renforcer la résilience des populations les plus pauvres  à la crise alimentaire. 

La présidence de l’Union Africaine, si le Président Assoumani en utilise tous les leviers, offre aux Comores un bouclier protecteur. Décrété voix de l’Afrique, Assoumani doit conduire une diplomatie proactive au service de l’Afrique et des Comores. Nul doute qu’il sera courtisé par les alliés traditionnels de l’Afrique et des Comores et leurs « nouveaux amis ». Mais, les seules boussoles qu’il doit suivre sont : a) celle de la défense et la promotion des intérêts du continent b) celle du développement des Comores en lien avec la mise en œuvre de la ZLECAf dans les Etats insulaires et sur le littoral africain.

_________________________________

(1) ZEE : une ZEE, une Zone Economique Exclusive, est une bande de mer ou d’océan située entre les eaux territoriales et les eaux internationales. Les Etats-Unis possèdent la plus grande ZEE du monde (11,3 millions de km2), devant la France (10,2 millions de km2, dont 97 % d’Outremer).

(2)  Il faut ajouter à ce que disait Alfred Thayer Mahan, le propos du président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, qui déclarait : « Qui possèdera l’Afrique, possèdera le monde, car l’Afrique détient toutes les richesses du monde. » Il n’est plus question de puissance impérialiste qui s’approprie des territoires par la conquête militaire, ni de néocolonialisme qui asservit les Etats, mais de coopération, c’est-à-dire des accords gagnant-gagnant (win-win en anglais)

(3)L’idée a longtemps prévalu que l’Afrique, essentiellement agraire et rurale, tournait le dos à la mer. Ce n’est plus le cas. Le littoral africain concentre désormais tous les enjeux géoéconomiques, géopolitiques et géostratégiques contemporains. Indépendant depuis 1975, le jeune Etat comorien, par sa position stratégique le long de la côte africaine, doit, tout au long du XXIè siècle, bâtir une politique maritime et océanique dans une zone de conflictualité de haute intensité.

Christian GAMBOTTI –  Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact: cg@afriquepartage.org

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