Les essais cliniques représentent jusqu’à 40% des coûts de production d’un médicament et les laboratoires cherchent à les réduire en les délocalisant vers des pays à bas coûts. L’Afrique est devenue un terreau fertile pour des essais clandestins. Selon le dernier rapport de Public Eye paru à Genève fin 2016, cette pratique de délocalisation massive est inquiétante à plus d’un titre : Il s’agit de la délocalisation des risques et non de tout ou partie des entreprises. Le consentement informé des cobayes est-il recueilli ? La valorisation locale des résultats obtenus est-elle assurée? Les protocoles suivis sont-ils scientifiquement valides? Les comités d’éthique en Afrique ne sont-ils pas corrompus?
Contexte
Depuis 1985, des essais cliniques (clandestins) sont florissants en Afrique. Au début, ils concernaient essentiellement les maladies tropicales (méningite, filarioses, paludisme, sérum antivenimeux, etc.). Mais depuis les années 2000, ils concernent à 60% les maladies chroniques (diabète, maladies cardiovasculaires, maladies neurodégénératives, cancers, etc.) dont les traitements sont longs, onéreux et au-dessus de la bourse des Africains moyens. Selon Ayman Sabae de l’ONG Egyptian Initiative for Personal Rights, 73% des soins en Egypte sont payés directement par les patients eux-mêmes, ce qui réduit leurs capacités à se payer des traitements coûteux. L’Afrique est devenue l’un des champs d’expérimentation des médicaments commercialisés dans les pays développés. Selon Public Eye, environ 40% des essais de médicaments sont réalisés dans les pays du Sud aujourd’hui. Depuis 1992 aux Etats-Unis par exemple, la Food and Drug Administration (FDA) accepte les demandes d’homologation de nouveaux produits en échange d’une participation financière des laboratoires. Ainsi, les laboratoires (Novartis, Roche, Sanofi, Merck, Aventis, Cardialpha, GSK, etc.) vont vers le Sud où ils trouvent une population nombreuse et plus docile, ainsi que des contraintes éthiques et juridiques moins rigoureuses. En 2006, GSK avait réalisé plus de la moitié de ses tests thérapeutiques dans les pays à bas coûts dont la Zambie. Il s’agit d’une inquiétante délocalisation des risques en lieu et place d’une extension des activités vers le Sud.
Responsabilités partagées
Plusieurs parties prenantes participent à ce scandale (tests clandestins). Il s’agit d’abord des pays d’origine de ces laboratoires qui disposent pourtant des réglementations contraignantes mais, qui feignent d’ignorer les réalités. En Suisse, le régulateur Swissmedic reconnaît sa difficulté à inspecter les études cliniques menées à l’étranger mais, il les valide quand même au titre du «Good Clinical Practices [bonnes pratiques cliniques]» (GCP), ce qui est curieux. L’on a ensuite des complicités locales dans l’appareil de l’Etat. Au-delà de la corruption, il y aurait une sorte de deal implicite : les pharmas injectent un peu d’argent dans le circuit, peut-être des promesses d’implantation et donc des emplois sur la balance, et en échange le gouvernement et les autorités de contrôle quand elles existent ferment les yeux. Par ailleurs, ces essais posent des problèmes d’ordre méthodologique dans la mesure où les échantillons ne sont pas représentatifs ; les contextes d’expérimentation sont différents des contextes d’utilisation. Pis, ils profitent des faiblesses d’ordre institutionnel pour se passer de la rigueur scientifique nécessaire pour leur généralisation. Par exemple, les périodes d’expérimentation sont de plus en plus courtes (manquements dans les procédures de validation) et les risques sont de moins en moins contrôlés (effets secondaires et placebo) lorsque les conditions d’indemnisation sont peu claires. De façon générale, les capacités de contrôle sont moindres en Afrique et la dépendance financière aux laboratoires biaise les résultats. De plus, des difficultés d’ordre culturel (langue et croyance locales) et socio-économique affectent le bon déroulement des recherches. Il est économiquement intéressant pour un laboratoire de faire ses essais en Afrique pour payer 10 fois moins qu’en Europe. La misère et l’absence d’opportunités poussent les patients africains ou leurs familles à participer à ces essais cliniques douteux.
Quelques scandales
L’un des scandales les plus retentissants est celui des essais cliniques du Trovan au Nigéria mettant en cause le laboratoire Pfizer et les responsables politiques corrompus. En effet, le laboratoire avait profité en 1996 d’une épidémie de méningite ayant fait plus de 15000 victimes au nord du Nigéria pour organiser, en 3 semaines, un test comparatif du Trovan (un antibiotique encore jamais testé par voie orale chez l’enfant). Malheureusement, des décès et des lésions graves avaient été observés. En fin 2000, le scandale du Trovan est révélé et les victimes ainsi que l’Etat nigérian ont porté plainte contre Pfizer. Et pour cause, les parents nigérians ne savaient pas que leurs enfants atteints de méningite étaient enrôlés par Pfizer dans un essai à risques alors qu’ils pouvaient être soignés à proximité par Médecins Sans Frontières (plus de 30 000 malades traités en 3 mois et près de 3 millions de personnes vaccinées). Pfizer avait violé la réglementation internationale des essais cliniques qui prévoit, dans le cadre des bonnes pratiques, un consentement éclairé et écrit du patient. Comme au Nigéria, d’autres pays comme le Cameroun ont connu des scandales avec l’essai d’Ivermectine contre l’onchocercose ou l’essai du Tenofovir pour la prévention du sida. D’autres rejets ou interruption d’essais ont été causés par l’utilisation d’un placebo, le mauvais tirage au sort des sujets ou des confusions sur l’objectif même de l’essai (méningite au Niger).
Que faire ?
La grande responsabilité incombe aux pays d’origine qui ont les moyens de faire pression sur leurs multinationales. Ainsi, les régulateurs occidentaux devraient être plus regardant en conditionnant l’octroi des autorisations de mise sur le marché au respect de la pertinence scientifique de l’essai clinique, la protection des populations vulnérables, le recueil du consentement des patients ou la valorisation locale des résultats. Côté africain, il est urgent d’établir des cadres réglementaires en matière d’essai clinique et des comités d’éthique moins ambigus, plus fonctionnels et dont la composition est plus équilibrée et plus représentative. Il convient surtout de mettre ces comités en réseau pour assurer un meilleur partage d’expériences et une meilleure coordination des essais transnationaux. Le renforcement des capacités des chercheurs africains en investigation clinique serait aussi souhaitable dans le cadre d’une approche participative.
Louis-Marie Kakdeu, PhD& MPA.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.