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Sos d’une fille de ménage “kidnappée” après l’attaque d’une gendarmerie (Côte d’Ivoire)

Sos d’une fille de ménage “kidnappée” après l’attaque d’une gendarmerie (Côte d’Ivoire)
Publié le
Par
Charles Kouassi
Lecture 8 minutes

Dans la nuit du lundi 20 au mardi 21 février 2017, un commando armé avait attaqué la brigade de gendarmerie de Bingerville, une banlieue, au sud-est d’Abidjan. Il n’y avait eu aucun mort. Les assaillants avaient emporté, ce jour-là, hormis les armes, un téléphone ; celui d’un gendarme sûrement. De ce téléphone, un jeune homme a appelé le 23 février 2017, deux jours plus tard, Bossé Dago Mélanie, servante chez un Libanais, une jeune fille qu’il draguait. La police, ayant tracé l’appel, retrouve la jeune fille. Il n’en fallait pas plus pour que sa vie bascule. Afrikipresse l’a retrouvée à la Maca (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan).

Effarée, les yeux hagards (on peut se permettre la redondance) d’où on peut voir que le noir est encore plus noir, et le blanc encore plus blanc, vêtue d’une robe à fond bleu, la jeune dame semblait chercher dans ce parloir bondé de monde celui qui l’avait demandé en visite. À peine me reconnût-elle, l’esprit certainement un peu troublé par ces 9 semaines de détention. À ma vue, elle est un peu hésitante. « Bonjour. C’est vous qui m’avez demandé ? ».

Je souris, lui tends la main et fais le signe de la tête qui va avec pour dire qu’effectivement c’était moi qui l’avait fait venir humer ce petit bol d’air de liberté; sans manquer d’étouffer en moi la petite larme qui a failli trahir ma grande émotion devant le trou de mémoire qu’elle manifestait déjà.

2 mois seulement avaient-ils suffi pour lui faire oublier des gens qu’elle avait côtoyé dans le monde libre (sic !) ?
Je dus donc me (re) présenter : « F… ».

« On dit quoi El Capo ? (un surnom à moi donné sous d’autres cieux), s’écrie-t-elle. « Comment tu vas ma petite ? », lui lançai-je. « Ça va oh ! Hum ! », me répondit-elle. « Dans quel coup ? », essayai-je de comprendre.

Et, elle de raconter ce qui lui est arrivé, comme une histoire apprise par cœur, tellement elle l’avait racontée : 4 fois devant les juges , n fois à la police, mais aussi chaque fois que quelqu’un lui rend visite.

« Le 24 février 2017, assise chez moi en compagnie de mes sœurs, je reçois un coup de fil. Un homme, à l’autre bout, se présente comme un de mes prétendants. Je ne le reconnais ni à travers le nom qu’il me donne, ni à travers sa voix. Je le lui fais remarquer. Mais, il insiste. Selon lui, on se serait rencontré à Yopougon, un quartier que, bien évidemment, je fréquente pour y avoir des parents. Dans le doute, il propose que nous nous rencontrions. Et que cela pourrait faire revenir son souvenir en moi. Toute chose que j’accepte au bout de mille et une insistances de sa part. J’habite le quartier de Marcory, dans le secteur du stade Champroux. Je lui donne alors rendez-vous dans les parages, devant l’immeuble “Bon Samaritain”. Une fois à ce lieu, il m’appelle. J’y vais avec une de mes sœurs. À sa vue, je ne le reconnais toujours pas. Mais, lui insiste. De sorte que le doute finit par me gagner. Je me dis que c’est possible, étant donné qu’il a mon numéro et mon nom. Après quelques moments de sympathie, il me propose d’aller manger dans un restaurant à Treichville, et qu’il aurait faim. Rassurée par son allure, et surtout que nous sommes en pleine journée, j’accepte de l’y accompagner. Une fois sur les lieux, nous sommes rejoints par deux autres personnes, des hommes.

À peine, ai-je voulu comprendre ce qui se passait que mon “ami” et les deux autres inconnus me sortent des cartes, me disant qu’ils sont de la police criminelle. Aie, qu’ai-je fais ? demandai-je. Mon “ami” me montre alors un numéro de téléphone et me demande si je le reconnais. Un numéro sans aucun nom. Je réponds que non. Il me rétorque que pourtant, c’est un numéro qui t’appelle souvent. À mon tour, je lui dis qu’il est vrai qu’un numéro peut vous appeler tous les jours, mais bien souvent, c’est le nom du correspondant qui s’affiche. Il me sort alors une photo d’un jeune homme et me demande si je le reconnais.

Effectivement, j’y reconnais un frère du village. Les trois hommes m’expliquent alors que ce jeune serait impliqué dans l’attaque de la brigade de gendarmerie de Bingerville le 20 février 2017, 3 jours plus tôt. Et qu’il fallait que je collabore à son arrestation après quoi, je serais libre moi-même. Ce que j’acceptai parce que j’avais très peur de me retrouver en prison. Surtout que je ne sais même pas de quoi il s’agissait. Sur leurs instructions, j’appelai alors le frère et lui donnai rendez-vous à Yopougon,au carrefour Siporex. Avec mes 3 “garde du corps” rejoints subitement par, je pense, 3 autres, nous nous rendîmes sur les lieux où ils ont mis le grappin sur le frère.

Une fois, dans les locaux de la police judiciaire, je croyais mon calvaire fini et que je pouvais tranquillement rentrer à la maison. Que non!

Les policiers décident de me garder pour nécessité d’enquête. Ils m’interrogent dans tous les sens. Mais, je ne sais rien. Le 20 février, jour de l’attaque, j’étais à la maison avec mes parents parce que mon patron libanais était en voyage (je suis servante chez un Libanais). Ils entendent tous mes parents qui confirment que j’étais bien à la maison. D’après un des leurs qui est venu m’apporter son soutien, ils ont tracé mon portable et reconnaissent qu’effectivement, ce jour-là, j’étais à Marcory Champroux. Pourquoi continuaient-ils donc de me garder ? Je n’en sais rien!

Deux semaines après, on nous (le frère qui était dans un état bien amoché et moi) envoie à la DST (Direction de la surveillance du territoire, ndlr).

Là, on me pose les mêmes questions. Je raconte la même histoire, évidemment avec quelques trous parce que bien traumatisée par tout ça. Moi, une simple servante. Un policier me sort une chose que je trouve totalement absurde. Il me dit qu’à Yopougon, on m’appelle “maman patriote”.

Vraiment des choses et des choses. (Une larme perle sur sa joue gauche).
El Capo, je ne comprends pas ce qui m’arrive. ( lance-t-elle entre deux sanglots avant de continuer) . J’ai passé deux semaines à la DST. Depuis le 20 mars, j’ai été emmenée à la MACA (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, ndlr). Je suis au bâtiment A pour atteinte à la sureté de l’État.

Jeudi 27 avril, cela faisait la quatrième fois que je suis auditionnée par un juge. Et ce jeudi-là, il y a une confrontation avec deux des gendarmes qui étaient sur les lieux à Bingerville. Ils disent ne pas me connaître. Et que la jeune dame qui les avaient distraits lors de l’attaque porterait des dreads. Mais, je suis encore maintenu ici (Maca, ndlr) et je me demande pourquoi. »

Après l’avoir écoutée, nous avons joint son avocat. Très amer, il dit au bout du fil : « c’est un kidnapping. Et il faut que cela s’arrête. La jeune dame que nous tous nous voyons là, est une simple servante. Qu’on soit sérieux ! Cependant, je n’en dirai pas plus. Je vais déposer une demande de liberté d’ici jeudi prochain (nous étions samedi 29 avril). Et apprécier la suite qu’en donneront les juges ».

Au tribunal dans les locaux du 10ème cabinet du juge d’instruction où nous sommes rendus pour avoir l’autorisation de la rencontrer, les personnes avec qui nous avons parlé, ne semblent pas comprendre comment c’est possible qu’elle soit citée dans une affaire aussi grande. Elles sont convaincues qu’elle sera libre et que ce sont juste des formalités.
En attendant, cela fait près de deux mois, sans compter le mois passé entre la Police criminelle et la DST, que Bossé Dago Mélanie, servante chez un Libanais, est en train de s’affadir à la MACA.

Chris Monsékéla

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