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    Retour en force de l’ivoirien ancien contre l’ivoirien nouveau ou petit tour des réactions pro-Gbagbo, pro-Ouattara après le 1er Mai

    Retour en force de l’ivoirien ancien contre l’ivoirien nouveau ou petit tour des réactions pro-Gbagbo, pro-Ouattara après le 1er Mai
    Publié le
    Par
    Charles Kouassi
    Lecture 13 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    Ci-dessous deux analyses, l’une de Wakili Alafé journaliste ivoirien, et l’autre de Christian Gambotti, éditorialiste français publiées dans le quotidien ivoirien l’Intelligent d’Abidjan. Les deux abordent sous un prisme différent et en apparence contradictoire, la question des obstacles à l’émergence, la bataille entre l’ordre ancien et l’ordre nouveau, entre l’ivoirien nouveau et l’ivoirien ancien, à la suite des récentes décisions prises le 1er mai 2016 par le chef de l’État ivoirien suite à la fronde sociale, en cours. Le débat reste ouvert.

    1-LA PEUR DU RETOUR EN FORCE DE L’IVOIRIEN ANCIEN PEUT POUSSER À L’IMMOBILISME AUTOUR DE OUATTARA

    Soixante douze heures plus tard, qu’est ce qui a changé après les mesures annoncées le 1er mai chef de l’État ivoirien ?

    Les titulaires du permis de conduire catégorie B économiseront désormais 10 mille francs CFA. Jusqu’à nouvel ordre, ils ne renouvelleront plus leur permis de conduire. On peut les estimer à 500 mille personnes environ. Cela fait une économie de 5 milliards de FCFA pour les citoyens concernés, et un déficit immédiat à combler sur le long terme, au delà du 31 décembre 2016 souhaité précédemment.

    Par rapport aux enjeux du développement et de l’émergence avec notamment les 30 mille milliards de FCFA que le pays mobilise pour le PND 2016-2020, il s’agissait bien d’un montant fort dérisoire qui ne méritait assurément par que le président Ouattara, passe son temps à entrer dans la pédagogie sur les enjeux et sur la pertinence de la réforme engagée depuis deux ans dans le secteur des transports.

    Pendant ce temps, les titulaires des permis de catégorie C,D et E qui font régulièrement tous les 5 ans une visite médicale pour proroger la validité de leur permis finiront bien par se soumettre à terme au renouvellement. Ceux qui détiennent des permis B, mais qui les auraient perdus, n’échapperont pas au renouvellement, qui se fait désormais à 10 mille, au lieu de 25 mille francs précédemment. Progressivement un seul type de permis de conduire devra exister dans le pays, au lieu de trois en ce moment.

    Au niveau des factures d’électricité, les hausses allant de mille FCFA, dix mille FCFA pour les plus petits foyers à environ 500 mille ou même un million pour les plus nanties seront remboursées.

    Mais quid des entreprises qui se plaignent du coût aussi élevé de l’électricité, qui vivent un véritable drame silencieux sur la question depuis plusieurs mois ? Une entreprise exerçant dans les mines a vu sa facture augmenter de 2 milliards de FCFA en une seule année.

    Pendant ce temps également, les réflexions se poursuivent pour actualiser les textes au niveau de la douane concernant le montant minimal pour dédouaner les marchandises qui entrent sous couvert d’effets personnels ; des discussions également pour engager le dialogue avec les transporteurs afin de parvenir à une réduction du coût dans les transports.

    Même si des réticences existent à ce niveau chez les transporteurs, parce que les consommateurs pourraient refuser de subir une augmentation des prix lorsque sur le marché le coût du carburant repassera à la hausse, l’optimisme reste de mise.

    En apparence, tout le monde il est beau, tout le monde il est content !

    La réalité n’est-elle pas tout autre ?

    D’un côté nous avons les pro-Gbagbo classique et traditionnels. Pour eux et chez eux, rien n’a changé. Leur discours anti Ouattara reste le même. Ce ne sont pas les mesures annoncées par le chef de l’État qui feront oublier ce qui est aussi essentiel à leurs eux, que la question sociale et la baisse des factures d’électricité, la suspension du renouvellement du permis, l’amélioration du coût de la vie : la libération de Laurent Gbagbo, de Simone Gbagbo, de Blé Goudé, des prisonniers politiques, la reprise du Fpi à Affi, le retour des exilés. Depuis 2011 ils avaient jamais voulu se laisser distraire par les ponts et route, et ce ne sont pas les décisions du 1 er Mai qui changeront leurs postures. Circulons !

    Chez les syndicalistes traditionnels, la satisfaction est partielle par rapport aux autres doléances exprimées au chef de l’État. Ils applaudissement mais ils veulent davantage. La liste de leurs revendications est fort longue, et elle va bien au delà du renouvellement des permis et des hausses de factures d’électricité.

    Chez la nouvelle société civile qui s’exprime à travers les réseaux sociaux, l’ambiance est également à une satisfaction, cependant teintée de vigilance. Les uns estiment que ça suffit, et qu’il faut passer à autre chose tout en demeurant en alerte dans le suivi des mesures ; les autres pensent qu’il faut déjà des mobilisations plus fortes sur d’autres thématiques et sur d’autres sujets d’ordre social , et surtout qu’il faut battre le fer pendant qu’il est encore chaud.

    Quelques autres fort optimistes, appellent à la faveur de cette mobilisation citoyenne, à réussir ce qui n’a pas pu l’être tout à fait, même autour de la question du soutien aux Éléphants ou de l’attentat de Bassam, le 13 Mars 2016 dernier: dépasser les clivages pro-Gbagbo et pro-Ouattara, pour n’être que pro-Côte d’Ivoire.

    Entre temps, ils se réjouissent tous d’avoir réussi selon eux à se faire entendre par le politique ; ils applaudissent cela et disent avoir gagné une bataille contre les ministres et les sociétés qui portaient les dossiers à controverses. Toutefois ils réfutent l’idée qu’orienter les gouvernants, que les interpeller et avoir de l’influence sur les décisions et sur la gouvernance soit assimilée à une tentation de vouloir gouverner à la place des dirigeants élus (le président de la République, les maires, les députés) ou nommés et désignés (les ministres, les dg et autres) à cet effet.

    Quelle est la situation au niveau du camp Ouattara et du Rhdp ? En vérité les choses sont plus complexes à ce niveau. Parmi les mécontents il y avait bien des pros Ouattara certifiés qui ont joint leurs voix, leurs claviers et leurs griefs à la colère des autres internautes.

    Ces pro-Ouattara disaient leur eux aussi mécontentement, tout en réaffirmant leur attachement au chef de l’État ivoirien.

    Leur posture, leur bonne foi et leur sincérité supposée (malgré un léger soupçon de manipulation interne sur fond d’alternance 2020 et de guerre des clans au sein du Rdr et du Rhdp autour du chef de l’État), ne sont pas étrangères à l’écoute attentive prêtées par Alassane Ouattara, au sentiment que la grogne sociale était réelle et généralisée.

    Cela dit, personne ne peut nier le fait que la grogne sociale est intervenue dans un contexte où les débats sur l’alternance 2020 avaient été déjà engagés par les noyaux durs aussi du Rdr que du Rhdp , au mépris injustifié du fait que le président Ouattara venait d’être réélu, au mépris également du fait qu’il avait un programme à appliquer, et au mépris du fait qu’il ne fallait pas perdre de vue cet essentiel : la satisfaction des préoccupations des populations. Voici à présent que la question sociale a fait revenir à la réalité tous ceux qui faisaient déjà des plans d’avenir et des Châteaux de cartes pour l’après-Ouattara , alors que nous n’étions qu’à six après sa réélection, et à plus de quatre de la fin de son mandat, sauf extraordinaire et cas de force majeure….

    Cependant cette sagesse retrouvée , cette tranquillité observée par les politiques et les noyaux durs ne semble pas bien solide, ni durable puisque certains partisans du chef de l’État ont trouvé dans cette occurrence , l’occasion de flinguer des cadres , de se positionner et d’en appeler ouvertement à des démissions de ministres, relayant des points de vue aussi bien d’opposants que de certains acteurs de la société civile disant agir par pur principe et non sur la base de considération politique.

    Officiellement tout le monde applaudit donc le chef de l’État Alassane Ouattara dans son camp, mais en dessous un malaise demeure : celui de voir la montée en puissance de l’Ivoirien ancien, l’ivoirien qui refuse l’émergence, l’ivoirien qui refuse la confiance dans ( en) ses dirigeants , qui refuse de s’émanciper par le vote, l’ivoirien ancien qui ne croit pas en la démocratie, en l’intégrité de ses dirigeants et de l’État , qui ne croit pas au pouvoir des urnes et de son bulletin de vote pour changer les choses , et qui semble toujours être dans l’attente de l’insurrection et de la déstabilisation , pour changer les choses, pour éviter le changement de mentalité, pour éviter de sortir de l’informel pour entrer dans le formel , l’ivoirien qui souhaite toujours l’impunité.

    N’est-ce pas cela que le chef de l’État a perçu dimanche dernier en consacrant une bonne partie de son message à une mise en garde contre la tentative de déstabilisation.

    À l’épreuve de cet ivoirien ancien pouvant toujours grogner et râler , pouvant même à tout moment se faire entendre par le chef de l’État sous des habits de partisans du mouvement pro-Côte d’Ivoire , fait d’un subtil , inédit et “suspect” mélange entre Adorateurs d’une part, et d’autre part cette nouvelle société civile qui dénonce en permanence des syndicats corrompus et des associations de consommateurs aux ordres, une presse et des médias fermés aux aspirations réelles et exactes des populations , sans oublier certains pro-Gbagbo reconvertis en défenseur acharnés de la cause sociale, et pas seulement la cause politique , certains collaborateurs d’Alassane Ouattara ne savent plus à quel saint se vouer.

    Ils se demandent bien comment ils doivent se tenir, comment ils doivent agir pour éviter d’être recadrés et présentés comme de mauvais élèves de la classe.

    Le risque existe d’un retour à un immobilisme réel, d’un retour à une paralysie dans l’action à cause de la peur et de la pression de la victoire de l’ivoirien ancien au détriment de l’ivoirien nouveau, celui de l’émergence.

    Il n’est pas question de demander l’impunité ni d’encourager les abus et les erreurs éventuelles de gestion, et dans l’action publique , il n’est pas question non plus de récuser le droit du chef et du leader de distribuer les bons et mauvais point savant de se retrouver face au suffrage universel pour répondre de ses actes, et décisions- même si dans son cas, Alassane Ouattara n’a plus d’élection à préparer et devrait pouvoir s’affranchir de cette hantise de tout homme politique – .

    Il s’agit plutôt d’indiquer qu’autour du président de la République, il y’a la peur d’agir, la peur de l’action, la peur de ne pas savoir s’envoyer. Et cela peut conduire à l’inaction, au détriment de l’émergence et de l’ivoirien nouveau souhaité par lui, et par la majorité, quoi qu’on dise.

    Par Wakili Alafé

    ……………………………………………………………………….

    2- LA PEUR L’IMMOBILISME ET LE RÈGNE DE L’IVOIRIEN ANCIEN AURONT-ILS RAISON DE L’ÉMERGENCE

    On parle beaucoup de croissance économique, des bons chiffres de la production, d’une Côte d’Ivoire qui attire les investisseurs. Le discours est essentiellement tourné vers l’économie. Le progrès économique est en marche en Côte d’Ivoire, c’est une réalité. Longtemps sinistrée, l’économie ivoirienne repart. Le pays est redevenu la première puissance économique de l’Afrique de l’Ouest sans avoir exploité encore tout son potentiel. Mais l’économie ne peut pas, à elle seule, constituer un projet de société et il reste beaucoup à faire dans tous les domaines.

    Il existe d’autres ressorts qui permettent d’améliorer la croissance. Parmi ces ressorts figurent la confiance, c’est-à-dire le contraire de la peur, l’esprit d’entreprise, c’est-à-dire le contraire de l’immobilisme et la projection dans le futur, c’est-à-dire le contraire de l’attentisme. Ces ressorts sont psychologiques. Ils supposent que se produisent en Côte d’Ivoire, mais aussi dans toute l’Afrique, une véritable révolution culturelle, l’édification d’une société nouvelle et d’un ivoirien nouveau.

    Dans tous les pays, et pas simplement en Afrique, la peur des réformes, de ce qui est nouveau est réelle. Les esprits ont été façonnés par la logique du « tout-État » et par le rôle prépondérant de l’administration. Le rêve des jeunes, même souvent en Europe, est de devenir fonctionnaires pour la garantie de l’emploi. Ce n’est qu’à New-York, Shanghai et peut être à Londres que la jeunesse, qui a accompli depuis longtemps cette révolution culturelle, se voit travailler dans le privé ou créer son entreprise.

    L’Ivoirien ancien reste prisonnier d’une vision figée du monde, ce qui le conduit à avoir peur de tout ce qui est nouveau, à attendre, à vouloir que rien ne change. L’ordre immuable des choses, même une administration bureaucratique, le rassure. Pourvu qu’on ne dérange pas son portefeuille. L’ivoirien ancien regarde mal et de haut l’interdiction de fumer dans les lieux. Au lieu d’aider à appliquer la loi, il s’en prend à l’État. Concernant l’interdiction du téléphone, il lui arrive de trouver à redire, tant il refuse l’effort pour parvenir à l’ivoirien nouveau de l’émergence.

    L’Ivoirien nouveau accepte le changement, s’inscrit dans cette brusque accélération de l’histoire et comprend les mutations de notre société. Il cherche à les accompagner.

    J’ose ce pléonasme : « l’immobilisme est le plus sûr moyen de ne pas avancer ». N’écrivez pas, chers lecteurs, pour me dire que j’ai dit une idiotie. Ce pléonasme est volontaire. Il traduit cette volonté que j’ai de ne pas rester assis au bord du trottoir pour regarder passer l’histoire. De toute façon, le monde change, la mondialisation nous oblige à repenser l’organisation de nos modes de production et de distribution, à libérer les initiatives, à responsabiliser les individus.

    Atteindre l’émergence en 2020, suppose de refuser la peur, l’immobilisme, l’attentisme et de perpétuer des comportements anciens.

    J’appelle de mes vœux cette révolution culturelle qui permettra à notre pays de bâtir sa propre histoire et de définir son propre parcours dans la mondialisation. Vous me dites économie, croissance, je réponds révolution culturelle.

    Premier effet de cette révolution : créer des richesses avant de les redistribuer. Pour l’Ivoirien ancien : il y a la redistribution et rien d’autre, comme pour les révolutionnaires marxistes autrefois ou pour Daesh aujourd’hui, il y a la révolution et rien d’autre. Surtout pas d’économie et de liberté.

    Mais cette révolution culturelle ne peut pas s’accomplir chez des individus isolés, livrés à eux-mêmes, sans repères et sans cap.

    Il appartient à l’État régalien de jouer son rôle pour protéger les plus fragiles, pour créer un climat favorable aux affaires. Il appartient aux banques de libérer le crédit. Il appartient à chacun, au sommet de l’État, dans les administrations, dans les institutions, – je pense à la justice en particulier – de créer les conditions pour que l’Ivoirien n’ait plus peur, pour qu’il ne se réfugie pas dans l’immobilisme et l’attentisme.

    L’émergence se construit tous les jours en renonçant à la peur, en sortant de l’immobilisme. Elle n’est possible que si cette révolution culturelle s’accomplit.

    Il appartient à l’État d’accompagner cette révolution culturelle, mais aussi aux entreprises, aux syndicats, aux banques, aux institutions, aux associations.

    Longtemps sinistrée, la Côte d’Ivoire se retrouve avec une société bloquée, hantée par la peur et le refus des réformes. La grogne sociale récente est le révélateur de cette peur. Comment échapper aux risques de la métamorphose de notre société ? Comment faire ressortir les forces et les espoirs que recèle le monde nouveau ?

    Ceux qui nous gouvernent ont une partie de la réponse. Une réponse qui ne doit cependant pas fragiliser l’action des décideurs au sein du gouvernement.

    Par Christian Gambotti

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