Tacite, célèbre historien et sénateur romain du Ier siècle après JC, avait averti: «Plus l’État est corrompu, plus les lois sont nombreuses». C’était une équation, d’un genre inhabituel, non pas basée sur un modèle mathématique ou scientifique, mais fondée sur une observation du comportement social ; ce que les études académiques postérieures ont décrit comme la science comportementale connue pour son inexactitude. La sagesse de Tacite a cependant résisté à l’épreuve des millénaires.
Comme l’aphorisme d’Acton sur les effets insidieusement corrosifs sur la psyché humaine d’une intoxication au pouvoir, l’observation de Tacite est fondée sur certaines caractéristiques humaines immuables et intemporelles. Les deux observations sont universellement vérifiables, indépendamment de l’époque ou du lieu.
Aux États-Unis, deux fois par an, des milliers de lobbyistes convergent de l’ensemble du pays vers Washington pour défendre les intérêts de différentes corporations. Ils sont à la recherche de gains divers mais surtout d’exemptions fiscales. Ainsi, toutes les spécificités qu’ils incitent à créer complexifient le code fiscal qui devient de plus en plus lourd et compliqué. Le code fédéral des impôts 2014 contenait pas moins de 75 000 pages. Beaucoup de ces pages découlent des intérêts particuliers revendiqués par ces nombreux lobbyistes. En témoignent les innombrables exemptions décrochées à coup de pots-de-vin assez attractifs pour séduire le nombre requis de législateurs.
Ce système complexe pourrait-il être meilleur qu’un taux d’impôt unique (flat tax) extrêmement simplifié sans exemptions et sans intérêts particuliers? C’est un système qui, en pratique, a montré qu’il peut générer encore plus de recettes fiscales que la méthode d’imposition progressive actuelle. On invoque toujours le souci d’équité pour maintenir le système de progressivité de l’impôt. Pourtant, aux États-Unis, les milliardaires (multinationales, magnats du système financier, spéculateurs de Wall Street) paient moins d’impôts, en pourcentage du revenu, que le travailleur moyen, et certains ne paient aucune taxe du tout. Où est l’équité dans tout cela? Le système simplifié (Flat Tax) freinerait drastiquement l’activisme des lobbyistes et, avec lui, les opportunités d’une corruption à grande échelle.
Les inquiétudes de Tacite se sont avérées juste à travers le temps : les dirigeants politiques octroient des privilèges en échange de récompenses. Lord Acton, des siècles plus tard, confirmait ce risque lorsqu’il affirmait que « Le pouvoir corrompt, et le pouvoir absolu corrompt absolument ». Ce cercle vicieux attire des corrompus au pouvoir. On est loin de l’intérêt commun. Une loi devrait avant tout répondre à l’intérêt générale. Il est inconcevable d’alourdir la législation de cas particuliers assis sur des nids de corruption.
La loi est déjà une contrainte qui, comme le soulignaient les philosophes libéraux John Locke et John Stuart Mill, est nécessaire et a une utilité sociale. Mais quand une grande partie des lois est inutile et même pernicieuse, c’est une atteinte à la liberté individuelle. Il y a des lois qui sapent, déforment, et arrivent à détruire les réalisations de l’effort humain et dans les cas extrêmes de la Russie soviétique et la Corée du Nord, l’esprit humain. Comme le disait Thomas Hobbes : «Ce n’est pas la sagesse mais l’autorité qui fait une loi ». En effet, le droit positif, tel qu’il existe, ne repose pas sur la sagesse, mais sur une autorité temporaire.
Si, l’ANC, lors de son arrivée au pouvoir, avait aboli toutes les lois qui violaient les liberté individuelles, l’Afrique du Sud serait probablement devenue, en 22 ans, une société éduquée, prospère et harmonieuse. Au lieu de cela, tout en fermant les yeux sur toutes les lois pernicieuses, les légistes se sont attelés à créer de nouvelles lois (plus de 1200 au dernier comptage), toutes guidées par l’objectif singulier du contrôle.
Le résultat de ces lourdeurs se traduit, entre autres, par la destruction d’emplois, la destruction de l’industrie minière autrefois prospère, des services médicaux déstabilisés. La loi « Twin Peak » sur pour la supervision financière jumelée, créera quant à elle sans aucun doute une lourde bureaucratie détruisant une grande partie des services financiers. Et maintenant, le Hate Speech Bill, projet de loi sur le discours haineux, va détruire le droit à la liberté d’expression. Dans chacun de ces cas, et il y en a beaucoup d’autres, la corruption et la défense d’intérêts particuliers avancent et la liberté individuelle recule.
Lorsque le président Jacob Zuma a invité un parterre de nantis à assister au grand rassemblement de l’ANC, il était d’évidence dans l’attente d’un retour sur « investissement ». La prodigalité négociée en échange d’avantages divers… Ce qui est étonnant, c’est qu’il y ait eu si peu d’indignation face à cette proposition effrontément corrompue.
De tels abus de pouvoir sont le cimetière de l’Etat de droit. Comme l’a montré le scandale Nkandla, Zuma et ses innombrables marionnettes doivent comprendre qu’ils sont tous responsables devant la loi. Si l’autorité nationale de poursuite ne remplit pas sa mission constitutionnelle et ne le fait pas au nom du peuple ; le peuple, par l’intermédiaire des organisations représentatives et des ONG, doit le faire à sa place pour sortir du duo infernal pouvoir/corruption.
Rex van Schalkwyk est ancien juge de la Cour suprême d’Afrique du Sud.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.