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    Pourquoi le cash reste indispensable aux pays du Sud

    Pourquoi le cash reste indispensable aux pays du Sud
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    La Rédaction
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    La société de demain est-elle vouée à voir disparaître les billets de banque ? Certains pays comme la Suède y croient, même si un futur sans cash pose de nombreuses questions sur la perte de souveraineté des États et les menaces pesant sur la liberté des citoyens. Réflexions.  

    Quel est le point commun peut-il y avoir entre la République Centrafricaine et le lointain Salvador, en Amérique centrale ? Les deux pays ont cru faire un bond en avant en adoptant une cryptomonnaie (Bitcoin) comme monnaie officielle. Deux ans plus tard, Bangui et San Salvador s’en mordent les doigts. Si, dans les premiers temps, la hausse du cours du Bitcoin a donné un peu d’air à leurs Banques centrales, l’inévitable dégringolade qui a suivi a entraîné des scénarios catastrophes. À la lumière de l’expérience de la Centrafrique – dont la gouvernance financière laisse plus que perplexe –, les instances internationales restent très prudentes, appelant les autres pays africains à ne pas voir les cryptomonnaies comme « une panacée contre les défis économiques » : selon Abebe Aemro Sélassié, directeur du département Afrique du FMI, « la possibilité d’utiliser le Bitcoin est quelque chose qui doit être surveillé de manière très, très attentive. Il faut s’assurer que le cadre législatif, la transparence financière et la gouvernance sont bien en place ».  

    L’adoption de monnaies digitales représente le paroxysme des sociétés sans cash (cashless societies), marquant l’aboutissement d’une logique qui ressemble aujourd’hui à un saut dans l’inconnu. Sans aller jusque-là, une question plus concrète se pose : est-il souhaitable pour les pays d’Afrique de se passer des billets de banque ? La réponse est probablement non. L’exemple du Salvador vient le confirmer : près des deux tiers des Salvadoriens ont téléchargé l’application dédiée à la monnaie dématérialisée, mais seulement 2% des transactions internes au pays font intervenir les Bitcoins.  

    Les billets restent vecteurs de liberté et de confiance 

    L’idéal pour nos pays, c’est de diversifier les modes de paiement, et non de faire table rase du passé. Certes, l’essor des téléphones portables a permis de changer bon nombre d’habitudes partout en Afrique, surtout pour la jeunesse urbanisée. Mais l’utilisation d’argent liquide reste et restera la solution la plus rapide et la plus fiable pour tous les échanges et toutes les transactions. Avoir un smartphone, c’est bien, sauf quand on n’a pas de connexion dans les campagnes et dans les régions reculées. Et puis tout le monde n’est pas passé aux téléphones intelligents, surtout nos anciens. Se passer d’argent en cash pourrait vite devenir synonyme d’exclusion. 

    Pour les citoyens, le fait de ne plus pouvoir payer en liquide est aussi une restriction dangereuse des libertés individuelles. « L’absence d’argent liquide accentue la précarité des personnes vivant aux marges de la société, exclus du système technique, personnes sans domicile fixe, sans-papiers, mendiants, migrants, personnes âgées, notamment en milieu rural, avance Étienne Perrot, professeur à l’université de Fribourg (Suisse). Outre ces catégories particulières, la plupart de ceux qui combattent une société sans argent liquide sont soucieux de sauvegarder la sphère privée de leur liberté de conscience et d’action. Rejoignent cette cohorte les gens sensibles aux vols de données, aux manipulations de codes, aux erreurs dans les demandes, aux dysfonctionnements des systèmes de prélèvement. Les bugs informatiques ne peuvent jamais être écartés et l’expérience montre les difficultés administratives nécessaires pour les faire corriger. » Oui, payer en cash rassure – à la fois le payeur et le vendeur – et permet aussi de garder un peu de confidentialité dans notre mode de vie. Et les femmes, trop souvent dépendantes de leurs maris pour l’accès à l’argent, y voient aussi un instrument d’émancipation. 

    La monnaie fiduciaire a également l’immense avantage d’être concrète et palpable. Et fiable. La falsification des billets de banque est devenue quasiment impossible. Les fabricants de billets, qu’ils soient africains ou européens, ont fait d’énormes progrès en la matière, grâce à de nouvelles technologies, et gardent ainsi une longueur d’avance sur les faux-monnayeurs. En Afrique comme ailleurs, les billets en circulation – fabriqués en fibres de coton la plupart du temps, préférés à certains billets plastiques en polymère qui n’offrent pas les mêmes garanties – réunissent les technologies les plus en pointe.

    Selon la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC), « les nouveaux billets BEAC sont dotés de nombreux signes de sécurité modernes, visibles et/ou tenus secrets, qui les protègent de la contrefaçon. Pour faciliter leur authentification, les billets possèdent les mêmes signes de sécurité placés aux mêmes endroits. En raison de leur forte valeur faciale, les grosses coupures de 5000 et 10000 francs disposent de sécurités renforcées ». Tous les billets embarquent plusieurs signes de sécurité (filigrane, fil de sécurité, impression en relief, transvision et formes géométriques en relief pour les mal-voyants), les plus petites coupures ayant même un dispositif supplémentaire qu’il est bon de ne pas révéler. 

    Les billets, facteur de stabilité financière 

    De plus, la circulation d’argent liquide dans la société – et son renouvellement via l’émission de coupures neuves –, entre les circuits bancaires et les utilisateurs quotidiens, permet aux systèmes monétaires de conserver leur stabilité. « Les billets et pièces sont mis à la disposition du public par la Banque centrale via ses intermédiaires, que sont les banques commerciales et les institutions de microfinance, qui servent à faciliter les échanges sur le territoire de compétence de la Banque Centrale qui les a mis en circulation, explique Dieudonné Murengerantwari, gouverneur de la Banque Centrale du Burundi. Les raisons d’une Banque centrale pour changer les billets peuvent être multiples, mais toutes concourent, in fine, à l’atteinte de son objectif principal qui est de veiller à la stabilité des prix et du système financier. » À l’heure où de nombreux pays africains réfléchissent à la mise en place de leur propre mécanisme de stabilité financière – comme l’a annoncé la Banque africaine de développement (BAD) au Ghana en 2022 –, la pluralité des modes de paiement reste une priorité. Les devises en liquide constituent en effet une variable d’ajustement synonyme de souveraineté pour les États. 

    Et puis, au-delà des considérations macro-économiques, pour les citoyens, les billets de banque sont aussi synonymes de fierté nationale. En règle générale, chaque coupure représente soit le visage d’une personnalité marquante de la Nation, soit un site symbolique. En 2021 par exemple, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouane Abassi, a lancé le premier billet tunisien faisant figurer une femme avec le visage Tawhida Ben Cheikh, éminente médecin arabe. Une femme scientifique sur le billet de 10 dinars, cela est tout sauf anecdotique. 

    Alioune Sagna, aliounesagna@protonmail.com

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