Toitures percées, pas de plafonds, absence de tabatières, murs fissurés, pléthore des effectifs dans les salles de classe, table-bancs cassés, sols poussiéreux, chaleur caniculaire, c’est l’état dans lequel Afrikipresse a trouvé le plus grand lycée de la Moyenne-Guinée (lycée Wouro à Labé). Pour s’imprégner des vraies réalités de cet établissement d’enseignement public, notre rédaction a tendu son micro à M. Samba Diallo, professeur de mathématiques, et proviseur du Lycée Wouro. Interview exclusive !
AFRIKIPRESSE : Nous sommes à moins de deux mois du Baccalauréat 2016. Quel est le niveau de préparation aujourd’hui au sein de votre établissement?
Samba Diallo : Je pense que le lieu est propice. C’est l’occasion pour moi de faire une petite analyse et une interprétation des données. À moins de deux mois, nous sommes placés face aux examens. Cela veut dire qu’il ne nous reste plus grand chose à faire pour pouvoir terminer les programmes et envoyer nos soldats au combat. J’ai fait une analyse pédagogique personnelle sur l’état d’avancement des programmes par rapport au temps qui nous reste. J’ai trouvé que les cours étant repris le 11 avril 2016, dans les conditions idéales, tous les professeurs présents, tous les élèves présents dans les salles de classe, en enlevant tous les dimanches, on ne fera que pour le mois d’avril, deux semaines de cours. Comme l’indiquait le programme tracé par l’inspection générale de l’éducation (IGE) à savoir qu’on devrait faire les examens blancs au mois de mai, et que les examens de fin d’année devraient se faire tout juste à partir de fin juin, il ne reste pas plus qu’un mois au maximum avec tout ce qu’on peut appeler corollaires et parallèles.
Quelles sont donc les principales dispositions pratiques qui sont prises?
Elles sont les suivantes : nous avons lancé à tous les professeurs de prendre le devant, faire des cours de rattrapage pendant les congés. (…) j’ai écouté des élèves de Fria sur des ondes en disant qu’ils ont presque terminé les programmes aussi bien qu’au niveau des 10è qu’au niveau des terminales.
J’estime ici, que dire et faire sont allés de pair. Les professeurs qui ont constaté que le temps avance et presse, ont appliqué ce que nous avons dit en prenant les élèves pendant les congés pour faire une bouchée double afin de combler le vide qui a été créé pendant la période de grève et pendant certaines fêtes qui se sont intervenues au cours de l’année. Sans compter que le mois d’octobre était perdu, on avait ça au dos, et il fallait trouver un compromis au niveau des cours.
Bref, les professeurs n’ont qu’un mois au maximum à exploiter avec leurs élèves, matin et soir pour qu’ils soient en position de frappe pour marquer le mois de juin comme date prévue des examens.
Nous n’avons pas exprimé de pourcentage au lycée Wouro, mais ce qui est sûr, nous estimons que les professeurs ont compris nos conseils, ils ont fait ce qu’on a dit, et ne seront pas surpris. S’ils ont compris ça, je suis persuadé qu’en fin mai, les professeurs ne seront pas surpris et ils seront prêts à affronter les examens au mois de juin.
Je dispense personnellement des cours de mathématiques en classe de terminale, eu égard à toutes les pertes que j’ai enregistrées par rapport à mes activités administratives et autres, j’estime qu’au maximum à partir du 15 mai , je dois être en position de frappe. C’est sûr et certain que ça commencera très tôt, il faudrait que je fasse tout pour boucler mes programmes au plus tard le 15 mai. Les élèves doivent rentrer en possession de leurs moyennes avant le baccalauréat. C’est dire que c’est au mois de mai qu’ils devront recevoir leurs moyennes-là. Qu’on le sache ou non, voilà la vérité pédagogique, le reste c’est du théâtre.
Tout un arsenal de dispositions, mais est-ce que toutes les classes disposent aujourd’hui d’enseignants?
Dans les classes d’examens, nous avons dit qu’il faut fortifier et préparer les conditions idéales pour que les enfants qui doivent faire le bac le fassent. Chaque classe de terminale ici a son professeur dans toutes les disciplines. Les 11 matières sont enseignées dans toutes les classes des terminales.
C’est dans les classes intermédiaires où on a enregistré des départs par la retraite de certains enseignants , que nous souffrons quelque part. En français, notre professeurs qui tient les sciences sociales en 12è, il va à la retraire, le professeur de philosophie qui tient les 12è SS et maths, va à la retraite. Il nous manquait en même temps, au début de l’année, un professeur de physique, mais avec l’accord des partenaires, les parents d’élèves, nous avons pris des communautaires qui se débrouillent avec nous. Et nous dispensons les cours tant bien que mal avec les élèves pour trouver une solution idoine. Pratiquement, il nous manque un prof du physique, un de français, et un de philosophie. Pour l’heure, les professeurs qui tiennent ces cours-là sont payés par les parents et amis de l’école qui les assistent par des petites sommes modiques qui ne peuvent pas les mettre à l’aise. Mais ils acceptent parce que c’est un sacrifice pour le pays, pour les élèves.
Sur le plan infrastructurel, est-ce que l’établissement est dans les normes pour recevoir des élèves et donner des cours de qualité ?
L’infrastructure, c’est un problème, tout comme au niveau du personnel. Vous devez savoir que ce problème est au niveau national. La crise est totale. Si nous ici, nous parlons de deux ou trois professeurs qui manquent, j’ai suivi certaines préfectures qui parlent d’une dizaine voire même d’une trentaine. Par rapport à ceux-là, je dois m’estimer heureux.
Pour ce qui est de l’infrastructure, c’est connu, c’est les mêmes problèmes, les mêmes données et les mêmes difficultés. Ici, la ratio élèves-salles de classe, 100 est le minimum. 100 élèves par salles. Ils sont assis trois à trois. Et normalement nous connaissons la norme pédagogique pour un banc, mais on ne peut pas compte tenu du manque à gagner.
Depuis 2006, nous avons entrepris une construction d’un bâtiment R+1, par l’ancien ministre de l’éducation d’alors, El hadj Ousmane Souaré qui avait lancé le projet. Mais jusqu’à présent, le bâtiment est là en voûte, il n’y a pas eu de solution. L’entrepreneur est porté disparu avec l’argent des parents, des paysans, qui avaient accepté de débloquer des millions pour lui remettre afin qu’il travaille. Mais aujourd’hui, les gens là sont malheureux, ils ne savent pas où mettre la tête.
Aujourd’hui, du point de vue infrastructure, je vous dirai qu’on en a besoin. Nous avons besoin de 12 salles de classes pour décongestionner les 13 groupes pédagogiques qui existent. Sur ces 13 groupes, chacun a un minimum de 100 élèves. Si nous prenons l’effectif, nous avons environ 1500 élèves repartis dans les 13 groupes pédagogiques.
C’est grâce à M. Siradio Paraya que nous avons une salle que nous appelons mini-amphithéâtre. Construite en 2006, à elle seule, elle a près de 200 élèves. C’est un ressortissant de Labé qui travaille à l’université de Lille en France qui a fait ce geste que nous saluons tous. Cette salle qui accueille les terminales sciences expériences, si elle n’était pas construite, on aurait dispensé les cours à mi-temps.
Treize groupes pédagogiques pour combien d’enseignants?
Pour 28 enseignants existants. Ceux-ci sont opérationnels, ils enseignent tous. Comme je le disais plus haut, il nous manque trois à quatre professeurs.
Le lycée Wouro est l’un des grands établissements de la Moyenne Guinée et peut-être même de la Guinée. Nous appartenons à la classe des grands lycées reconnus. Aujourd’hui vous trouverez que les 2/3 des élèves sont venus soit de Lélouma, Tougué, Mali, de Nzérékoré, de Kankan et même de Conakry.
Nous avons actuellement trois grands blocs ici: le bloc central qui a les élèves des terminales, le bloc du sud qui a les classes intermédiaires (11è et 12è) et le transversal construit par M. Siradio Paraya qui abrite les sciences expérimentales.
La salle qui abrite la direction a été construite par un ami, un partenaire américain qui avait un sujet de mémoire, il nous a donné 8000 dollars pour construire cette salle. Les livres qui constituent la bibliothèque ont été offerts par M. Siradio. Une Ong nous a offert les premiers ordinateurs “pentium2” qui ne sont plus utilisables . Mais c’est avec ça que nous avons initié nos élèves et nos enseignants en logiciels élémentaires à savoir : word , windows et excel.
En clair, que voulez-vous exactement pour l’amélioration de vos conditions de travail, de celles des élèves et enseignants?
Je lance un appel pressant aux parents d’élèves, aux amis de l’école, de nous venir au secours, d’appuyer les élèves, venir à l’école, savoir le contenu du contenant, pour que nous puissions ensemble conjuguer le même verbe afin de rehausser un peu le niveau de nos élèves qui ne fait que baisser.
Je lance un appel pressant à l’État, nous, nous sommes à la veille de la retraite, nous sommes à la 45è année de service, nous allons quitter, mais nous ne voulons pas quitter sans que nos successeurs soient capables de faire quelque chose de potable. Nous prions l’État de venir au secours des enseignants qui travaillent matin et soir pour contribuer à la formation et à la qualification de nos élèves en leur trouvant le matériel de bord (documents, informatique) pour que tous soient en phase avec la nouvelle technologie.
Côté infrastructure, je demande à l’État d’accepter de venir, voir ce bâtiment qui est en voûte où des milliards sont engloutis pour qu’on puisse, à défaut de retrouver ce bonhomme qui est porté disparu, désintéresser les parents qui ont été victimes d’un détournement.
Ce montant détourné est estimé à combien?
Je ne suis pas un comptable. Quand ils sont venus, c’est moi qui ai monté ce projet. C’est moi qui ai écrit à Dr Ousmane Souaré pour qu’il vient nous assister ici, mais ils sont venus, je n’ai jamais su le montant qu’il faut. Ils m’ont dit que je dois m’attendre aux clés du bâtiment, que je suis un enseignant, je n’ai pas droit à sentir ou à regarder l’argent. C’est dire donc, si un investisseur connaît, il peut faire l’évaluation, et si on fouille les archives, on peut bien trouver les choses. Vous savez généralement l’école n’en profite pas, c’est les entrepreneurs et les encadreurs qui font les bouchées doubles pour faire ce travail. Nous nous sommes toujours écartés et on attend les clés pour gérer le bâtiment.
Réalisée par Aliou BM Diallo, envoyé spécial à Labé