À la suite de son avocat Maître Dogo Martin Koudou qui a planté le décor face à la presse, Nayanka Bell s’est exprimée pour donner sa part de vérité sur l’affaire qui l’oppose à un groupe de personnes pour laquelle elle a été condamnée.
« C’est du jamais vu ! Je subis une cabale judiciaire dans mon propre pays pour une question de terre. Ça fait des années que je crois en mon pays. Je pouvais bien vivre ailleurs, aux États-Unis, en France…partout. Mais j’ai préféré rester dans mon pays où je serai enterrée un jour, dans cette même terre pour laquelle aujourd’hui, on me poursuit, dans mon village. Je voudrais dire qu’en ma qualité de présidente des jeunes de mon village depuis des années, je suis bel et bien concernée par des problèmes fonciers d’ailleurs très récurrents que connaît notre pays. Ce d’autant plus que je suis moi-même un exemple palpable de cette triste situation.
Si jusqu’à ce jour je n’ai pas été tuée, c’est tout simplement parce que j’ai aussi la chance de vivre ailleurs. D’où je viens de temps à autre, pour travailler sur mes terres puis après, je m’enferme ailleurs où je suis protégée. C’est pour cela qu’on ne m’a pas découpée dans mes plantations pour qu’on en finisse définitivement avec cette affaire, et que mes terres soient cédées à des personnes qui les revendiquent depuis longtemps. Permettez que j’ai une pensée pieuse pour tous ceux qui ont perdu la vie et qui continueront d’en perdre à cause des terres parce que c’est un problème crucial. J’assume mes responsabilités mais je dis haut et fort que je suis une victime, mais victime de quoi ou de qui ? Ça, je ne saurais vous le dire.
Lorsque j’étais encore plus jeune, j’ai fait confiance au Ministère de l’Agriculture. Mon père également. C’est un ministère auquel j’appartiens. Nous avons rempli les conditions pour que j’acquière les concessions provisoires qui m’ont été attribuées par ce ministère. Je voudrais préciser que je ne suis pas la seule attributaire de ces concessions provisoires. Mon époux, lui-même, est attributaire d’arrêté de concession provisoire. Ma petite sœur, Aka Ida aussi. La superficie dont on parle, est constituée d’un bloc de terre de 118 hectares qui appartient à ma famille. Ces hectares sont représentés ici, certifiés conformes par des copies de la direction du Cadastre qui, en 1995 déjà, avait produit ces cartes (elle nous présente ces cartes : Ndlr). Mais quand on parle de carte, on parle de données qui justifient que ces terres étaient bornées par un géomètre agréé par l’Etat. Et c’est avec ces cartes qu’on identifie la personne à laquelle appartiennent les terres. (…)
Maître (son avocat, Maître Dogo : Ndlr) vous a parlé du rapport d’expertise qui a permis à un ingénieur agricole de sortir une carte du bloc de terre à nous, mais malheureusement, il est allé faire une fausse copie et dessiner avec du GPS, des parcelles qu’ils ont attribuées en faux à des squatters qui ne peuvent être que des escrocs parce qu’ils ne sont pas reconnus par l’État . Ils ne sont pas identifiés et ils n’ont pas non plus, de terres bornées. Ce n’est qu’à la base de leurs dires qu’ils ont juste dessiné sur un calque une représentation de mes terres. Je crois que je vais vous présenter ce calque (elle nous le présente : Ndlr). Voici nos quatre parcelles en un bloc. Regardez bien. Ici, c’est pour monsieur Lebeil (son époux : Ndlr), là, c’est celle de Aka Louise de Marillac (elle-même : Ndlr) et ici, appartient à ma sœur Ida. Et maintenant, lorsque vous constatez, vous remarquez qu’à l’identique, c’est notre carte qui est représentée. (…)
S’il y a une Justice en Côte d’Ivoire, on ne peut pas faire cela parce que c’est pour tromper le juge (…) D’ailleurs sur mes titres de concessions provisoires, les procès verbaux qui ont été faits, lors des enquêtes foncières, les notables ont été cités. Et leur rapport a servi ce que de droit. Ils ont écrit et signé mais ils sont tous malheureusement décédés. Les gens peuvent mourir mais l’administration comme la chefferie reste une continuité. Il est donc regrettable qu’aujourd’hui, on aille poser des questions à des nouveaux chefs qui sont tous jeunes, et qui vont revenir créer le monde et refaire l’histoire qui avait déjà été faite.
L’histoire ne se refait pas. On ne retourne pas en arrière, on avance. Les notables ont déjà laissé des papiers qui ont été versés dans le dossier des enquêtes qui ont été conclues. Celles-ci stipulent que je suis attributaire. Mieux, le chef du village de Ano (son village : Ndlr) qui est décédé a laissé un papier en 2009 dans lequel il mentionne que c’est lui qui a fait les procès verbaux des enquêtes de 2002, qui indiquent que ces terres nous appartiennent. Il a cité tous les notables de Ano. (…) Les terres de ma famille ont subi plus de cinq expertises, ce qui a donné lieu à de nombreux procès verbaux. Un perpétuel recommencement qui ne finit pas. Et quand on pense que ce sont des dépenses que je fais depuis toutes ces années, j’ai mal.
Concernant le rapport, ce qui est choquant, c’est lorsqu’à Agboville, l’expert est venu pour faire l’expertise, j’ai été interrogée par le juge et le procureur. Tout cela a été consigné dans le rapport d’huissier qui était présent. Le juge m’a demandé lorsqu’ils sont arrivés dans mon campement, devant ma maison : «ici, où sommes nous ? » Et je lui ai répondu «qu’ici, nous sommes à Ano, sur nos terres». Mais à ma grande surprise, on a écrit dans le rapport que c’est à Bokao.
Bokao est un village qui s’est créé seulement en 2018. C’était d’abord un campement appelé en Abbey ‘’Bokampo’’ qui signifie ‘’campement’’. Et ce campement est devenu un village en 2018. Il s’est agrandi sur la parcelle des Eaux & Forêts, de la Sodefor. Elle est voisine à mes terres. Des gens venaient de Bokao pour travailler dans nos plantations, travailler chez moi, travailler pour mon père, travailler pour les gens de Ano, mon village.
Devenu un village, il a une notabilité. Et à Bokao, il a été créé un Comité de gestion foncière villageoise dont fait partie le chef de ce nouveau village qui a même un chef de terre. Ces notables sont des personnes qui sont assermentées par l’État . Ça veut dire que s’il y a des problèmes fonciers, ils doivent normalement informer le Préfet et la Justice. Mais au procès, ils n’ont rien dit. (…) C’est une supercherie parce que ces personnes revendiquent des terres et ils sont en train de faire des enquêtes agricoles pour pouvoir attribuer mes terres à autrui, et donc si je ne me bats pas, et si je ne gagne pas le procès, bientôt, il y aura de nouvelles personnes qui sortiront de nulle part avec des papiers pour récupérer mes terres. (…).
Mon père Aka N’cho Paul était le propriétaire coutumier de cette terre sur laquelle il s’est installé depuis 1989, parce qu’il l’a acheté à plus de 3 millions. (…) J’ai assez souffert comme cela. Cela fait 15 ans de procédure qui a englouti mon argent parce qu’on ne m’a pas rendue justice. Et le fait qu’on m’a condamnée à la base des mensonges de ces personnes qui se disent ayants droit, ou héritiers coutumiers mais qui n’ont jamais pu présenter un papier qui le justifie, m’écœure. (…).
Pour en revenir à l’affaire de destruction, on a saboté toute une image. Je viens de sortir d’un grave accident à la suite duquel j’ai même perdu la mémoire. Aujourd’hui, je porte encore des vis et des fer (des broches : Ndlr) dans le corps. Je suis allée en France en 2016 pour subir une opération. Pendant que j’étais malade, ils m’ont jugée en 2008 et attribué les mêmes faits. On me cherchait pour m’arrêter pour 3 ans d’emprisonnement ferme pour destructions de plants faits de mains d’hommes à Bokao. Et malheureusement pour moi, pendant le procès, j’ai été victime d’un grave accident. Je ne marchais donc plus, j’étais alitée pendant ces trois ans.
Et pendant toute cette période où j’étais hospitalisée, on me jugeait et on m’avait condamnée à 3 ans d’emprisonnement ferme et six millions six cent mille francs à payer aux gens qui venaient voler et dévaster mes plantations. J’ai encore les PV de destruction de mes plants constitués de bananeraies et autres (…) Et pendant tout le temps que j’étais hospitalisée, mon gardien ne faisait que des PV, jusqu’à ce qu’on vienne casser les portes de ma maison pour y habiter avec leurs manœuvres, et aujourd’hui, on dit que c’est moi qui suis venue détruire ces plantations.
Donc, qu’on m’explique pourquoi les gens sont dans mes maisons. (…) Mais excusez-moi, en 2010, on m’a condamnée, je n’étais pas là, en 2016, je paye six millions six cent mille francs à ces mêmes personnes, parce que ce sont les mêmes qui sont encore là aujourd’hui, après avoir empoché le pactole de six millions six cent mille francs, ils sont de retour.
Mais dites-moi, comment ont-ils fait pour se retrouver sur les mêmes parcelles qu’ils disent que j’ai détruit. De quelle parcelle parlent-ils ? De quelles plantations parlent-ils ? Celle qui était déjà détruite ou bien celle qu’ils ont détruit en mon absence ? Et aujourd’hui, on dit que c’est moi qui suis venue détruire leur plantation. Expliquez-moi pourquoi des gens sont dans mes maisons, avec leurs manœuvres après avoir dévasté mes terres ? »
Claude Dassé