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    Méprise vis à vis de la Science politique, déplore un enseignant-chercheur ivoirien

    Méprise vis à vis de la Science politique, déplore un enseignant-chercheur ivoirien
    Publié le
    Par
    Charles Kouassi
    Lecture 7 minutes
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    Fin de la grève de la faim du Docteur Blé Kessé, enseignant-chercheur en faculté de Droit à l’université Péléforo Gon Coulibaly de Korhogo, pour protester contre la suppression pour vice de forme dans la création de la filière Science politique. La décision de suppression a été levée, mais nous publions un entretien sur la question avec Docteur Nahi Prégnon Claude, enseignant-chercheur en Sciences politiques, dans la même université qui tente d’apporter quelques éclairages.

    Qu’est-ce qui motive, selon vous, la décision du président de l’Université ?

    Je ne vois vraiment pas ce qui peut motiver une telle décision. Au département de Droit, le gouvernement de Côte d’Ivoire a recruté 3 enseignants de Sciences de politiques, c’est-à-dire, des personnes qui ont le doctorat en Sciences politiques. Une fois sur place, on nous a fait enseigner des matières de Droit. Pourtant, nous n’y sommes pas pour enseigner du Droit. Nous sommes des enseignants de Sciences politiques. Nous avons négocié et le président de l’université a accepté l’ouverture d’une licence en Sciences politiques. Durant l’année, tout s’est bien passé. Mais, on ne sait pas pour quelle raison, à la fin, il a changé de position sur la question.

    Avez-vous eu des rencontres avec le président ?

    Il y a eu plusieurs rencontres. Les conseils d’UFR en ont parlé et ont donné leur accord. On en a même parlé au conseil de l’université. Je veux dire, qu’il y a eu des espaces où la question a été débattue.

    Quel argument le président de l’université a-t-il donné pendant ces rencontres-là pour sous-tendre sa décision ?

    En réalité, il faut dire que le principe d’enseigner la Sciences Politiques a été acquis. Mais, il y a eu un problème de forme. Parce que quand il a donné son accord, il n’est pas allé jusqu’au bout, c’est-à-dire, jusqu’à convoquer un conseil d’université pour pouvoir formaliser la création. Donc, nous avons enseigné jusqu’à ce qu’on donne les résultats. C’est au moment des résultats que la question de la formalisation est revenue. Les étudiants n’arrivaient pas à voir leurs résultats. Ils n’arrivaient même pas à s’inscrire. Et quand nous nous sommes informés, la scolarité nous a dit qu’elle n’avait pas connaissance de la création d’une filière Sciences politiques. Nous nous sommes tournés vers qui de droit (le président d’université). Ce dernier a reconnu qu’il avait effectivement donné son accord, mais qu’on n’avait pas suivi la procédure. Pourtant, la procédure, ce ne sont pas les professeurs qui la suivent. C’est à l’administration de mettre en œuvre la procédure de formalisation de la création d’une discipline. Nous, on ne fait qu’enseigner. Ce n’est pas nous qui prenons les décisions. Nous avons quand même réussi à faire valider les Licences des étudiants. Après, il s’agissait de reprendre le processus à zéro pour formaliser la création de la filière avec la création d’autres niveaux d’étude. C’est à ce moment-là qu’on nous annonce que l’université de Korhogo ne veut pas de la filière Sciences politiques. Le problème que cela pose, c’est qu’on demande à des étudiants qui ont eu leur Licence en Sciences politiques d’aller se reverser en Droit. Donc, des gens qui ont choisi un profil n’ont plus la possibilité de progresser.

    Au-delà de la grève de la faim entamée par le premier responsable de la filière, qu’est-ce que vous autres, enseignants de Sciences politiques, avez-vous décidé ?

    Nous avions appelé tous les enseignants à la solidarité afin qu’on puisse soutenir déjà le docteur Blé Kessé qui est le responsable de la filière. Car, vous devez savoir qu’en tant qu’enseignant de Sciences politiques, supprimer la filière, c’est supprimer notre emploi. Tout compte fait, pour des questions d’employabilité, on a la possibilité de s’adapter et d’enseigner d’autres disciplines. Mais, en réalité, le diplôme que nous avons eu pour enseigner, c’est le diplôme de Sciences politiques. Donc, refuser qu’il y ait une filière de Sciences politique, c’est nier notre emploi d’enseignants-chercheurs. Parce que nous allons parasiter dans les autres disciplines sans que nous ayons à enseigner la discipline pour laquelle nous avons été recrutés.

    Les autres enseignants que vous avez appelés à la solidarité, ont-ils répondu ?

    Oui. Je vous informe que tous les enseignants et tous les étudiants en Sciences politiques des autres universités commencent à s’inquiéter. Ils se disent que ça peut faire tache d’huile. La toile s’est enflammée. Beaucoup d’étudiants de Sciences politiques de l’université de Cocody s’inquiètent de l’avenir de leur discipline. On ne sait vraiment pas où tout ça peut mener. C’est pour cela que nous appelons les autorités académiques à circonscrire le problème.

    Qu’est-ce que, selon vous, la Sciences politiques peut apporter à notre pays actuellement ?

    C’est bien de poser la question de la sorte. Mais, en réalité, on n’en est plus à chercher à savoir ce que la Science politique va apporter à notre pays. Au contraire, on est arrivé à une situation où la Science politique doit tout apporter à la formation de l’élite de demain. Parce qu’on est dans une société où la politique est devenue un ascenseur social pour tous. On est à une étape où, au-delà des politiciens, tous les fonctionnaires et tous ceux qui travaillent et contribuent à l’action publique doivent connaitre l’État , son fonctionnement et tous les aspects institutionnels qui concourent à son fonctionnement. Le problème que la Science politique a, c’est de la considérer comme une science subversive qui est juste venue éveiller les consciences et contribuer à des mouvements sociaux. Pourtant, la Science politique est une discipline qui contribue à la formation de l’élite. Il y’a une méprise vis-à-vis de la discipline. La Science politique, ce sont toutes les matières qu’on enseigne à l’ENA. On y étudie l’État , l’action publique, les institutions, le pouvoir politique, etc. Or, tous les Ivoiriens ne font pas ou ne passent par l’ENA. En réalité, c’est parce que les gens ne comprennent pas la pertinence de cette discipline. Supprimer la Sciences politiques, c’est créer un handicap pour l’élite de demain.

    On pourrait vous rétorquer que la Science politique n’existait pas par le passé, pourtant, il existe une élite d’aujourd’hui ?

    Oui, on peut nous brandir un tel argument. Mais, en réalité, est-ce que ce n’est pas parce que la Science politique n’existait que, franchement, on a toutes ces lacunes, ce manque de discipline républicaine, ce manque de respect des contribuables aux institutions qui créent tous les palabres auxquels on assiste depuis des années ? En plus, ce que nous disons n’est pas que local. Partout, dans les grands pays du monde, on enseigne la Sciences politiques. Dans certains pays, on l’associe directement à l’ENA. Parce que comment des gens qui doivent diriger demain ne doivent pas ne pas connaitre les rudiments de l’État , le fonctionnement des institutions étatiques. Il y’a certaines disciplines qui en parlent. Mais de façon moins approfondie que la Sciences politiques.

    Jusqu’où êtes-vous prêts à aller pour imposer cette discipline ?

    Nous sommes des universitaires. Nous n’avons d’autres moyens que d’expliquer à l’État que la Science politique est nécessaire pour la formation intellectuelle des étudiants. Et qu’elle est indispensable dans la formation de l’élite de demain. Parce que, justement, ce n’est pas une discipline pour faire de la politique. Mais, c’est une discipline pour connaitre l’État . Pour connaitre comment l’État fonctionne, comment fonctionnent les institutions. C’est donc un travail de sensibilisation qu’on va faire auprès de l’État.

    Interview réalisée par Chris Monsékéla

     

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