Le général Mathias Doué est mort jeudi 23 mars 2017 au Maroc . Il souffrait d’un cancer qui a fini par avoir raison de lui.
La vie et la mort de ce général moins bien étoilé que d’autres eu égard au prestige qui fut le sien , sont marquées par le caractère insaisissable et impénétrable de l’homme. Une des raisons pour laquelle il avait été surnommé le Chinois, en plus de son bâton de commandement qui rappelait les maréchaux du pays de l’Empire du milieu , sans oublier son “exil” professionnel en Asie.
Il fut une époque où Mathias Doué était très populaire en Côte d’Ivoire.
Il jouissait alors d’un prestige inégalable et était tellement craint dans plusieurs cercles politiques. On le disait “nationaliste”, et soucieux des intérêts des nationaux…Une manière douce de le ranger dans le camp des ivoiritaires….
En 1999 , ce sont ses réserves supposées sur la composition du premier gouvernement d’après coup d’état et son refus présumé de se faire marginaliser qui donneront des “ailes” au Fpi et à Laurent Gbagbo pour réclamer une plus grosse part du gâteau, avec cette phrase restée célèbre : ” si c’est un coup d’état Rdr qu’on nous le dise “.
Ce qui signifiait que , selon celui qui sortait ainsi de l’alliance Front républicain , le putsch de 1999 n’était pas du tout l’affaire du Rdr seul.
D’ailleurs les choses ont très vite échappé au Rdr et même à Doué Mathias défavorable au départ à une candidature des militaires et de Robert Guei.
On disait de cet homme passé par la franc-maçonnerie, qu’il était un homme de gauche et du côté des démocrates , mais ses détracteurs rapportent qu’après s’être opposé au départ au principe d’une candidature de Robert Guei , il aurait lâché cette phrase pendant la crise post électorale de 2000 : ( ” pas question que les militaires et l’armée soient humiliés ” ) , pour encourager l’ex général-candidat à tripatouiller les résultats et refuser son éventuelle défaite face à Laurent Gbagbo .
Malgré cette période confuse , sa popularité restera intacte au point que Laurent Gbagbo accepte de le garder chef d’état major des Forces de défense et de sécurité de 2000 jusqu’en 2004.
À cette date c’est l’opération Dignité. Elle se solde par une déroute de l’armée ivoirienne , après des frappes contre des installations françaises et une base américaine.
La riposte française est fatale et fracassante au niveau aérien . Paris semble vouloir en finir avec Laurent Gbagbo. La rumeur cite Doué Mathias comme la personne chargée de faire une déclaration et de prendre un pouvoir qui était alors ” presque ” dans la rue.
Selon les accusations de l’époque , le général Doué Mathias était dans un char , avec les français qui devaient le conduire à la télé et à la résidence présidentielle pour faire une déclaration de prise de pouvoir. La même rumeur rapporte que lui-même aurait appelé le ministre Hubert Oulaye pour lui demander , en tant que son frère, de s’apprêter à l’aider car quelque chose d’important devait se passer dans les heures à venir. À la suite de cette confidence , ledit ministre serait allé voir Laurent Gbagbo pour lui rapporter les choses. Ce qui aurait fait avorter le coup d’état en préparation avec les français.
Dans la période , malgré les dénégations de Jeannette Koudou la soeur du Président que l’on disait proche du général , Laurent Gbagbo limoge Doué Mathias et le remplace par Philippe Mangou. S’ensuit alors une longue traversée de désert pour le chef d’état major démis.
On le localise tantôt à Yopougon, tantôt au Nigeria , au Ghana, au Maroc, Mali, aux Usa etc…. Il est la vedette des médias pendant cette période , où il n’a de cesse de prédire la chute de Laurent Gbagbo.
Cette chute n’intervient que sept ans plus tard , à l’issue de la crise ayant suivi l’élection présidentielle de 2010. C’est alors que Mathias Doué rentre enfin au pays. Mais l’exil et ses effets ont beaucoup dégradé sa santé.
Ce furent des années de galère et de souffrances , dont sans doute les séquelles ont fini par avoir raison de lui à 71 ans ; sans oublier qu’après ( et depuis ) son retour au pays , ce ne fut pas tout à fait une parfaite relation d’amour entre lui et les nouvelles autorités ivoiriennes .
Face aux forces républicaines vainqueurs de la ” guerre “, et face aux nouveaux héros , le prestige du “Chinois” semblait s’être étiolé. Son expertise n’était plus sollicitée , ni même souhaitée.
L’enthousiasme de l’alternance avait disparu , tandis que des soupçons du passé avaient ressurgi. Il fut difficile pour Doué Mathias de jouer à nouveau un rôle de premier plan. Les effets de la maladie aidant , le général s’efface de plus en plus de la scène publique et politique pour redevenir plus insaisissable et plus “Chinois” que jamais , jouant les pères heureux mais discrets , avec le prestige et la gloire de sa fille Muriel Ahouré .
C’est cet homme resté impénétrable jusqu’au bout pour le grand public , pour ceux qui ne sont pas ses proches , qui a été rappelé à Dieu.
Un rappel qui , comme toutes les autres morts d’hommes et de femmes , nous interpelle sur la vanité de tout , de notre volonté de puissance et de domination.
[ Une mort qui interpelle les historiens ]
Le procès – politique – en cours à l Haye ne permet pas de dissiper toutes les confusions au sujet des versions partisanes sur l’histoire de Côte d’Ivoire.
La mort de Mathias Doué , sur qui tant de chose ont été dites mais qui n’a pas eu ( sauf oubli de notre part ) l’occasion de consigner sa part de vérité , ni de rédiger ses mémoires par rapport aux moments forts qu’il a vécus dans au cours de ces années “tragiques” et “dramatiques” connues dans notre pays ( depuis 1999 ) , interpelle sur la nécessité pour les historiens, de faire un travail scientifique, objectif et non partisan , un travail de restitution de la vérité.
Vanité des vanités, tout est vanité ! Reposez-en paix mon général !
Charles Kouassi
