Sans surprise, l’année 2016 a confirmé la tendance haussière des faillites des entreprises (+21%), avec l’allongement des délais de paiement comme principal responsable de la disparition d’une entreprise sur quatre. Une tendance inquiétante qui ne faiblit pas et ce en dépit de la nouvelle loi 49-15 sur les délais de paiement, publiée en septembre 2016. A l’évidence la conjoncture défavorable y est pour quelque chose, mais le mal est plus structurel.
La nouvelle loi a durci les pénalités pécuniaires, les a étendues au secteur public et appelé à la mise en place de la médiation et d’un observatoire national pour le suivi. Des idées autant louables que nécessaires, mais l’approche réglementaire seule ne pourra relever le défi de réduire les délais de paiement pour deux raisons.
D’un côté, parce qu’il y a les soubresauts défavorables de la conjoncture qui pourraient empêcher des entreprises honnêtes de respecter leurs engagements contractuels. Conjugué au manque de solutions alternatives de financement, elles transformeraient facilement leurs fournisseurs en banquiers.
Et d’un autre côté, parce que l’Etat, censé donner l’exemple, est justement le plus mauvais payeur qu’il s’agisse des entreprises publiques ou des collectivités territoriales. Etant donné la dépendance des PME marocaines à la commande publique, il est facile de comprendre comment ces entreprises mises en difficultés par le laxisme étatique pourrait créer un effet de contagion chez les autres.
Ainsi, compte tenu de la diversité des motivations poussant les entreprises à ne pas payer à temps, se contenter uniquement de les sanctionner sera au mieux inefficace, au pire contreproductif. D’où la nécessité d’une approche complémentaire fondée cette fois-ci sur les incitations conditionnant les comportements de paiement des entreprises.
D’abord, et selon une enquête de la Coface, les entreprises marocaines ont une préférence pour le chèque qui ne favorise pas les paiements en temps et en heure, et les contrats ne sont pas toujours bien clairs sur de nombreuses clauses. Ainsi, il est de la responsabilité de chaque entreprise, d’une part, d’être plus vigilante et précise concernant la rédaction des clauses du contrat en intégrant aussi les délais de paiement et anticiper sur contentieux éventuels. Et d’autre part, de dématérialiser leurs factures car le non-respect des délais légaux tient parfois à des documents de facturation non conformes ou incomplets. Ceci est surtout urgent dans le cas des transactions impliquant l’Etat où les procédures d’ordonnancement et de paiement sont lentes.
Ensuite, n’oublions pas que plusieurs entreprises n’osent pas trop relancer ou réclamer des pénalités de retard par peur de perdre leurs clients. D’ailleurs, le retard augmente avec la taille des entreprises dont les grandes imposent leur loi aux plus petites. Autrement dit, l’allongement des délais de paiement est aussi le résultat d’une asymétrie de pouvoir, d’un déséquilibre dans le rapport des forces entre les entreprises-fournisseurs et les entreprises-clients. Dès lors, la solution passe principalement par la sortie de cette asymétrie en évitant aux petits fournisseurs de subir la domination des grands donneurs d’ordre. A ce propos deux possibilités se dessinent. Primo, l’Etat pourrait faciliter aux fournisseurs du même client de tenter une action juridique collective pour recouvrer leurs créances. Secundo, faciliter et promouvoir des solutions alternatives via le marché. En ce sens, il existe déjà l’affacturage qui consiste pour un fournisseur à transférer ses créances commerciales à une institution spécialisée (l’affactureur) qui va lui régler par anticipation en échange d’une commission. Pour permettre au donneur d’ordre de s’engager de manière crédible à ne pas utiliser son pouvoir de marché vis-à-vis de ses fournisseurs, il y a une nouvelle solution consistant à appliquer l’affacturage inversé. Il s’agit du même principe que l’affacturage classique, sauf que cette fois-ci c’est le client et non le fournisseur qui transmet à la société d’affacturage les factures des fournisseurs après concertation avec ce dernier.
Si l’affacturage est intéressant, tel que c’est pratiqué au Maroc, il reste quand même assez cher et complexe. D’où la nécessité de s’inspirer de certaines expériences qui sont en train d’émerger de solutions plus novatrices et plus efficaces. A ce titre, et dans une logique de digitalisation, on assiste à l’émergence de nouvelles compagnies, comme la luxembourgeoise Edebex qui permet aux entreprises de vendre leurs factures à des investisseurs pour récupérer de la trésorerie en 72 heures maximum. La cession de la facture, contrairement à l’affacturage, est sans recours et l’argent est récupérable plus rapidement moyennant une commission qui varie en fonction de la qualité des créances. Ainsi, l’Etat pourrait revoir le cadre juridique actuel pour faciliter l’émergence de ces nouvelles institutions pour offrir une véritable alternative aux créanciers pour se délester du fardeau du recouvrement.
Enfin, en plus des sanctions pécuniaires, il sera intéressant de jouer aussi sur l’effet de réputation. En ce sens, le renforcement des sanctions devrait se déplacer sur le champ de la publication systématique sur un support unique approprié des noms des entreprises mauvais payeurs et celles qui ont été condamnées. Cela permettra d’une part, de couper l’herbe sous les pieds des mauvais payeurs profitant de l’opacité pour abuser de l’indulgence de leurs fournisseurs. Et d’autre part, de mettre en jeu leur réputation ce qui risque de les pénaliser en termes d’accès aux marchés et aux ressources. Le lancement d’alertes et la dénonciation anonyme des abus et des chantages à la commande, qu’ils émanent de donneurs d’ordre privés ou publics, devraient être permis et facilités légalement afin de contourner cette peur de perdre les clients dans la quête de faire valoir ses droits. Le respect des délais de paiement devrait être également récompensé en l’intégrant comme un critère dans le cahier des charges pour accéder aux marchés.
Au-delà de toutes les mesures précitées, il est besoin d’une véritable prise de conscience de la part de toutes les entreprises que leur survie dépend de celle des autres. Alors, chères entreprises, de grâce ne faîtes pas aux autres ce que vous n’aimeriez pas qu’on vous fasse.
Hicham El Moussaoui, Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane (Maroc)
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.