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    Contribution : Les ONG coupées dans leur élan, l’espoir s’envole pour 7,5 millions de Maliens 

    Contribution : <strong>Les ONG coupées dans leur élan, l’espoir s’envole pour 7,5 millions de Maliens </strong>
    Publié le
    Par
    Yaya Kanté
    Lecture 6 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    Le 16 novembre dernier, Paris a annoncé la suspension de son aide publique au développement en faveur de Bamako. Cinq jours plus tard, le Mali a répliqué en suspendant les activités des ONG françaises œuvrant sur le terrain. Au-delà de la discorde entre les deux pays, ce sont les Maliens, sur le terrain, qui payent les pots cassés. 

    Le gouvernement de transition a voulu taper du poing sur la table pour prouver à l’ancienne puissance coloniale qu’il était seul maître à bord à Bamako. Qualifiant la suspension de l’aide par la « junte française » de « non-événement », le gouvernement d’Assimi Goïta a donc mis un terme aux activités des ONG française, dont certaines œuvraient sur le terrain depuis des dizaines années. Avec effet immédiat.

    « Environ 88 associations et ONG françaises sont actives au Mali, parmi lesquelles 47 ONG sont présentes physiquement au Mali, 41 autres mènent des activités via leurs partenaires locaux, mode opératoire qui s’est renforcé après la crise et l’insécurité dans le centre et le nord du Mali, détaillent nos confrères du bihebdomadaire malien ‘Le Tjikan’ dans son édition du 25 novembre. Les interventions sectorielles se répartissent de la manière suivante : sécurité alimentaire (21 ONG), santé (17), eau et assainissement (14), éducation et formation (16), environnement (17), droits de l’homme (10), gouvernance (2) et culture (1). » Suite à l’annonce du gouvernement de transition, des ONG – autres que françaises – ont également baissé pavillon, comme l’équipe belge de Médecins du monde. Les colonels au pouvoir ont donc envoyé un message fort pour asseoir la souveraineté de l’État face à leurs anciens colonisateurs. Mais ce message sera-t-il entendu par la population ? 

    Quels effets secondaires ? 

    Les Maliens, eux, vont surtout voir des actions très concrètes s’arrêter : pour l’eau potable, pour la santé des enfants ou pour la lutte contre la sous-nutrition par exemple. Soit autant de services publics que, bien trop souvent malheureusement, l’État n’arrive pas à assumer. « C’est une décision courageuse, estime pour sa part l’hebdomadaire malien ‘Le Point’ dans son numéro du 25 novembre. Toutefois, en décidant de se passer des aides à lui apporter par l’ensemble des partenaires que les autorités maliennes ne veulent plus voir sur leur sol, ont-elles mesuré tous les risques qu’elles encourent ? La crise sécuritaire ne risque-t-elle pas de s’aggraver et provoquer une crise humanitaire sans précédent ? Bamako ne craint-elle pas l’effet boomerang de cette décision ? Mais sur quoi s’appuie Bamako pour se mettre ainsi à dos cette communauté internationale qui l’a toujours accompagnée pour une sortie de crise ? » Ce sont en effet de très bonnes questions. 

    L’effet boomerang est dans l’esprit de tous les analystes de la vie politique malienne. « C’est toujours la réponse du berger à la bergère, regrette Alioune Tine, président-fondateur du think tank Afrikajom Center. On est dans une escalade qui ne profite à personne. Après tout ce qui s’est passé, on aurait pu observer une pause. Connaissant la psychologie des autorités maliennes, dès que vous posez un acte perçu comme hostile, il y a toujours une réplique. Il faut éviter que ce qui est arrivé à Kaboul, en août 2021, après le départ des Américains, n’arrive au Sahel. » Avec, en filigrane, l’insécurité galopante et la tentation pour l’hydre terroriste de gagner le cœur des populations fragilisées. 

    Si les autorités maliennes ont fait ce choix, elles devront très vite expliquer à la population démunie comment elles feront pour compenser ce qu’elles viennent de balayer d’un revers de la main. Depuis 2013, le Mali encaisse chaque année plus de 65 milliards de FCFA (100 millions d’euros) d’aides publiques au développement et d’aides humanitaires offertes par Paris. En 2022, plus de 7,5 millions de Maliens ont eu recours à cette aide humanitaire, un chiffre calamiteux qui plus est en forte hausse depuis 2021 (+20%). Et personne ne leur donne la parole dans les médias africains : que va donc devenir le tiers de la population, bientôt sans aide et sans ressources ? Une véritable bombe à retardement ! 

    Sur le terrain, ONG et bénéficiaires démunis 

    Du côté des associations concernées, c’est aussi la stupéfaction qui domine, désormais dépourvues de ressources pour venir en aide à la population délaissée par l’État malien. Cité par VOAfrica, Olivier Bruyeron, président d’un collectif d’ONG françaises travaillant dans les régions reculées du Mali, ne cache pas sa déception : « Nous avons un sentiment de sidération et de colère de voir l’aide publique française instrumentalisée et les ONG prises malgré elles dans ces jeux de relations diplomatiques. » Dommage de se retrouver pris en otages de la sorte. 

    À Bamako, disons-le sans détour, une vérité n’est pas bonne à dire : les organisations internationales sont les seules à cibler en priorité les populations abandonnées par le gouvernement central. Selon l’ONG Solidarités International, active au Mali depuis 2012 avec trois centres implantés à Bamako, Niono et Goundam, 32% des Maliens n’ont pas accès à l’eau potable et 2,4 millions de citoyens sont déplacés à l’intérieur des frontières du pays. Concrètement, comment les populations – bénéficiaires jusqu’alors de ces politiques d’aide humanitaire – vont-elles pouvoir tenir, avec des points de tension accrus depuis 2020 dans le nord et le centre du pays ?  

    L’effet domino, d’un pays à l’autre 

    Nos frères maliens ont donc choisi de faire cavalier seul au nom de leur indépendance. C’est tout à leur honneur, mais c’est surtout suicidaire pour les populations. Leurs voisins, eux, n’ont pas franchi cette ligne, conscients du caractère critique de l’aide au développement et de l’aide humanitaire fournie par les pays étrangers. Au Niger par exemple, les ONG – financées par la France ou par d’autres pays – sont également implantées depuis longtemps et poursuivent leur travail en faveur des populations ayant le moins accès à l’eau ou aux soins médicaux. En février dernier par exemple, l’ONU a lancé une campagne pour lever les 552,6 millions de dollars destinés à répondre aux besoins de plus de 3 millions de Nigériens. Dans ce cadre, l’ONG française Action contre la faim souligne que le nombre de personnes déplacées a doublé depuis l’an passé, avec par exemple l’afflux de réfugiés du Nigéria, du Burkina Faso et… du Mali. La Croix-Rouge française est elle aussi très présente au Niger, dans les régions d’Agadez et de Zinder, pour appuyer les efforts des autorités dans l’accès aux soins et à l’aide psychosociale, et dans la lutte contre la malnutrition et la sécheresse.  

    Les défis sont nombreux pour tous les pays du Sahel, les problèmes débordant souvent des frontières de pays où l’insécurité et l’instabilité semblent endémiques, vers les pays voisins plus stables. L’aggravation attendue de la situation au Mali aura certainement des répercussions bien au-delà des frontières maliennes, au Niger par exemple. C’est pour ça que les ONG, françaises ou non, resteront en premières lignes. En attendant que nos pays africains retrouvent leur souveraineté pleine et entière, et les moyens véritables d’accomplir leur devoir envers leur population. 

    Ibrahim Touré 

    IbraTourMali@proton.me

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