Récemment les pays africains ont créé, signé et ratifié la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLEC). Cet accord est l’un des plus importants efforts de libéralisation commerciale depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce en 1995. Le 1 juillet dernier, lors du 31ème Sommet de l’Union africaine (UA) à Nouakchott en Mauritanie, le nombre total de signataires de la ZLEC a atteint 49 parmi les 55 États membres de l’Union africaine (UA). Peut-on dire que le libre-échange est devenu le courant dominant de la politique africaine?
Des objectifs attractifs
Si les 55 nations de l’UA ratifiaient l’accord proposé, la ZLEC correspondra à un marché de 1,2 milliard de personnes et un PIB cumulé de 2,5 billions de dollars. Elle vise à améliorer les échanges commerciaux sur le continent en supprimant immédiatement les droits de douane sur 90% des marchandises, les 10% restants des droits de douane sur les « marchandises sensibles » seront progressivement supprimés.
Être capable de commercer librement avec ses voisins est vital pour la croissance économique. En 2016, seulement 18% des exportations totales de l’Afrique étaient commercialisées sur le continent africain. En Europe et en Asie, le commerce intra-régional représentait respectivement 69% et 59% des exportations totales. La Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique estime que grâce à la ZLEC, le commerce intra-africain pourrait augmenter de 52,3% d’ici 2022. Il pourrait encore doubler, une fois les 10% de droits de douane supprimés. Si elle est adoptée, la ZLEC a le potentiel de révolutionner le commerce africain et d’ajouter des milliards au PIB du continent. Aussi, la qualité de la gouvernance étatique pourrait également s’améliorer grâce à l’émulation créée par la ZLEC afin de mettre en place des environnements d’affaires accueillants et stables.
Il faut désormais transformer l’essai !
Pour la mise en œuvre de la ZLEC, 22 pays doivent ratifier l’accord. Jusqu’à présent, six l’ont fait. Malheureusement, avant le week-end dernier, la ZLEC n’avait pas le soutien des deux nations les plus riches du continent. Alors que le Nigeria reste réticent à coopérer, l’Afrique du Sud, la plus grande économie du continent, a finalement signé l’accord. Certes, l’UA a une longue histoire de promesses ratées et d’actes dénués de sens. Si la ZLEC réussit, cela signifiera une vraie rupture par rapport aux politiques du passé de l’Afrique. Comme l’explique le professeur George Ayittey, président de la Free Africa Foundation: « La plupart des nations africaines ont pris la voie socialiste après l’indépendance. Dans beaucoup d’endroits en Afrique, le capitalisme a été assimilé au colonialisme, et comme ce dernier était mauvais et prédateur, le premier l’aurait été aussi par extrapolation. Le socialisme, l’antithèse du capitalisme, était considéré comme la seule voie vers la prospérité de l’Afrique … et dans son sillage suivait l’atrophie économique, la répression et la dictature ».
Rompre avec les idées reçues sur le socialisme
L’expérience socialiste de l’Afrique a commencé au Ghana, première colonie africaine à obtenir son indépendance en 1957. Kwame Nkrumah, que beaucoup considèrent comme le père du socialisme africain, a poursuivi la pleine appropriation de l’économie par l’État. Nkrumah a encouragé les Africains à « n’être contents qu’une fois démolie cette structure misérable du colonialisme pour ériger à sa place un véritable paradis ». Ahmed Sekou Touré de la Guinée en 1958, Modibo Keita du Mali et Léopold Sedar Senghor du Sénégal en 1960, Kenneth Kaunda de Zambie en 1964 et Agostinho Neto de l’Angola en 1975 sont quelques-uns des leaders qui suivirent l’exemple de Nkrumah. Ainsi, « comme on pouvait s’y attendre, pays après pays, la ruine économique, la dictature et l’oppression suivaient avec une consistance meurtrière … En Afrique, le socialisme était mis en œuvre à travers l’appareil de l’Etat, le parti unique. L’État possédait tout et s’immisçait fortement dans l’activité économique », explique Ayittey.
Sur la route de la liberté pour le recul de la pauvreté
Si l’on compare le passé de l’Afrique avec son présent, on voit que la ZLEC est parrainée par Paul Kagamé, Président de l’UA et Président du Rwanda. Kagamé se décrit comme un libre-échangiste passionné et un disciple de Lee Kuan Yew, le premier dirigeant de la nation indépendante et libre-échangiste de Singapour. Il n’est pas le seul: Mahamadou Issoufou, le président du Niger, a quant à lui noté qu’il était facile de mobiliser ses pairs pour signer l’accord car «la plupart des dirigeants voulaient déjà créer une zone de libre-échange en Afrique». La ZLEC signifiera «plus d’intégration et plus de croissance pour l’ensemble du continent», a déclaré Issoufou. Au-delà de la ZLEC, les tendances générales à travers le continent indiquent des attitudes changeantes envers la libre entreprise.
Comme le note Marian L. Tupy de l’Institut Cato, «l’histoire d’amour de l’Afrique avec le socialisme a persisté jusqu’aux années 1990, quand, enfin, l’Afrique a commencé à se réintégrer dans l’économie mondiale». Selon le rapport Economic Freedom of World, l’économie de l’Afrique devient plus libre, son score de liberté économique est maintenant égal à la moyenne mondiale de 1996. Tupy poursuit: «Les relations commerciales avec le reste du monde ont été quelque peu libéralisées (après 1990) et les pays africains ont commencé à déréglementer leurs économies, grimpant ainsi les échelons dans le rapport du « Doing Business » de la Banque mondiale. Malgré cette tendance à la libéralisation, de nombreuses nations africaines continuent d’être en proie à la corruption, dirigées par des dictateurs et confrontées à la pauvreté persistante. Mais la ZLEC et le désir de 49 nations de poursuivre le libre-échange intra-africain est un symbole du changement des attitudes dans ce qui était autrefois décrit comme «le continent sans espoir».
Des dictatures socialistes au libre-échange, les perspectives de croissance africaine semblent bien meilleures que jamais. Espérons que cet accord ajoute des milliards de dollars à l’économie du continent, permettant à des millions de personnes de sortir de la pauvreté.
Alexander Hammond, analyste pour the Humanprogress.org
Article publié en collaboration avec Libre Afrique