Connaissez-vous Assinie, Bassam, Fresco, Grand Lahou, Jacqueville, Sassandra, la ville de San Pedro, mais aussi les communes côtières d’Abidjan comme Port-Bouët, les communes lagunaires comme Bingerville ? Toutes ces communes sont sur le littoral ivoirien, un espace privilégié, de plus en plus convoité, qui connaît un formidable développement.
A l’échelle de la planète, le phénomène de littoralisation est un processus ancien qui a pris une dimension importante dans la seconde parie du XXè siècle et qui tend à s’accélérer aujourd’hui. La migration des populations vers le littoral s’explique pour quatre raisons : l’exploitation des richesses halieutiques (pêche), la maritimisation de l’économie (zones industrialo-portuaires, grands ports maritimes), l’ouverture sur le monde (transports maritimes intercontinentaux) et le développement de l’économie du tourisme.
Les conséquences de la littoralisation sont une concentration croissante, le long des littoraux, des populations, des activités et des aménagements en raison de l’attractivité économique et résidentielle de ces zones. Ce phénomène de littoralisation est-il suffisamment analysé en Côte d’Ivoire ? Est-il suffisamment maîtrisé, alors que, selon le député-maire de la ville de San Pedro, Anoblé Félix Miézan, « la littoralisation va jouer un rôle de plus en plus important dans l’économie ivoirienne » ?
La gestion intégrée des zones côtières est le sujet d’une thèse de doctorat soutenue le 17 décembre 2019, à l’Université du Littoral Côte d’Opale, une université française située dans la région des Hauts-de-France, par Mme Bayeba Marina Céline. La thèse de doctorat de Madame Bayeba, « La gestion intégrée des zones côtières en Afrique de l’Ouest : le cas de la Côte d’Ivoire », est particulièrement intéressante, car elle aborde, d’une manière exhaustive, tous les enjeux que représente le développement des villes du littoral ivoirien. Ces enjeux sont économiques, sociaux et environnementaux.
Selon Madame Bayeba, même si la Côte d’Ivoire a ratifié la quasi-totalité des Conventions et accords internationaux prônant la gestion intégrée de cet espace et si, en 2014, une loi sur le littoral et le code maritime a été adoptée, cette gestion intégrée n’est pas encore suffisamment mise en œuvre. Or, le littoral ivoirien subit des transformations qui résultent à la fois des activités humaines avec une exploitation abusive entraînant une forte pollution (sur-urbanisation, suractivités halieutiques et aquacoles, suractivités portuaires et maritimes, activités extractives, développement touristique) et de l’impact négatif croissant des catastrophes naturelles (changement climatique, montée des eaux, érosion, accroissement des risques de type tsunami). Si cette gestion intégrée se met difficilement en place, c’est, selon Mme Bayeba, « en raison de l’éclatement des compétences et de la non connexion entre les différents enjeux relatifs à la conservation et à la protection des avantages écosystémiques, culturelles et économiques des espaces littoraux ».
La ville de San Pedro : un cas d’école
Sa formation, sa parfaite connaissance du monde politique et ses années d’expérience professionnelle dans la gestion de projets, font que Félix Miézan Anoblé, le maire de San Pedro, une ville côtière qui, par sa dimension et son rôle, concentre tous les aspects positifs et négatifs du phénomène de littoralisation, cherche en permanence à assurer la cohérence politique, économique et juridique des projets qu’il porte, comme il cherche à associer tous les décideurs publics, les acteurs privés et la société civile aux prises de décision et aux processus de développement de la commune.
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, selon Félix Miézan Anoblé, « la recherche d’un équilibre entre le développement économique, l’amélioration du cadre de vie des populations et la protection de l’environnement devient une priorité absolue, ce qui suppose que tous les acteurs, – Etats, gouvernements, administrations, entreprises, universités, centres de recherche, société civile, médias -, soient mobilisés à l’échelle locale, régionale, nationale et mondiale. »
La ville de San Pedro est un cas d’école avec le heurt des intérêts divergents entre l’activité économique et l’activité touristique. L’activité économique fait de la région la deuxième région la plus riche de Côte-d’Ivoire, notamment grâce aux activités du port, le premier port exportateur de cacao au monde avec plus de la moitié des exportations ivoiriennes. L’activité touristique, San Pedro reste une très belle station balnéaire avec 150 kilomètres de plages aménagées et de nombreux sites paradisiaques, ce qui oblige à préserver l’environnement.
Envers du décor : La ville de San Pedro a longtemps abrité le plus grand bidonville de l’Afrique de l’Ouest. Face à son avenir, la ville de San Pedro doit conserver son rang de puissance économique en développant ses activités portuaires et préserver son statut de station balnéaire de renom en protégeant l’environnement. Des solutions existent : la trajectoire de la puissance économique et de la modernisation n’est pas contradictoire avec l’ambition de faire de la ville de San Pedro un « rempart vert » contre le réchauffement climatique.
Agir ensemble
Les villes du littoral ivoirien doivent agir ensemble autour des enjeux spécifiques du développement économique et de la protection de la zone littorale et marine. Si chaque ville présente des particularités géographiques, sociales et environnementales spécifiques et des enjeux différents selon les régions côtières, elles ont des préoccupations communes qui doivent les conduire à se regrouper dans une association destinée à devenir un lieu d’échanges, de partage du savoir et des expériences entre les élus, les professionnels de la mer et les partenaires publics et privés.
Aujourd’hui, dans un contexte inédit de crise sanitaire, de guerre en Ukraine, d’insécurité alimentaire, l’intelligence et l’action collectives sont plus que jamais nécessaires. On peut imaginer des « Assises du littoral » sur le thème suivant : « Face aux défis et aux crises majeurs : quelle résilience pour les littoraux ? » Autres points importants qui concernent le littoral : 1) aucune commune du littoral ne peut faire l’économie d’une analyse stratégique qui concerne l’articulation entre sa région, la mer et le littoral 2) le recul du trait de côte face aux risques d’érosion et de submersion, ce qui doit conduite à une action concertée pour obtenir de l’Etat, des collectivités et des bailleurs de fonds les moyens techniques et financiers de lutte contre de tels risques 3) Une action concertée permet aussi de trouver de nouveaux partenariats dans le cadre de la coopération décentralisée.
Qui, parmi les maires des communes du littoral, a entendu parler ou a participé au « One Ocean Summit », qui s’est tenu en France, à BREST, début février 2022 ? Ce genre d’événement offre l’occasion de faire connaître la Côte d’Ivoire maritime et valoriser les territoires du littoral à tous les niveaux institutionnels. La Côte d’Ivoire aurait tort de détacher sa façade maritime de son projet de développement. Le littoral concentre tous les enjeux économiques, sociaux et environnementaux et toutes les urgences de notre époque.
Christian Gambotti
Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Directeur général de l’Université de l’Atlantique
Contact : cg@afriquepartage.org