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    La Chronique de Christian Gambotti – Les coups d’État militaires au Sahel : le signe d’un double désenchantement

    La Chronique de Christian Gambotti – Les coups d’État militaires au Sahel : le signe d’un double désenchantement
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 6 minutes

    Depuis des années, au Mali et au Burkina Faso, deux pays du G5 Sahel, la situation se caractérise par une montée de l’insécurité et une aggravation des conditions de vie  pour les populations qui semblent condamnées à la pauvreté et à la précarité. Cette situation a pu rendre illégitimes les gouvernements civils d’IBK au Mali et de Kaboré au Burkina, les deux présidents renversés, d’abord, aux yeux de la rue, qui subit les effets de la mauvaise gouvernance, et, ensuite, à ceux  des colonels qui n’acceptent plus de commander à des armées sans moyens. Tous les putschistes au Mali et au Burkina sont colonels et ils ont une quarantaine d’années. Peut-on parler de la revanche des colonels sur les généraux et une passation forcée du pouvoir au profit d’une nouvelle génération. S’agit-il de la mise à l’écart de gouvernements civils qui ont échoué et d’une ancienne génération qui a failli ? S’agit-il d’un renoncement à l’ordre constitutionnel et démocratique au profit d’une forme autoritaire du pouvoir ? S’agit-il d’un retour de l’Afrique à l’ère des 100 coups d’Etat qui ont ponctué son histoire depuis les années 1950 ? S’agit-il d’une guerre perdue et de l’ultime défaite de l’Occident en général et la France en particulier, poussés en dehors de l’Histoire par le retour de la lutte anticoloniale et les soubresauts d’un nouvel ordre mondial ? L’Histoire n’est pas immuable : l’Afrique n’est pas condamnée à une instabilité chronique et les populations africaines, à la pauvreté et à la précarité ; l’Occident ne peut pas continuer à décider du destin du monde au nom des valeurs universelles qu’il incarne en ignorant le retour de la Chine et de la Russie sur la scène internationale et l’arrivée de nouvelles puissances régionales. Le monde change, mais la mythologie hugolienne de l’action civilisatrice de l’Europe continue à imbiber l’imaginaire occidental. 

    Le double désenchantement, celui des populations et des militaires. 

    L’arrivée d’IBK au pouvoir au Mali et celle de Roch Marc Christian Kaboré au Burkina ont d’abord représenté, pour les populations, un moment d’espoir. IBK, socialiste et membre de l’Internationale socialiste, portait la promesse d’une croissance inclusive et d’un bonheur collectif ; Kaboré était le premier Chef d’Etat burkinabè élu démocratiquement depuis 1978. Incapables de faire face à la poussée des groupes armés et à la multiplication des massacres malgré les appuis extérieurs, ces régimes sont devenus impopulaires. Accrue par la détérioration de la situation sécuritaire, la tension entre autorités civiles et autorités militaires s’est traduite par des coups d’Etat militaires avec l’assentiment de la rue. Paradoxe absolu : les militaires apparaissent comme des libérateurs et les coups d’Etat comme une alternance politique acceptable pour une partie de la population. À la faveur des crises sécuritaires et sociales, l’armée fait donc son retour en politique, ce que condamne la Cédéao.

    La dé-légitimation politique de l’Occident et de la France au Sahe

    Les coups d’Etat militaires sont-ils de nature à entraîner de départ de  la France et de l’Union Européenne du Sahel ? La passation forcée du pouvoir rend-elle la position française intenable ? Ces questions peuvent se poser pour le Mali, elles se posent moins au Burkina Faso. Au Mali, la France est engagée militairement depuis 2013. Elle est alors accueillie en libératrice par les populations maliennes. Déclenchée par François Hollande, l’opération Serval est un formidable succès. Elle met un coup d’arrêt à la progression des djihadistes, empêche la déstabilisation complète de la région et la création d’un Etat islamique au Nord du Mali. Neuf ans plus tard, la situation et le contexte ont complètement changé. La guerre contre le terrorisme est devenue asymétrique avec la dissémination des groupes djihadistes dans une vaste région impossible à contrôler ; la présence de l’armée française sur le sol malien – l’opération Serval ayant changé de nom pour devenir Barkhane -, est présentée, par certains, comme un acte d’ingérence, Barkhane se voyant reprocher son incapacité à éradiquer la contagion djihadiste et ses interventions au Sahel sans l’autorisation des pays concernés.

    La junte malienne fait le même reproche à Takuba, le groupement européen des Forces spéciales qui rassemble 14 pays et qui a vocation à prendre le relais de l’opération Barkhane au Sahel. Le déploiement de Takuba est aujourd’hui compromis pour trois raisons :  1) le gouvernement de transition malien entend ne pas permettre à des pays étrangers « de faire des choix à sa place et encore moins de décider quels partenaires il peut solliciter ou pas »  2) Les militaires entendent, à court terme, s’appuyer  sur la milice privée russe « Wagner », afin de former les FAMa et assurer la protection des hautes personnalités du pays 3) A moyen terme, la junte entend renoncer à ses alliances traditionnelles pour les remplacer par les Russes. Wagner, qui est le faux-nez de l’offensive russe en Afrique, reçoit le soutien logistique et politique de Moscou. Les manifestations profrançaises qui avaient célébré l’opération Serval en 2013 se sont transformées, ces derniers mois, en manifestations antifrançaises au Mali et, dans une moindre mesure, au Burkina Faso et au Niger. 

    Les limites de la passation forcée  de pouvoir 

    Les putschistes affirment tirer leur légitimité politique du soutien de la rue, soutien exagérément amplifié sur les réseaux sociaux et mis en scène par l’organisation de manifestations destinées à remettre en cause les relations avec la France. Une junte militaire accompagnée par une milice privée peut-elle prétendre résoudre une guerre faite de multiples conflits et une crise sociale dont les causes sont multiples ? Le départ de la France et de l’Union européenne du Mali est-elle une solution ? L’Afrique a déjà connu tous les scénarios du pire. Le 28 Septembre 1958, la Guinée de Sékou Touré dit non à la France. Le 29 septembre, Paris met fin à toutes les aides consenties à la Guinée, retire son personnel technique et les forces armées. Le geste historique de Sékou Touré, accompli au nom de la lutte anticoloniale et d’une idéologie  panafricaine, sera terni par la dérive totalitaire. Le débat mémorial sur les libérateurs africains oscille toujours entre la sacralisation de la figure du héros et la dénonciation de celle du tyran. La montée de l’insécurité a fait entrer le Sahel dans la saison des colonels. Les putschistes seront-ils des héros ou des tyrans ? L’Histoire nous le dira. Malgré l’escalade des affrontements entre la France et le Mali, personne ne souhaite écrire le scénario du pire au Sahel. Le Mali affirme sa volonté d’assumer la prochaine présidence du G5 Sahel. La Cédéao refuse d’aggraver les sanctions contre le Burkina. La solution politico-militaire que propose le Tchad est soutenue par la communauté internationale. Si plus rien n’est comme avant au Sahel, la France et l’Union Européenne ne sont ni vaincues, ni humiliées. L’ingérence russe est simplement le signe qu’un nouvel ordre mondial se construit. Félix Houphouët-Boigny disait : « Qui aura l’Afrique dominera le monde. C’est une vérité, parce que qui aura l’Afrique sera maître des matières premières dans le monde. » La Chine, véritable puissance politique, économique et financière, est en avance sur la Russie, elle sait que le temps joue en sa faveur. Moscou, très en retard, est obligée, pour gagner du temps, de développer des logiques d’affrontement avec l’Occident.

    Christian Gambotti 
    Agrégé de l’université – 
    Politologue, essayiste – 
    Président du think tank Afrique & Partage – 
    Politologue, éditorialiste. 
    Contact: cg@afriquepartage.org

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