Le Président Kagamé suscite des articles élogieux dans la presse africaine. Tout le monde voit en lui « un grand homme » qui a accompli des prouesses économiques. Le nombre record de Chefs d’Etat africains à sa prestation de serment en 2017 en dit long sur la considération que lui porte ses pairs, alors que dans la foulée celle du brave Georges Weah quelque mois plus tard n’a pas vu affluer autant de monde, bien que son élection ait été plus transparente.
L’homme a pris de l’ascendance sur les autres présidents africains, surtout ceux d’Afrique francophone qu’il intimide indéniablement. Erigé en modèle, plébiscité par la presse, le Président Kagamé est un personnage haut en couleur sur la scène africaine. Il est aujourd’hui une icône en matière de politiques économiques, un homme qui symbolise le résultat. Le traité de libre-échange continental (la fameuse ZLECA) lui est attribué en grande partie. Pourtant lorsqu’on plonge un instant dans la vie de ce monsieur, au-delà de cette image flamboyante que nous montre la presse, on tombe alors sur des aspects du personnage qui donnent tout simplement froid dans le dos.
Le bilan économique du Président Kagamé Paul
On en parle beaucoup dans les médias. C’est exact, l’économie rwandaise est en forte expansion depuis les années 2000. Mais ce qu’on oublie, cette prospérité ne date pas d’hier. Dans les années 70 et 80, le pays était qualifié de “suisse”, du fait de cette prospérité qui le différenciait de ses voisins. Le Rwanda a toujours été une terre d’abondance, de commerce, un pays grand exportateur de produits agricoles comparativement à sa taille et à sa population.
Le génocide a eu un impact dévastateur, traumatisant, massif, mais conjoncturel. Faisons le parallèle avec l’Allemagne. En 1945, ce pays était dévasté, rasé, ruiné, coupé en deux. Cinq années après, en 1950, le pays est redevenu un géant. On a parlé de miracle allemand, ce miracle ne fut pas attribué au chancelier en place à l’époque, mais bien au peuple allemand, un peuple discipliné, ingénieux et travailleur. La guerre n’a pas modifié ces paramètres. Ce schéma s’applique au Rwanda. Les fondamentaux n’ont pas été affectés. Les terres sont restées fertiles, et la population travailleuse, commerçante. Les activités sont reparties dès la paix retrouvée.
D’autre part, le Rwanda continue de faire l’objet d’aides massives (30% de son budget annuel). Le pays a longtemps pillé l’est de la RDC (il exporte certains minerais qui ne se retrouvent pas dans son sous-sol). Le Rwanda bénéficie de facilités tarifaires vers les USA (en plus de l’AGOA), il faut aussi mentionner divers autres programmes de la Banque Mondiale à son égard. Enfin comme dans toute dictature, nous avons la stabilité. Tous ces facteurs conjugués créent la croissance.
Cette croissance est avant tout l’œuvre du peuple rwandais, c’est lui qu’il faut féliciter. Le président Kagamé n’est ni un génie en politique économique, ni un gestionnaire incorruptible, ni un planificateur hors pair, ni un visionnaire en investissement, même si beaucoup voient en lui un « grand manager » !
Le Rwanda : le pays “moins corrompu” d’Afrique ?
Là encore il faut regarder les choses de près. Il y a quelques années, le nom de la première dame fut cité dans le détournement de l’aide occidentale pour la lutte contre le sida à travers la fondation qu’elle dirige. On soupçonna le médecin personnel de Kagamé Paul d’être le responsable des fuites. Il fut arrêté à maintes reprises, et finalement abattu dans un commissariat, « en tentant de désarmer un policier » selon le communiqué officiel.
Deux fils de Paul Kagamé ont gravi de façon fulgurante les échelons au sein de l’armée, un autre de ses fils a été nommé au conseil de gouvernement, une structure qui a la prééminence sur le gouvernement. La première fille de Kagamé a une main-mise sur l’administration présidentielle. Népotisme ou pas ? Les diamants et autres pierres précieuses pillées en RDC et exportées, ne sont pas comptabilisés dans les recettes de l’Etat rwandais. Ils font l’objet d’une comptabilité parallèle selon un rapport paru en 2015.
En fait au Rwanda tout est mis en œuvre afin que les investisseurs obtiennent rapidement les documents exigés. Cette célérité donne l’impression d’une absence de corruption. Mais une fois dans la place, l’écaille leur tombe des yeux. Dans ce pays la justice est aux ordres, or une justice indépendante est la condition première dans la lutte contre la corruption. D’autre part , le droit de cuissage , le fait d’exiger des faveurs aux femmes en échange de menus services au sein de l’administration, est une pratique qui fait rage dans le pays, toutes les ONG le dénoncent. Ce qui montre l’état de dégradation morale de la population.
Enfin en 2019, la Banque mondiale accusa ouvertement le Rwanda de mentir sur ces données économiques, ce qui fit grand bruit. Comme toujours, le Président Kagamé a pris l’offensive pour montrer que son pays n’avait rien à cacher. Pourtant les médias et ONG ont interdiction de parler des problèmes de faim, de chômage, de pauvreté et de mendicité dans le pays. Les mendiants sont pourchassés et emprisonnés à Kigali, où il est interdit de cuisiner avec du charbon de bois ! Le Rwanda doit absolument être présenté sous le meilleur aspect possible !
Le Rwanda : champion de la parité homme / femme ?
Le pays est cité en exemple sur cette question. Le parlement comporte plus de femmes que d’hommes, et les principales structures de l’Etat sont tenues par des femmes. Mais encore une fois, il faut être prudent. Comme tout dictateur, le président Kagamé se méfie de tout le monde, veut tout contrôler, ne délègue rien. Tout ministre doit obtenir l’autorisation de la présidence avant de s’exprimer dans les médias.
Ainsi aux postes importants, il convient de placer des femmes, elles ne posent jamais de question et obéissent toujours docilement. Alors que les hommes, du fait de leur orgueil naturel, représentent toujours un « danger ». La hantise de tout dictateur est de susciter l’émergence d’un rival potentiel. La promotion des femmes permet ainsi au Président Kagamé de mieux tenir les choses.
En réalité, le sort des femmes importe peu à Paul Kagamé. Lors des deux guerres qu’il a déclenchées en RDC, les femmes étaient violées en masse sans qu’il ne s’en émeuve. Au Rwanda il a emprisonné deux femmes qui avaient l’intention de participer aux présidentielles. Victoire Ingabira en 2010, et Diane Rwigara en 2017. Pour la seconde, une vidéo d’elle dans sa nudité a circulé sur les réseaux sociaux dans le but évident de la discréditer. L’auteur de la vidéo a été identifié mais pas inquiété par la police. C’est dire sa proximité avec le pouvoir, c’est dire le peu de considération de Kagamé envers les femmes, c’est dire enfin l’état d’âme de l’homme. Car cette jeune dame d’une trentaine d’années, assez inconnue, ne pouvait en aucun cas remporter ce scrutin. Mais le fait même qu’elle ose se présenter était inacceptable pour le président Kagamé !
Ces deux femmes ont plus tard été libérées car le Rwanda avait présenté la candidature de sa ministre des Affaires étrangères au poste de Secrétaire Générale de l’OIF en 2018. Une pression s’est donc exercée pour leur libération. Mais elles restent en résidence surveillée depuis lors, et leur retour en prison sous un prétexte quelconque n’est pas à écarter. Le Rwanda reste l’un des rares pays africains qui emprisonnent les femmes politiques.
Un régime athée
Dès sa prise du pouvoir en 1994, le Président Paul Kagamé accusa ouvertement l’Eglise catholique d’avoir été « mêlé » au génocide, et exigea des ” excuses “. En 2016, il fut reçu par le Pape au Vatican qui présenta les « excuses » de l’Église, ce qui n’a pas pour autant réchauffé ses rapports avec le clergé rwandais.
Comme toute l’Afrique sub-saharienne, le Rwanda est affecté par cette dynamique des Églises libérales, qui se créent chaque jour et mobilisent toujours plus de monde. Dictateur assumé, Kagamé ne pouvait qu’être méfiant envers tout ce qui représente un pouvoir parallèle. Dans un discours qui présageait de ses intentions en 2017, il s’est publiquement alarmé du fait que la seule capitale Kigali comptait plus de 1200 Églises ! Pour lui, il aurait préféré des forages à leurs places!
En Décembre 2017 la foudre a frappé un bâtiment qui abritait une église, faisant 16 morts. Le Président Kagamé ordonna aussitôt la « fermeture » de plus de 7 000 Églises à travers le pays, pour non-respect des « normes de sécurité ». Concrètement plus aucun office religieux ne devait se tenir dans ces bâtiments. Six prédicateurs ont été arrêtés pour avoir organisé des prières à domicile. Désormais les conditions pour ouvrir un lieu de culte sont si drastiques que cela revient à une interdiction pure et simple. S’exprimant peu après, Paul Kagamé affirma « ne pas comprendre ce que les Églises apportent à la population ! ».
Dans l’histoire contemporaine de l’Afrique, c’est la première fois que la liberté religieuse est foulée au pied dans une telle ampleur. L’ex- Président Omar El Béchir du Soudan, souvent décrit comme hostile aux populations chrétiennes de son pays, ne s’était pas montré aussi dur. Kagamé Paul est désormais dans le viseur des congrégations américaines, très présentes en Ouganda voisin. Elles ont une influence sur la politique étrangère des USA. L’homme risque gros s’il est étiqueté en tant ‘’ persécuteur ’’.
Le Rwanda : une dictature ” modèle ” ?
Géant au physique émacié, le Président Kagamé Paul ressemble davantage aux Africains de la Côte orientale (Ethiopiens, Somaliens, Djiboutiens), qu’aux Africains de l’intérieur du continent. Son profil austère est le symbole de la discipline militaire. Dénué d’émotions, il est froid et impitoyable.
Pas une grève, pas un sit-in, pas une marche, aucune revendication sociale n’est tolérée. Les opposants à l’extérieur sont systématiquement assassinés. Le dernier Roi du Rwanda est décédé en exil aux USA en 2016, il avait interdiction de rentrer. L’interdiction reste valable pour son successeur qui vit à Londres. La constitution a été modifiée afin que Paul Kagamé puisse rester en place jusqu’en 2036 ! Bien qu’elle limite à nouveau le nombre de mandats, on voit difficilement ce qui pourra empêcher Kagamé Paul d’être président à vie.
Tout le monde trouve peut-être à ” manger et à boire ” au Rwanda, mais la dictature est implacable. Avec l’Erythrée, le Rwanda est qualifié de « pays-prison » par les ONG occidentales des droits de l’homme. Les Présidents Alpha Condé de Guinée et Patrice Talon du Bénin ont publiquement avoué leur admiration du Président Kagamé. Lentement mais sûrement, ces deux pays sont devenus des dictatures sur le même modèle, avec la croissance en moins !
Le Président Kagamé Paul : un ” grand homme ” ?
Le Président Kagamé a déclenché deux guerres en RDC. La première a conduit à la chute du maréchal Mobutu. La seconde ne lui a pas permis de renverser le Président Kabila père. Ces guerres ont mobilisé les armées de plusieurs pays, et fait des centaines de milliers de morts, de déplacés, de disparus. Plus tard, il va soutenir des mouvements armés dans l’Est de la RDC (CNDP, M-23, …). Il en résulta encore et encore des milliers de morts, de déplacés, des viols en masse, des massacres de tous genres etc…. Personne n’ose condamner ce monsieur. Tout le monde se couche devant lui. Tout le monde est intimidé.
N’oublions pas les milliers de morts suite à sa violente prise du pouvoir. Enfin, l’identité de ceux qui ont abattu l’avion du Président Juvénal Habyarimana n’a toujours pas été élucidée, bien que les indices convergent tous vers Paul Kagamé, à l’époque le ” patron ” du Front Patriotique Rwandais (fpr). Ce crime profita pleinement à ses troupes, qui ont exploité la désorganisation de l’armée gouvernementale suite à la disparition brutale de son chef. Le génocide qui s’est produit est la conséquence directe de la disparition du Président Habyarimana.
Aucun dirigeant de l’Afrique contemporaine n’a été directement responsable de la mort d’autant de personnes que le président Kagamé. Quels sont les « anges » qui lui soufflent à l’oreille ? Sous quelles influences mystiques est-il ? Le parcours du Président Kagamé, ses méthodes, les fantômes qu’il a laissés derrière lui, ne doivent pas être occultés. Faire l’impasse sur cela, l’encenser, le plébisciter, tout ramener à des questions macroéconomiques comme le font actuellement les médias revient à préparer le lit à de nouveaux cataclysmes, car les jeunes générations vont s’en inspirer. Est- ce le modèle qu’il faut leur présenter ?
Douglas Mountain, oceanpremier4@gmail.com