Le juriste guinéen, Mohamed Camara est remonté contre la violation répétée des lois de la République. Dans un document transmis à la presse, le professeur de droit dit « halte à la violation récurrente des textes par certaines Institutions ».
Afrikipresse propose l’intégralité de son analyse !
La Loi a un caractère général, impersonnel et obligatoire. Sa violation résulte entre autres du refus de l’appliquer, de l’excès dans son application ainsi que de l’inobservation de la procédure y afférente. On assiste à une violation récurrente de textes tant par certaines Institutions (I) que par certaines autorités administratives (II).
La violation faite par certaines Institutions : Les Institutions censées respecter en premier la loi, font le contraire en mêlant le développement de l’argutie juridique (A) à la prise d’actes administratifs unilatéraux inappropriés (B) pour tordre le cou au droit.
La Cour Constitutionnelle :
Elle commence son baptême de feu par des nouveautés étonnantes en droit tant dans le règlement du contentieux (A) que dans l’investiture du Président élu (B).
1°)- Dans le cadre du contentieux :
En motivant sa décision face à une requête, elle marque sa préférence pour une maxime juridique« qui peut le plus, peut le moins » alors que la législation en vigueur permet de vider le contentieux. Elle gagnerait à ne statuer ni infra petita, ni ultra petita sur le fondement de l’article 14 du Code de Procédure Civile.
2°)- Dans le cadre de l’investiture du Président élu :
Elle met une semaine entre la prestation de serment et l’entrée en fonction. Le prétexte, la préposition invariable « après » n’est pas précise alors que c’est la même formulation depuis la Constitution de 1990 en son article 31 alinéa 6. En droit guinéen, le Serment est immédiatement suivi de la réponse de la personne devant laquelle, il est prêté. Au serment prêté, la personne est immédiatement renvoyée dans l’exercice de ses fonctions. Il s’y ajoute qu’on ne prête pas un serment sous l’empire d’un serment en cours de validité. L’anticipation ne se fait que pour deux exceptions :
1°)- En cas de décès ou d’empêchement définitif du Président de la République en exercice avant l’entrée en fonction du Président élu, celui-ci entre immédiatement en fonction » conformément à l’article 34 alinéa 9 de la Constitution du 7 mai 2010. On n’est pas dans ce cas de figure !
2°)- Lorsque le Président en exercice démissionne, décède ou a un empêchement définitif, l’intérim sera assuré par le Président de l’Assemblée Nationale en application des articles 41 et suivants de la Constitution de 2010. On n’est pas non plus dans ce cas de figure !
En clair, ce bricolage juridique engendre assez de conséquences. Doublure de serments vu que l’ancien court jusqu’au 21 décembre et celui du 14 décembre aussi étant donné qu’un serment prend effet à compter de sa date de prestation. Le facteur temporis n’est pas respecté et les articles 27, 34 et 35 de la Constitution de 2010 sont ainsi violés. C’est un précédent dangereux pour le futur. Dans l’éventualité qu’un nouvel élu foncièrement opposé à un Président en exercice, demande à prêter serment 50 jours avant la fin du mandat tout en prononçant un Discours à la Nation aux relents d’instructions à l’administration. En théorie, le nouvel élu aura provoqué celui en exercice. En pratique, il sera écouté par certains cadres soucieux de la préservation de leurs postes. C’est doublement coûteux. Il joue sur l’image du pays à l’étranger en termes de paresse et d’obsession festive plutôt que de se mettre au travail. « La loi est dure, mais c’est la Loi » ! Tordre le cou au droit pour des motifs inavoués, c’est contribuer à dégrader les acquis de l’Etat de Droit par le biais de l’argutie juridique. Et comme par conformisme, la Présidence de la République a suivi à sa manière, les traces de la Cour Constitutionnelle.
La violation du droit administratif en série par l’Exécutif :
L’Exécutif persiste dans la violation du droit tant dans la perspective de l’Investiture (A) que dans les « sanctions » administratives infligées à certains cadres au cours du dernier trimestre 2015 (B).
La création de la Commission Nationale d’organisation de l’Investiture :
A la suite du Communiqué de la Cour Constitutionnelle sur l’investiture, le Ministre Directeur de Cabinet prend l’Arrêté A/2015/5954/PRG/CAB qui tord le cou au droit administratif. Il mêle les Départements, Services et les personnes physiques dans sa composition. Sans compter qu’il se nomme lui-même en qualité de Président de ladite Commission. On ne se nomme pas soi-même en droit administratif. Il y est mentionné clairement ceci : « Le Président de la République ; Vu la Constitution ; Vu le Décret D/2012/132/PRG/SGG du 12 décembre 2012 portant Organisation de la Présidence de la République ; Arrête ». Non ! Un Président n’arrête pas ! Il Décrète !
L’Exécutif veut faire une investiture gradeur nature. Malheureusement, certains cadres n’ayant pas compris cela seront sanctionnés à la RTG pour défaut de sonorisation et à Kouroussa pour impuissance à maintenir le calme. Les uns sont suspendus par Décret en violation de l’article 78 de la Loi 028 du 31 décembre 2001 portant statut général de la fonction publique.
Ceux de Kouroussa jadis nommés par Décret, sont révoqués et suspendus par un simple communiqué en violation du principe de parallélisme des formes. Ces actes feront malheureusement l’objet d’études de cas atypiques comme d’habitude dans les Universités à l’Etranger et en Guinée, au détriment de l’image de marque du pays avec la gêne que cela occasionne.
En tout état de cause, faire l’investiture de la sorte, c’est commencer le mandat sous un mauvais signal juridique. Continuer à prendre des actes sans respecter la procédure, ne consolide ni l’Etat de Droit, ni le civisme et ça expose le pays à la moquerie des observateurs étrangers. Le non respect de la procédure fait que le projet de Budget n’est jusque là pas sur la table de l’Assemblée Nationale (en chômage technique malgré la période de session ouverte). Il s’y ajoute que les Députés de l’opposition ont pris l’habitude de vider l’Assemblée Nationale en violation de l’article 70 de la Constitution. Suspendre par Décret, ne respecte pas la procédure et c’est symptomatique de nervosité, toute chose incompatible avec la gestion de l’Etat. Et mieux, on ne se rend compte de l’impact négatif de la violation des droits que lorsque vos droits seront violés.La Cour Constitutionnelle doit redéfinir son approche en résistant à toute pression des politiques et des milieux d’affaires pour mieux garder la Constitution.
Enfin, que les citoyens respectent l’article 22 de la Constitution de 2010 qui les obligent à promouvoir les valeurs démocratiques pour contribuer à l’édification de l’Etat de Droit. Qu’ils cessent de se rendre justice eux-mêmes. Que les juges tranchent. Que l’Etat assure la sécurité des citoyens en déployant des agents sur l’étendue du territoire en motivant les agents de l’intérieur du pays par une prime d’éloignement. Qu’il vulgarise les textes en langues nationales. Que les médias évitent de diffuser les images d’horreur et qu’ils floutent les figures des personnes arrêtées en respectant la présomption d’innocence.
Par Mohamed CAMARA, Juriste, professeur de droit à Conakry