Des détenus se sont révoltés lundi 9 novembre 2015 à la Prison centrale de Conakry occasionnant des blessés et des dégâts matériels importants. Pour en savoir davantage sur ce qui s’est passé à la maison d’arrêt, l’un des lieux les mieux sécurisé du pays, Afrikipresse a interrogé un avocat guinéen, qui pratique ce lieu d’incarcération.
Maître Frédéric Foromou Loua qui est également président d’une ONG des droits humains: Mêmes Droits pour Tous (MDT) , a répondu en exclusivité aux questions de notre rédaction.
AFRIKIPRESSE : une mutinerie s’est emparée de la prison civile de Conakry lundi, dites-nous ce qui s’est réellement passé !
Il y a eu effectivement un soulèvement au niveau de la Maison centrale dû aux commissions de détention, et également dû au fait que le taux de détention illégale dans cette prison est en train de s’élever de façon inquiétante. Les détenus s’étaient révoltés non seulement pour demander justice mais aussi pour exiger l’amélioration de leurs conditions de détention.
Selon vos constats et les informations à votre disposition, d’où est venue cette mutinerie ?
D’après les informations que nous avons reçues, l’insurrection est venue à la suite d’un contrôle de routine qu’effectuait le Régisseur dans une cellule. À la suite de ce contrôle, il aurait tiré dans la cellule. Ce qui aurait provoqué le mouvement de mécontentement. Ce sont des informations que des détenus nous ont rapportées et nous sommes en train de les vérifier.
Vos informateurs parlent du premier coup de feu venu du Régisseur alors que d’autres disent qu’ils y’avait des prisonniers armés ?
Les détenus disent qu’ils sont maltraités par le Régisseur et son staff. On n’a pas la confirmation que des détenus ont tiré parce que quand on parle d’échange de tirs, c’est ciblé quoi. Ce que nous savons, hier, il y avait des tirs de sommation dans la cour et aux alentours de la Maison centrale. Ceci, c’était pour chercher les détenus qui s’étaient révoltés, qui avaient cassé certaines portes et qui scandaient « justice, justice, justice ! »
De sources non officielles parlent d’une affaire qui aurait été préparée à l’intérieur même de la prison…
Non, je ne pense pas. Ce qui est clair, c’est que le fonctionnement de la justice est particulièrement attentatoire aux droits des détenus. On est prompt à envoyer des gens en prison, mais on traîne, et on refuse de libérer les prisonniers dont la détention est injustifiée au regard de la loi. Il y a beaucoup des détenus qui se retrouvent en situation de détention illégale.
Je rappelle que cette prison a été construite pour 300 personnes mais aujourd’hui la population carcérale dépasse les 1500 détenus. Du coup, il y a une surpopulation qui affecte leurs conditions de vie. Ce soulèvement était parti de là. Les détenus ne demandent que justice. Ce que nous sommes en train de faire en tant que défenseurs des droits de l’Homme, c’est que l’État puisse donner les moyens pour pouvoir rendre justice aux personnes qui font l’objet de poursuite pénale dans des délais raisonnables. Il n’est pas bon de jeter des gens en prison et de s’abriter pour dire que l’État n’a pas les moyens pour organiser les sessions d’assises. La question de justice est une question régalienne, donc une question de souveraineté. Le premier droit d’un détenu est son droit à un procès équitable et dans un délai raisonnable.
Connaît-on aujourd’hui le nombre des prisonniers ayant pu s’évader hier de la Maison d’arrêt ?
Hier le coin était complètement quadrillé, ça tirait partout. Donc, il était très risqué de s’aventurer dans de telles circonstances. Ce sont des détenus à partir de la prison qui nous donnaient certaines informations comme quoi, il y’aurait eu des personnes tuées, des blessées et que des gendarmes se livraient à des scènes de tortures… Ce sont des informations que nous vérifions. En ce moment (13 heures 25) nous sommes dans la cour de la prison. Effectivement, nous avons constaté des blessés mais pas de morts. Nous avons eu des informations comme quoi il y a des blessés qui ont été transférés dans des camps militaires notamment au camp Almamy Samory Touré. Ici, la cellule des femmes est complètement vide. Toutes les femmes ont été transférées pour l’instant on ne sait pas où , et certains détenus l’ont été également. Nous sommes en train de nous poser : quelles ont été les conditions de transfèrement ? Où ils ont été transférés ? Et nous demandons que ces conditions de transfèrement puissent répondre aux exigences des droits de l’Homme et que les nouveaux lieux de détention ne soient pas des camps militaires. Il faut qu’on trouve des lieux appropriés pour qu’ils puissent recevoir dignement la vie humaine. Ce que nous savons, il y a en ce moment des blessés qui sont traités au camp Samory et d’autres à l’infirmerie de la prison. Tout est fermé et nous n’avons pas de répondant.
Nous demandons au ministère de la justice de faire en sorte, que ce transfèrement ne soit pas l’objet de violation massive des droits de l’Homme. Nous demandons aux services de sécurité de ne pas se livrer à des scènes de violations des droits humains et de tout faire pour répondre aux exigences du droit international.
Quel est l’état de la prison au lendemain de la mutinerie ?
Aujourd’hui, même la mosquée de la prison est transformée en cellule de détention. Le réfectoire, la case des mineurs, il y en a aussi dans les cellules. Le sol de la prison est jonché de tissus, des chaussures, des morceaux de papiers. Le bureau du Régisseur a été saccagé, les vitres cassées. Bref, c’est une scène de désolation qui est là en ce moment. Dans ce cas, on ne peut pas comprendre combien de personnes ont été déférées, combien ont été blessées, combien sont détenues hors de la prison. C’est une situation confuse. C’est pourquoi nous avons appelé à une enquête impartiale qui implique les ONG des droits de l’Homme pour qu’on puisse comprendre ce qui s’est passé, et le cas échéant, situer les responsabilités.
Vos êtes avocat et Président des MDT. Quel est le nombre de détenus que vous défendez ?
Nous, nous travaillons sur tous les cas des détentions illégales. Nous avons quatre critères : la sévérité de violation des droits de l’Homme, la vulnérabilité de la victime, l’absence d’avocats pour assister et l’absence des moyens financiers pour le détenu de s’offrir des avocats. Si toutes ces conditions sont retenues, nous intervenons. Donc aujourd’hui, nous intervenons sur tous les cas des détentions illégales qui répondent à ces critères. Ce qui veut dire que nous avons beaucoup de clients et des dossiers. Pour l’instant, nous sommes en train de chercher à savoir où est-ce que nos détenus sont transférés parce que nous n’avons pas accès aux détenus. Nous avons demandé au responsable de la gendarmerie qui à pris la relève de l’administration pénitentiaire, de nous donner l’occasion de nous entretenir avec un détenu, il a refusé en nous intimant de nous référer à sa hiérarchie. Nous sommes en train de mener nos enquêtes et peut être dans les heures qui suivent, nous allons animer une conférence de presse pour demander que le droit soit respecté et que la dignité humaine le soit aussi, dans le cadre de la révolte au niveau de la prison civile de Conakry. Nous sommes en train de glaner nos informations pour savoir ce qui s’est exactement passé. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a des hauts officiers de l’armée sont détenus dans cette maison civile. Comme interdiction nous a été faite de parler aux détenus, nous continuons à mener nos enquêtes afin d’éclairer la lanterne de nos concitoyens à l’occasion de notre conférence de presse.
Entretien téléphonique réalisé par Aliou BM Diallo