Mario Giro, ex vice-ministre des affaires étrangères italien, dans les gouvernements de Matteo Renzi et de Paolo Gentiloni. Né à Rome il y a 62 ans, cet expert italien de la géopolitique mondiale enseigne aussi, l’histoire des relations internationales à l’université de Perugia.
Depuis plus de 20 ans, Giro est analyste de la géopolitique mondiale et surtout des dynamiques des conflits africains.
Comme représentant des institutions italiennes et de la Communauté de San Egidio, il a visité plusieurs pays: de la Côte d’Ivoire en passant par le Soudan, le Burundi et bien d’autres…
L’ex vice-ministre des affaires étrangères est aussi, un responsable du parti politique Démos (Démocratie Solidale).
Plus, il a à son actif plusieurs ouvrages!
Ses dernières publications en date sont : « Algérie en Otage » ;« Nous terroristes histoire vraie du Maghreb à Charlie Hebdo » ;« Global Africa, la nouvelle réalité des migrations »; et «Guerres noires, guide pour les conflits de l’Afrique contemporaine», sorti le mois dernier.
Professeur dans votre dernier ouvrage, sorti le mois dernier ayant pour titre : Guerres noires guide au conflit de l’Afrique contemporaine. Pour vous que signifie guerres chroniques?
En vérité, ce n’est pas seulement en Afrique que les guerres sont chroniques. Mais là, il y a énormément de ressources locales, des richesses naturelles en gisements considérables, qui font que les conflits deviennent très longs et chroniques. Par ailleurs, il y a un autre élément impactant du fait que, la guerre est devenue une espèce de business de professionnels des armes. Ainsi, la guerre étant privatisée, elle a permis à beaucoup de personnes/groupement de personnes ou d’entreprises qui ont les armes, d’en faire du business de très haut niveau et de vendre leurs services aux rebelles et, plus souvent aussi aux djihadistes…
Pourquoi en Europe en général, et en particulier en Italie et dans les médias occidentaux, les guerres en Afrique sont représentées comme brutales, sauvages voire exclusivement ethnique et surtout archaïque?
Parce que c’est une manière un peu simpliste, dans la façon d’interpréter et de divulguer les news. Ces médias recherchent plutôt le sensationnel afin, semble-t-il d’avoir plus d’audience au niveau des lecteurs ou des téléspectateurs.
Plus encore, je pense que les faits sont simplifiés de toute manière parce l’on ne se donne pas le temps d’approfondir les choses, l’information est devenue une espèce de « fast-food rapide ». Car, le problème actuel est que nous vivons dans un monde de l’éphémère.
Quelles sont les raisons de cette paresse mentale et intellectuelle de la société occidentale par rapport aux nations lointaines ?
Je dirais que chacun a sa paresse mentale: les occidentaux ont cette paresse mentale de l’approfondissement, ils sont fatigués d’une espèce de fatigue sans nom; a contrario les Africains ne font guère mieux, ils sont toujours là à imputer la faute aux colonisateurs qui pour eux ils sont dans le complotisme.
Or, dans cette globalisation où nous sommes bombardés de plusieurs sources d’informations, on a l’impression que toutes les infos se valent alors qu’en en réalité, nous en sommes assez loin tant et si bien que la médiocrité persiste en l’état.
Professeur Mario Giro quel est le fil rouge qui lie les djihadistes en Afrique et le trafic d’être humain vers la Libye?
Il n’y a pas de fil rouge direct, le fil rouge est l’instabilité entre les milices et les djihadistes algériens qui ont perdu le conflit dans le nord et, petit à petit se sont déplacés en allant vers le sud et, par conséquent se sont établis en Mauritanie et au nord du Mali.
Une des conséquences notables c’est la guerre en Algérie des années 90, qui représente le premier détonateur et, puis le second plus brutal, la guerre en Libye. Conséquences directes : explosions des armes, rébellions diverses, restructuration des mouvements djihadistes…
Le premier ministre éthiopien Abit Ahmed, prix Nobel de la paix en 2019 a annoncé il y a peu, la reprise du Tigré par les forces armées éthiopiennes afin de permettre sous peu, les élections présidentielles et législatives de 2021; mais alors pourquoi quand l’on parle d’élection en Afrique l’on a l’impression que c’est la fin du monde?
Oui c’est vrai! Par exemple le cas de la Côte d’Ivoire, l’on avait l’impression que c’était la fin du monde avec les élections de 2010! C’est une manière d’interpréter la démocratie électorale comme si c’était une guerre, pourtant ce n’est pas ainsi.
Car, transposer les contentieux électoraux en conflits militaires sur le terrain, en lieu et place du cadre constitutionnel est dévastateur; Pour moi, l’important c’est de ne pas combattre avec les armes. En ce qui concerne l’Éthiopie, la crise avec le Tigré n’est pas encore terminée et risque de durer encore contrairement à ce que les dirigeants d’Addis Abeba font croire. Ce conflit s’inscrit dans une vieille histoire entre l’État central et les autonomistes régionaux, en d’autres termes entre le Négus et le Ras. Une histoire qui malheureusement se répète alors qu’elle devrait finir car, l’on avait trouvé un accord avec la nouvelle constitution, après le régime communiste de Mengistu Hailé Mariam sous l’égide de l’Italie qui a toujours eu de bons rapports évidemment historiques avec l’Éthiopie après y être restée seulement 5 ans, même si elle a colonisée l’Érythrée.
Comme expert de géopolitique, qu’est-ce que vous proposez pour mettre fin à toutes ces guerres. Où les acteurs suivent une sorte de la pédagogie de l’idiotie. J’entends par-là qui vend les armes et qui les utilisent pour tuer son propre peuple?
Naturellement la vente des armes à feux comme le dit le Pape François, est vraiment un commerce du mal. Il faut reconnaitre qu’on peut faire du mal sans arme à feux; par exemple le génocide au Rwanda c’est fait avec des machettes.
Je veux dire par-là, c’est la pédagogie de la haine qu’on doit interrompre. Elle existe et est manipulée: il existe la haine de l’islam, la haine des immigrés, l’antisémitisme.
Ce sont toutes des maladies comme la pandémie que nous vivons aujourd’hui.
Je pense aux anglais durant la campagne pour la Brexit:il suffit de lire les journaux de l’époque et y voir la haine pour l’Europe continentale. Je pense au nationalisme hindou intolérable et ultra violent. Au Myanmar, ex Birmanie, avec un San Suu Kyi qui est devenu froide et indifférente par rapport au Rohingya (une minorité musulmane sunnite), elle aussi prix Nobel, donc ce n’est pas seulement Ali Ahmed qui a trahi.
Parlons du cas de la Côte d’Ivoire, l’ex président Laurent Gbagbo c’est votre ami?
Je suis ami de Gbagbo, comme je suis ami de Ouattara, et tant d’autres personnages, j’étais le médiateur entre eux.
Après la crise post-électorale de 2011, Laurent Gbagbo été déporté à la CPI au pénitencier de Scheveningen en Hollande en novembre 2011; après huit ans de procès il a été acquitté pour insuffisance de preuves, comment vous expliquez le fiasco de la CPI?
C’est facile à expliquer, le tribunal international de Scheveningen en Hollande n’est pas un tribunal politique. Ce ne sont pas les idées qui sont misent en discussion, ce sont les preuves. Or dans le procès contre Gbagbo il y a insuffisance notoire de preuves d’où sa libération de facto.
Concernant les rebelles, la justice est parfois lente mais, elle arrive toujours à juger tous les faits par la suite dans un contentieux.
Pour ratifier le statut de Rome, appelé aussi le statut de la cour pénale internationale, cela a été fait sous la présidence du Président Laurent Gbagbo?
Gbagbo est de culture socialiste et très libéral à l’américaine; de ce point de vue beaucoup attentionné aux droits humains et je pense, personne ne l’a obligé à signer, c’était dans sa formation culturelle. Naturellement cela c’est retorqué contre lui. Mais, il s’est bien défendu au tribunal de toutes les accusations contre lui et en définitive a été acquitté.
Pour ratifier le statut de Rome l’ex président Gbagbo a été conseillé par ses amis de Rome vous en savez quelque chose ?
Non, vraiment aucune information à ce sujet, à l’époque nous n’avions pas parlé du statut de Rome.
En conclusion un thème d’actualité. L’Union Européenne a trouvé un accord sur le « Recovery Fund », les vetos de la Pologne et de la Hongrie sont tombés et à l’Italie 209 milliards.
Si vous étiez au Parlement comment auriez-vous voté
Certainement j’aurais voté oui et, je dirais que c’est une très bonne idée pour la mutualisation des dettes publiques en ces difficiles périodes de crise car c’est à cela que sert l’Europe.
Laurent De Bai per Agenzia Stampa Italia. Li (Agence Italienne de la Presse)
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