La bande sahélienne et les pays de l’Initiative d’Accra concentrent toutes les menaces : influences extérieures, insécurité, affrontements ethniques, conflits entre agriculteurs et éleveurs, dérèglement climatique, guerres de l’eau, déplacement forcé des populations
L’Afrique est un vaste continent qui accepte plusieurs grilles de lecture avec un curseur qui se déplace du pessimisme le plus sombre à l’optimisme le plus béat. Le temps d’une Afrique nouvelle installée sur la trajectoire du développement et de l’épanouissement démocratique est-il enfin arrivé ? Le directeur Afrique du Fonds Monétaire International (FMI), M. Abebe Aemro Sélassié, a-t-il raison de dire « que ce siècle était celui de l’Afrique » ? On pourrait le croire, car, dans de nombreux pays africains, la croissance est une réalité palpable, la richesse nationale augmente, les financements extérieurs contribuent à maintenir la viabilité des politiques publiques. Mais, la réalité est plus complexe. L’Afrique existe-t-elle comme continent homogène politiquement, économiquement et culturellement ? Le panafricanisme n’est-il pas un mythe qui se situe dans la stratosphère des idées et qui tend à nier les réalités africaines ? Les 54 Etats africains n’ont pas tous les mêmes atouts dans une économie mondialisée, ni la même capacité à résister aux influences extérieures dans le contexte actuel avec le basculement du monde vers un affrontement entre le « Sud global » et l’« Occident collectif ». Ce qui existe, c’est désormais la participation du continent à la marche du monde. Longtemps marginalisée, l’Afrique, qui a pris conscience de son poids démographique, économique, culturel et géopolitique, voit les dirigeants de la planète entière se précipiter dans les palais présidentiels. Devenue l’épicentre de tous les défis, le lieu de toutes les guerres économiques et des stratégies d’influence, l’Afrique ne peut plus être ignorée ? Quels sont les enjeux de la sécurité en Afrique ? Rien d’autre que la sécurité du monde et la survie de l’humanité.
Causes et conséquences des conflictualités
Si j’ai choisi, comme illustration, une carte de la bande sahélienne et des pays de l’« Initiative d’Accra », c’est parce que cet espace géographique concentre tous les causes et les conséquences des conflictualités : influences extérieures, manipulation des opinions publiques, insécurité (terrorisme et criminalité), cristallisation identitaire, affrontements ethniques, conflits entre agriculteurs et éleveurs (conflits fonciers et tensions agro-pastorales), dérèglement climatique (paramètres environnementaux), guerres de l’eau, déplacement forcé des populations, absence de l’Etat. La question est de savoir quelles sont les causes des conflictualités en Afrique ? Tzvetan Todorov, historien des idées et philosophe, considère, d’une façon générale, que « ce ne sont pas les cultures qui entrent en guerre, ni les religions, ce sont les entités politiques. » Il ajoute : « Il l n’y a pas de choc des civilisations. » Le point de vue de T. Todorov est discutable, surtout lorsqu’il considère que ce ne sont pas les religions ou les civilisations qui entrent en guerre, mais les Etats. L’erreur est justement de réduire, de façon simpliste, les conflits à une cause unique : la guerre entre des Etats. Le Mali, le Burkina Faso, la Centrafrique, le Soudan ne sont pas engagés dans des guerres entre des Etats. Dans les zones de conflictualité, la concurrence entre groupes ethniques ne suffit pas pour expliquer la montée de l’insécurité. En revanche, la conflictualité provoquée par les guerres idéologiques (monde libre vs monde communiste), telles qu’elles existaient à l’époque de la « Guerre froide », a disparu pour laisser la place à des « chefs de guerre » qui, par cupidité, mènent des guerres prédatrices. Les conflictualités ont toujours des causes multidimensionnelles, dont la globalité rend plus difficile la compréhension des conflits et leur résolution. Aujourd’hui, pour démentir T. Todorov, on assiste à une transformation significative du panorama sécuritaire en Afrique avec la montée de la criminalité transfrontalière et des violences terroristes et religieuses. L’Islam intégriste s’étend sur tout le continent depuis les années 2010. La faillite des gouvernements civils (Mali, Burkina, Guinée) entraîne la multiplication des coups d’Etat militaires, retardant ou annulant les processus d’intégration sous régionale et réveillant les rivalités entre les Etats africains.
Petite géographie des conflictualités
Le dérèglement climatique, le terrorisme et les conflits entraînent, en Afrique subsaharienne, un déplacement forcé des populations qui atteint, en 2022, un niveau record, avec 36 millions de personnes déplacées.
a) Les conflits : l’Ethiopie, avec le conflit du Tigré, auquel s’ajoute le phénomène de désertification, représente 45 % des déplacements forcés en Afrique. Au Soudan du Sud, la guerre civile actuelle a entraîné le déplacement de 700 000 personnes. Au Burkina Faso, ce sont 500 000 personnes qui ont fui le terrorisme islamique. Au Nigeria, les différents conflits (terrorisme islamique, criminalité des gangs, affrontements entre agriculteurs et éleveurs) ont provoqué le déplacement forcé de 3,5 millions de Nigérians. En République Démocratique du Congo, ce sont 6,3 millions de personnes qui ont été déplacées de force. Les déplacements récents, dans l’Est de la RDC, s’expliquent par des guerres prédatrices (exploitation illégale des minerais) et la guerre qui se perpétue entre les Etats de la région (Rwanda, Ouganda, RDC). Le Niger, le Mozambique et la Centrafrique ont vu le nombre des déplacés de force augmenter.
b) Le changement climatique : il accélère et aggrave les déplacements forcés. Les chiffres de 2021 montrent que les cyclones, les inondations et les sécheresses, de plus en plus intenses en Afrique ont touché gravement les pays de la Corne de l’Afrique. Le dérèglement climatique a pour conséquences la dégradation des terres, les surfaces cultivables qui se raréfient entraînant des risques de famine, les troupeaux décimés entraînant la disparition d’une civilisation, les difficultés d’accès aux ressources naturelles telles que l’eau, etc. La bande sahélienne et la Corne de l’Afrique, des régions aux ressources limitées où vivent des populations dans des conditions précaires, subissent de façon accrue les effets de la crise climatique. Ces deux régions sont confrontées à une insécurité généralisée corrélée à une instabilité politique chronique et à la crise climatique.
Être exhaustif sur les causes et les conséquences des conflictualités en Afrique demanderait une longue analyse qui dépasse le cadre d’une chronique. La question que sous-tend cette chronique est la suivante : qu’est-ce que l’Afrique ? Une réalité fantasmée par les activistes qui agitent le mythe trompeur du panafricanisme et les think tank occidentaux qui, pour installer les multinationales étrangères, en font un Eldorado pour les investisseurs ? Une complexité plurielle avec des Afriques, c’est-à-dire 54 Etats souverains qui ont certes un ennemi commun, le terrorisme, et des défis communs, le développement et la lutte contre le réchauffement climatique, mais des situations différentes et un contexte national qui leur est propre ? Pour construire l’Afrique de demain, il faut déjà bâtir l’Afrique d’aujourd’hui. Comment le faire ? D’abord et avant tout assurer la sécurité de l’Afrique avec les Africains eux-mêmes.
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Directeur général de l’Université de l’Atlantique- Directeur du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone – Essayiste, chroniqueur, politologue, géopoliticien – Contact : cg@afriquepartage.org