Les sémiologues vont analyser cette photo officielle en s’arrêtant sur chaque détail concernant le Président (visage, vestiaire, posture, mains qui tiennent le bureau, etc.), le lieu (bureau présidentiel mais fenêtre ouverte et vue sur le jardin et le ciel) et les objets posés sur le bureau (l’horloge, coq, livre, dossiers, etc.). Tout est porteur de sens, les deux drapeaux (français et européen), les dorures des fenêtres, le style du bureau, etc.
Déjà, on peut dire ce que la photo n’est pas : elle ne reproduit pas le modèle habituel des photos officielles qui, de de Gaulle à Sarkozy, en passant par Mitterrand et Giscard, ( les 3 premiers étant adossés à une bibliothèque, Giscard au drapeau français), fonctionnent de façon à mettre en évidence la figure du Président et la solennité de la fonction. Chirac et Hollande semblent s’inscrire dans une modernité en étant à l’extérieur, dans les jardins de l’Elysée, mais, ils gardent en arrière-plan le Palais présidentiel. Le Président est indissociable du lieu.
La photo de Macron sort des codes habituels de la photo officielle par sa modernité et sa signification plurielle, cependant elle reste quand même d’un grand classicisme. On compare cette photo à celle du Président Obama. Simple apparence, car Obama, dans un lieu fermé, son bureau, construit l’image d’un Président souriant et décontracté, debout devant son bureau avec les bras croisés. Mais, la photo d’Obama est un enfermement, celui d’un lieu de pouvoir.
La photo de Macron produit une signification contraire à celle d’Obama. : là où Obama désigne l’enferment du lieu, avec seul le Président qui est souriant et décontracté, Macron veut signifier l’ouverture avec la fenêtre ouverte.
L’impression d’ensemble : l’équilibre parfait, le classicisme et la modernité
La photo officielle de Macron est d’abord d’un grand classicisme, car construite à partir des codes habituels du portrait : toutes les lignes verticales enferment le regard vers le centre, depuis les deux drapeaux jusqu’aux deux « haies » que forment les arbres, en passant par la fenêtre ouverte. Cette progression des verticales est faite pour amener le regard vers le centre de la photo occupé par le personnage. On pourrait évoquer les verticales suivantes : bras, veste du costume, cravate, tout vise à ramener le regard vers le visage enfermé dans un cadre que dessine le feuillage. Jusque-là, rien de nouveau, tant la photo, d’un équilibre parfait, s’inscrit dans une architecture des plus classiques. On retrouve les canons de l’ordre architectural gréco-latin avec l’harmonie des formes et des proportions dans une photo qui se caractérise par la profusion de sens.
Signifier la modernité : photo officielle, mais une modernité qui fait exploser les codes traditionnels. Macron n’est pas figé (voir, par opposition, la photo officielle de Sarkozy, figé et enseveli sous l’immensité des deux drapeaux (France et Union européenne) que l’on retrouve chez Macron, mais disposés différemment.
Macron n’est pas assis derrière son bureau, il se tient devant le bureau, debout certes, mais appuyé dans une posture de transgression. La production de sens est paradoxale : à la fois le mouvement, mais aussi la solidité de l’arrimage avec les deux mains qui tiennent fermement le bureau. Sens connoté ou symbolique : je suis certes dans ce lieu de pouvoir en lien avec l’objet du pouvoir, le bureau présidentiel, mais je suis capable de sortir de ce bureau.
Telle est cette part de modernité dans la posture empruntée, en partie seulement, à Obama : je rentre dans l’histoire, mais je refuse de me fossiliser dans une posture officielle qui appartient au vieux monde.
Le lieu : le bureau présidentiel mais la fenêtre ouverte
À l’évidence, Macron a choisi de revenir dans ce lieu symbolique qu’est le bureau présidentiel en évitant soigneusement l’enfermement. La solennité du lieu transparaît avec les dorures de la fenêtre et du bureau, à travers le bureau lui-même dont le style nous renvoie à l’Histoire de France. La vrai nouveauté est la fenêtre ouverte, afin de signifier, non pas la clôture, l’enfermement, mais l’ouverture sur le monde, ce que ne réalise pas la photo officielle d’Obama.
La France s’ouvre au grand large, sa vocation est d’être en lien avec le monde, le contraire même de Trump ou du FN. Les arbres semblent dessiner une allée. Au-delà de cette fenêtre, se trouve le monde : la Chine, l’Inde, la Russie, les pays européens, mais aussi l’Afrique. La France est un pays ouvert. C’est donc le récit de l’ouverture sur le monde qui s’écrit avec cette fenêtre ouverte.
Le vestiaire, le visage et les mains
Au désordre vestimentaire d’un Sarkozy, dont les costumes semblaient toujours mal taillés, au laisser-aller d’un François Hollande dont on a raillé les cravates de travers, Macron oppose la perfection de la coupe de son costume (un costume dont les prix sont abordables), la rectitude de la cravate, la perfection du col de chemise. Les poignets de la chemise dépassent à peine. On retrouve l’ordre avec la perfection des formes et la sobriété des couleurs un costume et une cravate nécessairement sombres, une chemise blanche. Macron s’installe dans une fonction présidentielle dont il veut signifier, à travers le vestiaire, la magnificence à travers une élégance sobre. Nous sommes loin de la théorisation que fait Mélenchon du « sans cravate » comme geste politique.
Le visage : en dehors de la jeunesse du visage, qui signifie l’arrivée d’une nouvelle génération au pouvoir, Macron esquisse un sourire mais le sérieux domine. Le visage n’est pas fermé, ni frappé du sceau de la gravité, il reste aimable, comme prêt à accueillir le visiteur, ces visiteurs d’un monde multipolaire, multilinguistique et multiculturel. Est-ce le symbole de la fin d’une arrogance française ?
Les mains : ce qui frappe, c’est que les mains de Macron tiennent solidement le bureau, sans qu’il n’y ait de crispation..Sens connoté : je tiens fermement la barre du navire France. La posture n’est plus celle d’un Obama trop décontracté, les bras croisés, trop souriant, mais celle d’un Chef d’État conscient de ses responsabilités.
Les objets : les drapeaux, l’horloge, le coq , le livre, les dossiers, la décoration
On retiendra ces 6 objets, qui ne sont pas là par hasard.
Les drapeaux, celui de la France et de l’Union européenne, envoient un message clair : France et Europe, un même combat, l’une ne va pas sans l’autre. C’est une condamnation de la ligne politique du FN et de la France insoumise, Mélenchon ayant demandé que le drapeau de l’Union européenne soit retiré de l’Assemblée nationale. Macron est patriote et européen : son patriotisme n’est pas un nationalisme étroit et xénophobe ; l’Europe qu’il veut est une Europe qui crée de la croissance et qui protège. Comment imaginer la France sans l’Europe ? Comment imaginer un pays africain sans ses voisins de la sous-région ? Un pays seul ne peut pas réussir.
L’horloge : Macron signifie ainsi qu’il est le maître des horloges. La politique meurt et les populations s’en désintéressent parce qu’elle s’enferme dans des débats sans fin : deux ans et plus pour voter une loi et promulguer les décrets d’application. Est-ce un clin d’œil à la manière de gouverner par ordonnances sur la réforme du Code du travail ?
Le Coq : la petite sculpture dorée posée sur le bureau est un coq. Évocation , sans ostentation, de la France.
Le livre : de Gaulle, Mitterrand, Sarkozy étaient adossés à des bibliothèques. Un livre ouvert suffit à évoquer le savoir. Macron est un homme de lettres, il sait ce qu’il doit aux livres. Là encore, rien d’ostentatoire. Mieux vaut un livre ouvert que des bibliothèques entières que l’on ne fréquente pas.
Les dossiers : se laissent entrevoir des dossiers pour rappeler 1) que le Président travaille et 2) qu’il connaît ses dossiers. IBK, Ouattara et Sall ont pu se rendre compte que Macron connaissait parfaitement les dossiers africains (sécurité, FCFA, etc.).
On pourrait continuer longtemps ce décryptage de la photo officielle du Chef de l’État français. On retiendra le classicisme et la modernité, le sens littéral et le sens connoté. Ce qui frappe, c’est la profusion de sens avec la multiplication des signaux et des marqueurs. Là où la photo officielle traditionnelle semble figer un homme, celle de Macron désigne les valeurs et le mouvement. Ce n’est plus la solennité, quasi monastique, d’un de Gaulle ou d’un Mitterrand ; ni la fausse décontraction d’un Obama, c’est une modernité qui accepte les codes de la République et les marqueurs du pouvoir.
La décoration : très discrète, mais visible, la légion d’honneur accrochée à la veste montre que Macron accepte le rituel des décorations et leur signification.
Trump instaure un régime présidentiel, à l’emporte-pièces, en tweetant ; Macron instaure lui aussi un régime présidentiel, jupitérien, en choisissant de s’inscrire dans les plis de l’Histoire de France et de l’Europe, tout en ayant conscience qu’il incarne un monde nouveau, une politique nouvelle. Mais, Macron ne veut pas renier le passé, ni rabaisser la fonction présidentielle.
En échos à celle du Président français, la photo officielle du Président Alassane Ouattara même si elle est désormais vielle de plusieurs années, reste dans la modernité au delà de son extraordinaire classicisme : un drapeau, un homme. Une composition qui ne sort pas des codes de la photo officielle, même si le sourie du chef de l’État ivoirien, le raproche du peuple, et renforce la sympathie.