Koumanthio Zeinab Diallo, écrivain, poétesse, lauréate de plus 5 prix littéraires africains et guinéens, consultante en développement communautaire, sociologue chercheur, est âgée de 60 ans. Elle est l’héritière d’une tradition poétique peul très riche. Auteur de plusieurs livres, son premier ouvrage est dédié à ses quatre enfants. Dans un entretien exclusif accordé à Afrikipresse, Mme Zeinab Diallo revient sur certains de ses ouvrages phares et dénonce “énergiquement” les formes des violences faîtes aux femmes, notamment l’excision et le mariage précoce.
AFRIKIPRESSE: Dites-nous combien d’ouvrage avez actuellement à votre actif ?
Koumanthio Zeinab DIALLO: J’ai 13 livres publiés, en commençant par la poésie parce que ma fibre littéraire c’est la poésie. Ma maman était une poétesse Peul. J’ai appris beaucoup de choses auprès d’elle et je lui dois toute ma carrière littéraire.
La région du Fouta Djallon est une région des littéraires. Il vous souviendra que les érudits du Fouta ont légué à la postérité une littérature abondante. Par exemple les grands poèmes de Thierno Samba Mombéya, de Thierno Diao Pellèl, de Thierno Pôtie Lélouma, de Elhadj Abdourahmane Bah, de Thierno Aliou Bhoubha Ndian…ils ont laissé tant des œuvres majeurs. Ça c’est le Fouta et c’est mon environnement. J’ai eu la chance d’être née dans une région comme ça, et j’ai eu aussi la chance que beaucoup d’éléments soient combinés pour me permettre d’arriver là où je suis. Ce n’est pas parce que je suis meilleure que tout le monde, mais j’ai eu la chance d’apprendre auprès de ma maman.
Sur les 13 livres, j’ai commencé par la poésie : ”moi femme” édité au Sénégal par la Maison Maguilène. J’ai écrit d’autres livres de poésie mais également d’autres genres. Je viens en deuxième position parmi les femmes poétesses, après Ramatoulaye Téliko qui ignore ; « qui ignore Dieu est perdu ». Je suis troisième romancière du pays avec : « les épines de l’amour » après Mme Sira Baldé sur : « d’un Fouta Djallon à l’autre » et Kesso Barry qui a écrit : « Kesso princesse peul ».
Pourquoi les épines de l’amour ?
Parce que je me suis dit quelque part, en tant que poétesse, en tant qu’une une personne sensible à la beauté, à l’amour, qu’il faut tout faire pour sauver l’amour. Il ne doit pas être martyrisé ou assassiné. L’amour doit être sauvé. Pour moi, l’amour c’est comme une rose, belle, qui sent bon, mais qui est là entourée d’épines. Pour cueillir la rose, il faut accepter les piqûres. C’est pour ça que j’ai dit, l’amour c’est bien, mais il faut savoir qu’il y’a toujours beaucoup d’épines autour.
C’est aussi une histoire aristocratique tirée du Fouta Djallon où j’ai mis en exergue deux familles royales : une famille de Labé, « les Diallo » et une famille de Koïn « les Bah ». Parce que les deux familles sont des cousins à plaisanterie. Je me suis inspirée de cette denrée culturelle pour marteler sur des comportements qui ne doivent exister aujourd’hui. Beaucoup des parents aiment dire que la fille ne rentrera pas dans cette famille, elle est comme-ci, comme-ça. Laissez les gens se choisir, bénissez-les après ! Cherchez à rendre heureux vos enfants.
Dans ce livre, j’ai démontré que la famille Diallo qui a reçu la famille Bah qui demandait la main de Ramatoulaye la Princesse de Labé pour Alphadjo, le Prince de Koïn ; les parents de Ramatoulaye ont opposé un niet catégorique, parce que le grand père de Alphadjo avait combattu le grand-père de Ramatioulaye à cause des terres frontalières entre Labé et Koïn. On se dit non, les deux grands pères c’est leur problème. Les deux jeunes se sont choisis, laissez-les.
En tant qu’auteur, je dois faire en sorte que ceux qui ont refusé, même si c’est de ma propre famille, reçoivent la leçon. Ça peut être d’autres familles, mais j’ai pris ma propre famille pour dire qu’il ne faut pas faire ça.
Mais comme c’est moi qui avais leur destin en main, j’ai fait en sorte que les deux jeunes se retrouvent, qu’ils se marient et que leur mariage soit légalisé par tout le monde.
Vous avez écrit « les humiliés » et aussi « les fous du 7è ciel », parlez-nous de ces deux œuvres !
« Les humiliés », c’est la première pièce de théâtre produite par une guinéenne. Il faut dire que les femmes ne s’investissent pas dans certains genres littéraires, comme le théâtre. J’évolue avec un club littéraire. Donc, on expérimente toujours les thèmes avec des jeunes qui sont avec nous. Quand j’ai écrit les humiliés, j’ai fait en sorte que le club littéraire du musée, prenne en charge la pièce et la joue. C’est quand j’ai compris que la pièce intéressait la communauté que j’ai décidé de la publier à Paris chez l’Harmattan.
Qu’est-ce qui se trouve dans cette pièce ?
Il se trouve dans cette pièce, une histoire vécue que j’aie rapportée. C’est une bonne femme qui a fait 6 enfants. Malheureusement pour elle, les 6 enfants sont des filles. Mais dans sa famille les gens l’ont stigmatisé en disant « c’est une faiseuse des filles ». Elle vraiment entendu ça et ça l’a peinée . Finalement, c’est son mari lui-même, qui est en fait le père de ses enfants, les six filles qui va jusqu’à chercher une autre co-épouse soi-disant que celle-là va faire des garçons qui vont être les héritiers de la famille. Mais on oublie souvent que c’est Dieu qui donne les enfants. Et c’est Lui qui choisit le sexe aussi. Puisque cette famille a voulu stigmatiser la femme qui n’a rien fait de mauvais, qui fait tout ce qu’elle doit faire et s’occupe bien de ses filles ; je me suis dit qu’il faut interpeller les gens. Je me suis mise du côté de la perdante pour écrire le livre.
Qu’avez-vous fait pour mâter l’homme et sa famille ?
J’ai fait en sorte que la femme qui est arrivée en deuxième position qui était adulée par tout le monde, on l’a accueilli très bien. Elle avait été mariée et elle a fait deux garçons successivement. Elle a été répudiée qui devait aller à la Mecque et qui devait occuper une place au sein du Conseil islamique. On l’a dit arrête comme c’est une 5è épouse. On l’a répudié, et c’est des formes des violences faîtes aux femmes que je voulais exhiber. Cette femme rentre dans sa nouvelle famille tout le monde dit « ah elle ne fera que des garçons » parce qu’elle a déjà deux garçons. Mais qui connaît le programme de Dieu ? On l’a mariée rapidement pour le monsieur et la première épouse n’a pas été informée du mariage. On lui a simplement dit de préparer deux grands plats parce qu’on aura des étrangers. Incroyable ! Tu vis avec un homme pendant des années, il veut te faire remplacer arbitrairement, et il n’est même pas capable de te dire de quoi il s’agit.
La femme prépare tout, elle apporte, et c’est après que son beau-père lui dit qu’on va recevoir tout de suite ta jeune-sœur. Elle demande : « quelle jeune-sœur ? ». « La femme de ton mari », répond le beau-père. « Mon mari s’est marié ? », repose-t-elle. « Oui parce que toi tu n’as pas fait d’enfants », rétorque le vieux. « Mais si !», réplique la dame. Et le grand-père de préciser : « mais tu n’as pas fait d’héritiers ».
Pour les mâter tous, j’ai fait en sorte que celle qui s’est nouvellement mariée à mis au monde une fille. La pièce finie là où le mari se croyait complètement maudit. Ah, tu penses que tu es maudit, tu as des enfants. Je dis ce n’est pas normal, il faut dénoncer cela.
Et les « fous du 7è ciel » ?
Bien, les « fous du 7è ciel », c’est l’avant dernière œuvre. Elle relate des formes de violences faîtes aux femmes. Le livre condense plusieurs nouvelles : d’abord le thème sur le mariage précoce d’une fille de 13 ans, excisée, mais infubilée aussi. On ne s’est pas arrêté à l’excision chez elle, on est allé jusqu’à l’infubilation qui consiste à fermer hermétiquement l’organe. Il y a eu la coupure du clitoris, ensuite la coupure des lèves et puis la fermeture hermétique de tout ça pour laisser un petit trou pour l’évacuation des urines et des menstrues. Cette petite fille a été mariée par son cousin qui était à l’extérieur du pays. Tout le monde a dit qu’elle est trop petite, frêle, mince. Sa tante a dit non, je vais la garder engraisser jusqu’à ce que mon fils revienne. Il trouvera qu’elle a un peu pris du poids. De toutes les façons, elle est trop jeune. On s’entend sur ça, et l’amène en famille, entre temps son mari débarque, exige des rapports sexuels avec la fille. Elle était petite, elle était fermée. Puisqu’elle ne pouvait pas consommer ces rapports sexuels, on la traite de sorcière, d’une fille qui a une pierre entre les jambes, puisque le mari ne pouvait rien. Donc, c’est une grosse violence. La fille a été violenté, malmenée, traitée de tout. Finalement, elle s’est vue obligée d’être ramenée chez l’exciseuse pour une opération. Et l’opération consistait de rouvrir la partie cicatrisée, complètement fermée et à l’aide d’un couteau touffu dans le feu, fendre cette partie et l’écarter.
Le drame ce n’est pas tout ça ! Le drame, c’est que les femmes qui vont maîtriser la fille à ce que l’opération soit faite, ces mêmes femmes la conduisent directement dans le lit, et exigent directement que le mari vienne là, tout de suite, avant que, dit-on, la plaie ne se referme. C’est cruel et c’est une grosse violence faîte aux filles.
Cette fille violentée qu’on dépose dans le lit du mari, va consommer les rapports mais très difficiles. Le mari est content, mais elle est complètement fichue, parce qu’elle est psychologiquement et physiquement atteinte. Elle se mettait régulièrement à pleurer.
Mis dans la concession, il y’ avait un fou. Quelqu’un qu’on croyait fou, mais qui avait redécouvert sa lucidité peut être à son propre insu. Parce que ça peut arriver si la personne n’est pas suivie, elle peut redevenir normal pendant un temps, et c’est là qu’il faille prendre en charge la personne afin qu’elle puisse réintégrer la société. (…) Wérou qu’il s’appelle était dans cette même concession. Tous les ébats, tous ce que le mari faisait faire à sa femme, il était au courant parce qu’il avait sa hutte sous la fenêtre. Et souvent il disait au mari, c’est incroyable, tu es brutale, tu n’es pas bien, tu ne vas même pas permettre à ta femme de connaître le 7è ciel. Et la fille a finalement voulu savoir ce que c’est que le 7è ciel. Un jour, elle fatiguée des violences sexuelles, elle s’est enfui la nuit de la chambre, elle est partie dans la cour, et c’est Wérou qui l’a récupéré et la met dans sa hutte. La fille demande à Wérou le fou, « chaque fois je t’entends dire que moi je ne peux pas aller au 7è ciel, comment est le 7è ciel ? »
Et Wérou dit oui, je t’aiderai à aller au 7è ciel. Il se met à la consoler, à la cajoler, etc. Toute chose qu’elle n’a pas eu de l’autre côté, c’est Wérou qui est en train de lui apprendre : la caresse, des bonnes paroles dans les oreilles, des mots doux, une belle poésie, pour vanter sa beauté et tout, alors que de l’autre côté c’est l’enfer.
Finalement, elle se laisse emporter, elle ferme les yeux. Et Wérou lui dit : « attention, on va décoller pour le 7è ciel !» C’est pourquoi je traite tout le monde de fous, c’est les fous du 7è ciel, parce que c’est le fou qui va venir régler finalement son problème. Elle n’avait pas l’amour qui lui fallait. Un homme ne doit pas se comporter comme un animal devant une femme.
Est-ce que des histoires vraies de ce genre existent dans notre société ?
Écoutez, dans ce livre aussi, j’ai dit qu’il faut dénoncer, faire en sorte qu’on ne fasse pas cette pratique. Le problème c’est que les gens ne savent pas que ces pratiques existent. Une fois, je me souviens, j’ai raconté ça à quelqu’un, il a failli tomber. Il a demandé si c’est dans notre société, j’ai dit oui. Donc ça existe. Mais ce qui m’a poussé à faire ce livre, c’est que j’étais consultante dans une institution qui s’occupait d’étudier un peu les problèmes d’excision dans notre société. En tant que tel j’ai fait de la sensibilisation, des plaidoyers en direction des leaders de la communauté. C’est là que j’ai rencontré des hommes, des femmes, des gens bien. Finalement, les femmes venaient discrètement exposer leurs problèmes. Chaque femme qui venait avait une histoire pas comme les autres. C’était incroyable. J’ai fini par garder tout ça dans ma tête et j’ai écrit les fous du 7è ciel.
N’est-ce pas ça qui vous a valu le Prix du meilleur roman féminin ?
Oui, le Fou a été primé par l’Université de Bamako. Il y a des dispositions qui sont prises par des Universitaires maintenant, qui consistent à primer les œuvres africaines qui ont traité des bons thèmes et qui servent dans les universités. Ils vous inscrivent directement dans les cours. J’ai eu le privilège avec une sénégalaise d’être retenue. Et j’ai eu le Prix du meilleur roman féminin. Ça m’a permis de voyager un peu partout dans les universités africaines, malheureusement dans aucune université de la Guinée. La Guinée c’est aussi ça, mais on espère que ça va aller et que les gens se mettront à reconnaître les valeurs que tous les autres ont aussi reconnues.
Réalisé à Labé par Aliou BM Diallo