En Côte d’Ivoire, depuis 2013, une vague de ciment importé quelques fois dans des conditions douteuses inonde le marché, met à mal le tissu industriel et menace même des centaines d’emplois directs et des milliers d’emplois indirects.
Face à l’interpellation de notre rédaction par plusieurs consommateurs dans le pays et même par des acteurs de la société civile qui commencent à s’inquiéter de cette situation, et se demandent ce que font le gouvernement et les industriels du ciment pour les mettre à l’abri de cette situation source de graves dangers, nous avons mené une enquête-express et constaté que le mal est réel, profond et exige des mesures urgentes.
L’état des lieux
Au sortir de la crise des années 2000 à 2011, les producteurs de ciment ont salué la reprise de l’économie marquée par les grands projets de l’État, notamment la réhabilitation des infrastructures et édifices publics et les programmes de construction massive de logements sociaux. Quatre (4) entreprises, ayant investi plusieurs dizaines de milliards de nos francs dans leurs unités de production, opèrent en Côte d’Ivoire offrant ainsi une capacité annuelle totale installée de 4,2 millions de tonnes de ciment en 2016.
Conscientes du potentiel de croissance de la consommation, ces entreprises ont engagé pour la plupart des projets d’extension devant déboucher sur un accroissement de leurs capacités de production en vue de satisfaire le marché.
En 2013, face aux importations de ciment qui se faisaient dans des conditions pas suffisamment claires, le Ministre du Budget durcit les conditions d’importation du ciment par la mise en place de la circulaire N°1662 du 02 janvier 2014, applicable à tous les opérateurs qui importent du ciment.
Le début de l’année 2015 est marqué par une forte demande liée à la conjonction d’une période habituelle de forte demande et d’une période de grande pression pour la réalisation de certains projets étatiques. Cette forte demande est accompagnée d’un relèvement substantiel du prix du ciment sur le marché par les revendeurs alors que les prix sortie usine sont restés inchangés. L’État ivoirien, par le biais du Ministère de l’Industrie et des Mines a demandé alors aux entreprises productrices d’importer 300.000 tonnes de ciment et mis en place quelques mesures de facilitation de ces importations.
Malgré le fait que les prix sortie usines n’ont pas connu de changement, ces importations ont été effectuées par les producteurs et l’on a constaté que les prix sur le marché, qui étaient de l’ordre de 120.000 FCFA à 130.000 FCFA la tonne, sont revenus aux prix avant la période d’importation c’est-à-dire autour de 90.000FCFA à 100.000 FCFA sur le marché.
Toutefois parallèlement aux importations effectuées par les producteurs, l’on assiste à des importations massives de ciment par d’autres opérateurs économiques, et cela, quelque fois en violation des règles de bonne concurrence et de recherche de qualité. Les valeurs déclarées en douane sont pour certains importateurs si faibles que les producteurs eux-mêmes professionnels du ciment sont surpris par ces valeurs déclarées.
Ces opérations d’importations suspectées d’être effectuées au mépris du respect des règles douanières ont certainement fait subir à l’État des pertes de recettes considérables.
Autre fait à incidence financière plus grande: dans certains cas, le ciment est importé depuis l’espace CEDEAO et accède au marché en franchise des taxes et droits de douane; Alors que les producteurs locaux importent leurs matières premières en dehors de la zone CEDEAO et supportent toutes les taxes douanières. Cela crée une véritable distorsion concurrentielle.
Cette situation rend inefficace les gros efforts d’investissements consentis par les industriels du ciment, fragilise l’industrie nationale et pourrait mettre en péril les nouveaux opérateurs annoncés dans le secteur. Le contrôle qualité de certaines de ces importations n’étant pas effectué, cela entraîne la vente sur le territoire de ciments non conformes aux qualités requises et présente des risques pour la stabilité des ouvrages pour lesquels ils sont utilisés (éboulement et écroulement d’immeubles ou d’ouvrages).
De plus, il est également important d’indiquer que certains importateurs violent les mesures d’interdiction prises par le Gouvernement avec de graves conséquences sur l’environnement en utilisant des sacs plastiques/PP pour le conditionnement du ciment et qui ne sont pas biodégradables.
Les cimentiers rencontrent les autorités compétentes pour situer le danger
Selon des informations recueillies auprès des autorités ivoiriennes, le dossier est à l’étude au sein d’un comité interministériel piloté par la Primature en vue de trouver les solutions idoines, dans l’intérêt aussi bien des industriels, que des consommateurs. C’est dans ce cadre que le 10 Mars 2016, le Directeur de Cabinet Adjoint du Premier ministre a accordé une audience aux cimentiers ivoiriens. Il s’agissait pour lui de faire un état des lieux, et de prendre l’ampleur de la situation. Il a ainsi été sensibilisé sur la problématique des importations massives de ciment suspectées se réaliser dans bien des cas en violation des règles de bonne concurrence et de recherche de la qualité.
La situation met en péril les efforts consentis par les industriels du ciment qui, conscients du potentiel de croissance de la consommation nationale, ont consenti à de gros investissements (plus de 20 milliards de FCFA en 2015 et environ 32 milliards FCFA prévus en 2016) dans des projets d’extension en vue d’accroître leurs capacités de production et satisfaire le marché ( de 2, 99 millions de tonnes en 2015, la capacité de production a été portée à 4,2 millions de tonnes en 2016 pour une consommation estimée à 3,4 millions de tonnes et à 6,3 millions de tonnes en 2017 pour une consommation prévisionnelle à 4 millions de tonnes )…
Les quatre (4) usines qui produisent le ciment en Côte d’Ivoire expliquent que leurs capacités installées couvrent largement les besoins actuels et des années à venir sans compter les investissements annoncés des nouveaux promoteurs.
Ce qui nous attend si rien ne change
Le gouvernement est désormais mis devant ses responsabilités avec cette réalité : le secteur de l’industrie du ciment est menacé, presque sinistré, les emplois sont menacés car les usines qui tournent à 60 pour cent de leur capacité pourraient mettre la clé sous le paillasson et se reconvertir en simples importateurs de ciments. Pendant ce temps, en vue de sauver leur industrie de ciment, la plupart des pays d’Afrique de l’ouest, de l’Afrique centrale et même de l’Est ont pris des mesures conservatoires. A titre d’exemples: Au Congo, le ministère du Commerce et des Approvisionnements a pris une note de service le lundi 1er février 2016 portant suspension de la délivrance des déclarations d’importation du ciment. Il s’agissait d’une mesure pour sauver l’industrie locale. Au Ghana, M. Ekwow Spio-Garbrah, ministre du Commerce et de l’Industrie dans une note a adressé le 17 mars 2016 au Parlement une loi pour réguler l’importation du ciment dans le pays. Cette loi devait permettre au gouvernement d’accorder des permis aux opérateurs devant exporter le ciment afin de « régler le chaos dans le pays », disait-il. Le ciment importé du Nigéria et de la Chine était visé dans cette note. Pour ne pas citer que ces pays, le Nigéria a lui-même interdit l’importation du ciment depuis belle lurette. Ce qui a constitué pour Dangoté un extraordinaire monopole sur un très gros marché, et explique en partie qu’il soit la plus grosse fortune du continent.
En Côte d’Ivoire, aucune mesure de cette nature n’est encore à l’ordre du jour malgré les inquiétudes des consommateurs et de la société civile évoquées plus haut, même si de leurs côtés les industriels du ciment se veulent rassurants et sereins.
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Réalisé par Hervé Coulibaly