La page du 1er Mai vient-elle à peine d’être tournée que, déjà, d’autres défis attendent le président Alassane Ouattara, qui n’aura pas de répit, ni de trêve tant les attentes des populations sont nombreuses, et les défis à relever sont énormes. Ces défis sont très politiques, et concernent même le changement de Premier ministre et un possible remaniement en relations avec les élections législatives, la réforme de la constitution, le parti unifié vers lequel veulent aller les présidents Ouattara et Bédié et la stabilité politique du pays. Ces 6 questions ou préoccupations sont étroitement liées.
1- Le changement de Premier ministre et le possible remaniement
Selon des informations dignes de foi, la grogne sociale liée à la question de l’augmentation de l’électricité a été anticipée, contrairement aux apparences. Depuis la première augmentation, et surtout à partir des mois de Janvier et Février 2016, les services du chef de l’État, avaient déjà commencé à travailler sur la question. Par ailleurs, le gouvernement se penche déjà sur la question des logements sociaux qui suscite des débats, sans oublier la question de salubrité et de l’incivisme des populations. Comme toujours, le Premier ministre, Daniel Kablan Duncan a joué sa partition. Toutefois la question d’un remaniement, ou même d’un changement de chef de gouvernement s’invite à nouveau dans le débat, avec des stratèges qui souhaitent qu’une telle initiative à la veille de l’élection législative permette de remobiliser les troupes, et de créer un électrochoc, pour un raz de marée du Rhdp, malgré la perspective d’une union et d’une réconciliation annoncée au Fpi, et de l’opposition ivoirienne en générale. Même si d’autres agitateurs d’idées assurent qu’il faut plutôt reporter le remaniement ministériel et le choix d’un nouveau chef de gouvernement, à l’après législatives (parce que quel que soient les résultats, il faudra bien en tenir compte pour forcément ajuster le gouvernement, et traduire peu ou prou, les aspirations et choix exprimées par les populations et les électeurs dans les urnes), le chef de l’État ne peut éluder les avis contraires.
2- Les élections législatives
Sous quelle étiquette vont se présenter les candidats de la majorité ? L’étiquette RHDP, anticipant ainsi la création du parti unifié ? Sous l’étiquette PDCI ou RDR, chacun refusant de renoncer à son identité ? Quant au FPI de Laurent Gbagbo, aura-t-il des candidats « FPI historique », opposants irréductibles à Ouattara, ou des « FPI- N’Guessan », qui veulent tourner la page du messianisme autour de Gbagbo pour reconstruire une opposition plus crédible ? Les autres partis qui composent la coalition RHDP voudront-ils jouer leur propre carte, contribuant ainsi à l’émiettement de l’offre électorale ? Les nombreux exemples montrent que les coalitions électorales, à l’approche des élections, sont menacées par le risque de l’émiettement électoral. Le RHDP est-il dans cette situation ? Un autre défi, une autre équation à laquelle le chef de l’État doit répondre, que cela trouble ou non, son sommeil.
3- La réforme de la Constitution
Le dernier conseil des ministres a essayé de rassurer les populations, avec les précisions faites par la porte parole adjointe du gouvernement. L’aspect politique de cette réforme, qui n’échappe à personne, réside dans la création du poste de vice-président. Si le Président de la République, Alassane Ouattara, est RDR, le Vice-président devrait être PDCI. Mais, si le Vice-président est PDCI, le Premier ministre ne peut plus être PDCI, car le RDR ne voudra pas tout donner au PDCI. Rien n’est simple au royaume des calculs politiques. Par ailleurs, il se trouve que le Fpi dit non à la création de la vice-présidence, et dénonce un arrangement partisan, qui ne va pas dans le sens de l’intérêt national. Le maintien souhaité du poste et de la fonction de Premier ministre, chef du gouvernement, suscite des mécontentements de certains puristes, qui estiment qu’à part le Kenya qui ne l’avait même pas constitutionnalisé, le schéma du maintien du poste de premier ministre, à côté des fonctions de Président et de vice-président, est inapproprié et inefficace. Au soutien de cette thèse, il est noté que le président ivoirien avait clairement cité les exemples du Nigéria et des États-Unis, lorsqu’il a évoqué la question pour la première fois, en pleine campagne électorale.
4- Le parti unifié
Avant, pendant ou après le référendum, il faudra enfin sérieusement et très lourdement se pencher sur la question du parti unifié. Les présidents Ouattara et Bédié savent bien que derrière la façade de la coalition RHDP, le feu couve et que les braises de l’affrontement RDR/PDCI peuvent se rallumer à tout instant et plonger à nouveau le pays dans l’instabilité politique, si rien n’est solidement, ni fermement fait du côté du parti unifié. Le président Bédié et le président Ouattara auront-ils encore l’autorité suffisante sur leurs troupes pour imposer leur point de vue ? Chaque parti ne voudra-t-il pas, à l’occasion des législatives, mesurer ses forces ? Lorsqu’on parlait du Pape à Staline, ce dernier avait l’habitude de répondre : « Le Pape ? Combien de divisions ? ». Chacun a bien envie de savoir, combien de divisions vaut chaque parti. Et puis, il ne faut pas oublier la question qui fâche: l’alternance 2020.
Même si tout porte à croire en l’état actuel des informations crédibles disponibles , que l’on s’achemine vers une primaire , une sorte de référendum interne au Rhdp, pour trouver un ticket de candidat consensuel, sur la base des intentions de candidature dûment exprimées par les candidats présumés, rien n’est encore vraiment réglé sur la capacité du Rhdp, à maintenir son unité , pourtant nécessaire pour avancer de victoire en victoire.
5- L’émergence à l’horizon 2020
Ah la grande affaire ! L’émergence à l’horizon 2020 a été une grande quête, elle reste une espérance forte qui fait bouger. Le chef de l’État ivoirien a promis le progrès pour tous, le bonheur pour chacun. De grands investissements se font au niveau des infrastructures, mais nous avons des usagers et des populations qui restent totalement insatisfaits. Le dossier de l’atteinte de l’émergence à l’horizon 2020 est un pari décisif et déterminant, mais en réalité était-il possible de réaliser cela dans les quatre ans à venir ? La grande espérance et la grande attente de l’émergence ne doivent pas être déçues.
6- La stabilité politique du pays
Le défi de la stabilité est au coeur des sujets à même de troubler le sommeil du chef de l’État, dans un contexte post attentat Bassam. La marche vers l’émergence suppose, pour réussir, au-delà de la réussite économique et du progrès social, la stabilité politique. Or, on voit se dessiner plusieurs fronts susceptible de menacer cette stabilité politique : les pro-Gbagbo, qui crient « Gbagbo et rien d’autre », contre les pro-Ouattara, qui répondent « Ouattara et rien d’autre ». Les « pro-Gbagbo » refusent de parler de la situation du pays pendant les 10 ans de règne de l’ancien Président, refusent de rentrer au pays. Depuis leur lieu d’exil, ils posent des conditions pour rentrer. Leur attitude intransigeante, ainsi que d’autres velléités, ont toujours incité tous les observateurs à se demander s’ils ne sont pas dans des schémas anti démocratiques. Bouder les élections, boycotter la liste électorale et le dialogue politique, etc…., c’est une manière d’agir qui semble rêver des situations insurrectionnelles, à la place des voies démocratiques.
À l’intérieur même du RHDP, la coalition qui gouverne, on assiste à l’affrontement entre les « noyaux durs » du PDCI-RDA et du RDR, les premiers parlant d’une dette électorale contractée à leur égard par le RDR, les seconds affirmant qu’ils ne doivent rien à personne. Les premiers disent : nous avons appelé à voter pour un RDR en 2010 et en 2015, le RDR doit appeler à voter pour un PDCI en 2020.
Ne pas oublier le peuple
Le grand « oublié » de la politique reste le peuple, qui, lui, s’intéresse peu aux stratégies politiques, encore moins à 2020. Les politiques ont la mémoire courte. Henri Konan Bédié est triomphalement élu Président de la République en 1995 avec 93 % des voix. Très vite son mandat est marqué par une crise sociale majeure, avec une augmentation de la pauvreté.
Cette situation, intenable pour le gouvernement, aboutira au coup d’État militaire du 24 décembre 1999. De 1999 à avril 2011, la Côte d’Ivoire, confrontée à une succession de crises graves, devient un pays sinistré qui disparaît des écrans-radar de la mondialisation.
À partir d’avril 2011, placé en situation de pouvoir gouverner, Alassane Ouattara incarne la promesse d’un avenir meilleur. Il est réélu, en décembre 2015, pour un second mandat, dès le premier tour avec plus de 83 % des voix. Le parallèle est évident : Bédié, 93 % des voix en 1995, sur fond de crise sociale; Ouattara, 83 % des voix en 2015 sur fond de grogne sociale.
Pour éviter que l’Histoire ne repasse les mêmes plats tragiques en Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara doit non seulement relever le défi économique et social, mais aussi le défi politique. L’année 2016 s’annonce cruciale pour le Président de la République sur tous les plans. De quoi l’empêcher de dormir tranquille, pour ne dire de quoi lui faire avoir le sommeil troublé , lui a affirmé travailler plusieurs heures par jours. Affaires et défis à suivre de près !
Wakili Alafé