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Éditorial – La Cedeao à l’épreuve des coups d’État militaires ou comprendre l’usage de la force au Niger – Par Wakili Alafé 

Éditorial – La Cedeao à l’épreuve des coups d’État militaires ou comprendre l’usage de la force au Niger – Par Wakili Alafé 
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Par
Wakili Alafé
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La loi est un marqueur fort des sociétés humaines modernes et traditionnelles. 

Lorsque quelqu’un vole, tue, la loi s’applique avec rigueur. Lorsqu’une personne ne respecte pas la loi, elle est condamnée selon une échelle des peines en lien avec la gravité du manquement à la loi. Il n’existe aucune excuse qui permet d’enfreindre la loi : ni la pauvreté, ni la passion amoureuse, ni telle ou telle frustration. Le crime d’honneur appartient à des civilisations du passé. La clémence d’un juge n’exclut pas la punition. Cette réalité est ancienne. Elle n’est pas le seul fait des sociétés modernes, puisque dès lors que la loi du peuple, le règne de l’homme loup pour l’homme, a donné lieu à une organisation en vue d’une vie apaisée, le désordre et la barbarie ont disparu, dans les sociétés anciennes et traditionnelles. 

Alors se pose la question du coup d’État militaire, de l’accession au pouvoir par la force, ou du maintien au pouvoir au mépris des règles établies. 

Lorsqu’un coup d’État échoue, les auteurs sont sanctionnés par la loi. Un coup d’État qui réussit peut-il alors échapper à des sanctions pénales ?  La réussite du coup d’État  suffit-elle à légitimer la captation du pouvoir par la force ? Non ! 

Ne pas sanctionner un coup d’État donne, dans le champ politique, le signal de l’impunité et prépare le lit des régimes autoritaires et des dictatures. 

Le garant de la démocratie est un ordre constitutionnel et un pouvoir aux mains des civils élus qui doivent rendre des comptes et qui acceptent le fonctionnement des contre-pouvoirs. 

Tout putsch militaire met fin au dialogue politique 

Le dialogue politique est un instrument de gouvernance dans une démocratie. Des projets politiques différents portés par des partis politiques différents adossés à des idéologies différentes n’excluent pas le dialogue politique. La démocratie n’est jamais un consensus mou, mais l’organisation de débats contradictoires, en permanence avec des majorités souvent fragiles, qui tiennent compte de la minorité et de l’état de l’opinion. 

Pourquoi veut-on imposer le dialogue aux démocrates face à des putschistes qui ont choisi de sortir du cadre du dialogue démocratique, pour mettre en cause la constitution dans un pays, par la force  ? 

Le dialogue se fait entre des entités identiques !

Si les putschistes de Niamey avaient échoué, leur sort aurait été aux mains de la justice. Dans le cas de la Côte d’Ivoire après l’échec du CNT, les acteurs de la sédition et de l’appel à l’insurrection n’ont eu d’autre choix que de faire profil bas et de rentrer dans les rangs. Pourquoi, alors, en cas de succès, le coup d’État ; qui n’est pas légal constitutionnellement, devient-il fondateur de légitimité à une époque où les barbaries totalitaires des siècles passés avaient tendance à disparaître ?

Je vois là le signe inquiétant d’un retour aux années sombres de la passation de pouvoir forcée, lorsqu’une instabilité chronique empêchait le développement du continent et l’épanouissement de la démocratie.

Nous devons nous prononcer et nous engager contre les coups d’État

Je refuse d’accepter la légitimité d’un coup d’Etat militaire ou d’une passation de pouvoir forcée, et je ne me prononce pas contre l’intervention militaire de la Cedeao au Niger. Le pacifisme béat ou naïf veut nous faire croire qu’un coup d’État peut disparaître comme par enchantement. Il ne suffit pas de sauter sur une chaise en criant « Démocratie ! Démocratie ! », pour que la démocratie advienne. La pression doit exister sur les putschistes.

Le jeu ambigu des grandes puissances ?

Des informations font état de ce que les américains tentent de jouer  leur propre partition à Niamey. D’ailleurs, les putschistes nigériens n’attaquent pas les Etats-Unis. Ils ne regardent pas nécessairement en direction de Moscou, disent-ils en même temps pour rassurer l’Occident. D’un côté Washington cherche à affirmer sa présence en Afrique pour contrecarrer l’influence de Moscou ; de l’autre, le Général Tchiani cherche à affirmer sa légitimité. Il ne peut le faire qu’avec les Américains. Le soutien du Mali et du Burkina n’est pas suffisant. Les Américains ne miseraient plus sur le retour de Bazoum ! Ils chercherait à éviter qu’après Bamako et Ouagadougou, Niamey ne bascule sous l’influence russe ! Est-ce sérieux ? N’assistons-nous pas au retour à la guerre froide ? À la fin prochaine des processus de démocratisation et du dialogue national inclusif ? Ne retournons pas dans une Afrique livrée à elle-même, à la merci des putschistes et des généraux de salon ou d’opérette, prêts à s’allier à n’importe qui pour sauver leur régime ?

L’heure est grave ! Car ce sont toujours les populations qui ont à souffrir des conséquences de la realpolitik et du soutien apporté à des régimes autoritaires qui ont pris le pouvoir par la force.

Les limites de de la diplomatie et de la négociation

La diplomatie et la négociation donnent du temps à une junte militaire pour se construire une légitimité. De quelle manière se construit cette légitimité ? Par un recours à la loi. La junte annonce vouloir poursuivre le président renversé, Mohamed Bazoum, pour « haute trahison » et « atteinte à la sureté » du pays. Pour gagner du temps, après avoir refusé de recevoir une délégation de la Cedeao, la junte a accepté la visite, qu’elle juge positive, d’une délégation de religieux nigérians musulmans. Pour la presse et les journalistes, victimes de menaces et d’intimidations, l’insécurité est grandissante. Il est donc illusoire de s’en tenir à la solution du dialogue et de la négociation avec un pouvoir militaire qui est,  par essence, la négation même du dialogue et de la négociation. Les ruses des putschistes permettent de gagner du temps pour arriver à un point de non-retour qui est l’acceptation des coups d’État comme c’est le cas au Mali, au Burkina, en Guinée. La realpolitik conduit à privilégier le « passons à autre chose », d’autant plus que, dans un premier temps, les militaires font état du soutien de la rue. 

Le dialogue est un allié pour les putschistes ! 

Personne n’est pour l’usage de la force à priori ni dans l’absolu. Le meilleur moyen de ne pas faire la guerre, n’est-il pas de préparer la guerre, de masser les troupes aux frontières, de survoler Niamey, de viser des cibles lointaines…, en espérant que les putschistes finiront par être gagnés par la sagesse? Brandir sa force, brandir la menace de la force pour ne pas s’en servir, en espérant la sagesse de Niamey…. Cependant si  l’idée que la guerre est dangereuse ne suffit pas à faire reculer Tchiani, comment croire que les médiations ça et là peuvent avoir plus de succès ?

Au lieu d’intégrer une telle option dans l’analyse,  les nouveaux “munichois” sont dans des postures de principe contre les positions de la Cedeao, pour tenter de fragiliser et tenter de discréditer celle-ci au seul profit des putschistes. Ils proposent le dialogue sans aucun moyen de pression. Souvent même sans condamner le coup d’État, devenant des alliés des putschistes ! Comme Jourdain ? Voire ?

Le faux prétexte de la sécurité 

La première explication que donnent les putschistes pour justifier un coup d’État militaire est la demande de sécurité que formulent les populations face à la menace terroriste. Le rôle du monologue délirant des putschistes et de la propagande est de faire croire que les armées nationales maliennes, burkinabè ou nigériennes vont éradiquer le terrorisme et la criminalité transnationale avec l’aide de Wagner et l’appui de la Russie, en un quart de tour. Wagner ne protège pas tout le Mali. 

L’Histoire montre que, dans la Rome antique, lorsqu’un empereur ne plaisait plus à sa garde prétorienne, il était renversé par les soldats d’élite qui assuraient sa protection. C’est ce qui se passe aujourd’hui en Afrique. Si la Cedeao et l’Union africaine ne font pas preuve d’autorité, l’Afrique risque de sombrer dans cette zone grise que représente la passation de pouvoir forcée avec l’aggravation de l’insécurité, notamment dans la zone sahélienne où trois verrous ont cédé, le Mali, le Burkina et le Niger. La voie est ouverte pour un déferlement de la menace terroriste dans les pays du Golfe. Le Mali est déjà occupé aux trois quarts par les groupes djihadistes, le Burkina à plus de 60 %, le départ de la France du Niger crée un espace de manœuvre pour les djihadistes. 

Au-delà de la sécurité de la sous-région, c’est la sécurité de l’Afrique qui est en jeu, mais aussi la sécurité du monde. C’est ce qui inquiète les pays membres de la Cedeao et l’Union Africaine. 

Il ne faut pas reculer et laisser prospérer les coups d’État. Y compris par la force si nécessaire ! 

J’ai plaidé ! 

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