Soumettre l’Ukraine et reculer face à Wagner : limites de l’option militaire
Même si certains, parmi les plus fervents pro-Poutine, assurent qu’il s’agit d’une mise en scène de leur champion afin de distraire l’Ukraine et de piéger les Occidentaux, ce qui s’est passé en Russie, le vendredi 23 et le samedi 24 juin 2023, est loin d’être anodin.
Au delà des questions de stratégie intérieure ou autre, l’aspect qui nous paraît important, est celui relatif au dialogue. Il est révélé par le journaliste Yao Noël, l’un de nos formateurs dans son Tweet quotidien du dimanche 25 juin 2023, en ces termes : “Le dialogue a triomphé hier entre Poutine et Prigojine grâce à une médiation du Président biélorusse Loukachenko. Pour nous, enfants et disciples de Félix Houphouët-Boigny, c’est encore la preuve que le dialogue et la négociation sont préférables à la violence et à la guerre”.
Alors, nous nous interrogeons sur Poutine, ce chef de l’État qui évite un bain de sang en Russie en acceptant le dialogue interne à la suite d’un coup de fil de son allié et homologue de Biélorussie, et qui n’a pas été sensible à la démarche de chefs d’État africains venus proposer un plan de paix fondé sur le dialogue entre les Russes et les Ukrainiens. Depuis le début, le Président Poutine a refusé un cessez-le-feu immédiat, préalable au dialogue nécessaire pour un retour à la paix.
Enfermé dans une posture qui l’a conduit à parler d’« opération spéciale » et non pas de guerre, le Président de la Fédération de Russie n’a jamais accepté le principe d’un dialogue pour apaiser les tensions. Situation presqu’inédite en matière de conflit armé : les affrontements se déroulent au même moment que les discussions, sans que la question d’un cessez-le-feu soit au centre des échanges.
Vladimir Poutine est celui qui attaque. Il est aussi celui qui, sur le papier, est le plus fort. Avec l’aide apportée à l’Ukraine par les pays membres de l’OTAN, et avec les faiblesses apparues au grand jour dans l’armée russe, l’on voit que 16 mois après le début de l’invasion de l’Ukraine, le Président de la Fédération de Russie est toujours englué dans son « opération spéciale ». Pourquoi n’a-t-il pas appliqué la sagesse du plus fort, ou du très grand maître Karaté qui reste serein face aux provocations d’un apprenant, à savoir l’apprenti Ukraine ? At-il préjugé de ses forces , et de sa capacité à faire rapidement la guerre ?
Lorsque l’on est une puissance nucléaire, alors qu’il est difficile de faire usage de l’arme nucléaire, il n’existe pas de « petite guerre ». L’usage de la force n’est donc pas toujours absolument nécessaire. N’est ce pas ce que le Président Poutine a compris s’agissant de son conflit avec Wagner, alors que l’affrontement entre l’armée russe et les quelques 5000 « wagnériens » à l’assaut de Moscou n’aurait jamais fait autant de morts que les victimes directes et indirectes de la guerre en Ukraine ?
Rien n’indique que l’esprit de dialogue et d’apaisement qui a prévalu autour de la question Wagner ( ou de la mise en scène de Poutine ), va avoir un impact dans la crise de la Russie avec l’Ukraine et le reste du monde. Cependant il reste important d’en souligner l’urgence et de l’espérer , pour rappeler l’essentiel : l’arrêt immédiat des hostilités, un cessez-le-feu durable pour des discussions franches. Mais, des discussions à quelles conditions ? Celles de la Russie ? Celles de l’Ukraine ? L’affrontement entre Poutine et Prigogine aurait été un affrontement bref. La guerre en Ukraine prend la forme d’une guerre perpétuelle. C’est pourquoi le dialogue est nécessaire.
Le dialogue peut prendre du temps , contrarier l’égo et l’orgueil , étouffer la volonté de puissance , l’esprit de “tu sais que je suis”, mais il crée les conditions d’une paix durable.
S’il y’a un dialogue qui rassure, qui devrait interpeller le Président Poutine, c’est celui entre les deux « grands » que sont Usa et la Chine. En effet, malgré leurs divergences et leurs désaccords, mais forts de leur super puissance, les dirigeants de ces deux pays se parlent .
Le dialogue Poutine-Prigojine déplait sûrement aux va-t-en-guerre des deux camps , les uns voulant voir le patron de Wagner liquidé et décapité; les autres espérant la chute de Poutine. Il n’en est rien.
Après avoir accepté d’étouffer son orgueil, après s’être gardé de l’usage de la force face à un rebelle, d’abord qualifié de traitre à la patrie, mais qui est réalité une grenouille se prenant pour un Éléphant, en négociant avec le chef d’une milice privée, pourquoi le Président de la Fédération de Russie ne peut-il pas faire le choix du dialogue avec les Ukrainiens, qui ont partagé avec l’URSS une part de son histoire ? Doit-il continuer de détruire l’Ukraine à cause d’un gouvernement supposé hostile, mais qui peut être battu un jour démocratiquement, lors d’élections ouvertes et transparentes ? L’accusation de néo-nazi est-elle un prétexte pertinent pour refuser tout dialogue avec les dirigeants ukrainiens ? Pour refuser la paix et la stabilité de la région, mais aussi du monde ?
Prigojine , présent sur le front, dans le feu de l’action en Ukraine avec ses 25 mille hommes , alors que la Russie avec des centaines de milliers de militaires et de recrues, ne peut vaincre l’Ukraine, apparaît, aux yeux de certains Russes comme un héros. Peut-il devenir artisan du dialogue et un acteur de la paix ? Rien n’est moins sûr. Prigojine est, en réalité, à la recherche d’un abri, afin d’éviter d’être liquidé par Poutine ou subir d’autres ennuis judiciaires, alors même qu’il est « persona non grata » dans le monde occidental.
Poutine, en l’envoyant en Biélorussie, lui offre une « planque », un abri. Il s’agit en réalité d’un exil que Prigojine ne pourra supporter longtemps. Le goût de la puissance et la soif du pouvoir, avec l’argent qui va avec, le conduiront à vouloir revenir en Russie.
Non, Prigojine n’est pas l’homme approprié pour donner des conseils de dialogue à Vladimir Poutine , encore moins le Président biélorusse, dont on sait qu’il est vassalisé par Poutine à qui il doit tout.
Quant à la Chine, elle observe de loin le conflit entre Poutine et Prigojine. Elle a apporté un soutien modéré à Poutine, au nom de la stabilité de la région. Elle refusera de s’en mêler, tant que rien ne la dérange sérieusement. Pour les Américains, Poutine est moins dangereux qu’un Prigojine qui possèderait l’arme nucléaire. Mais, au fait, la Russie n’a-t-elle pas entreposé en Biélorussie un arsenal nucléaire ?
Si Prigojine et sa milice armée utilisent l’arme nucléaire sur les terrains de guerre, en Ukraine ou ailleurs, ce ne sera pas Poutine, comme ce n’est pas la Russie qui est présente au Mali et en Centrafrique, mais Wagner. Il sera difficile de faire avaler cette escalade et cette déclaration de guerre, qui assurément ne restera pas sans réponse.
Wakili Alafé