Depuis le 20 mars 2017 que sa fille est écrouée à la Maca (Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan) , pour atteinte présumée à la sûreté de l’État-un crime que la jeune Sylvie Dago Mélanie, alors fille de ménage chez un Libanais, au moment des faits, dit «être trop grand pour ses frêles épaules» et dans lequel elle ne se reconnaît nullement-dame Bossé appelée affectueusement “tantie Monique” ne sait plus où donner de la tête. Afrikipresse l’a rencontrée dans son village, Kokolokpozo(département de Sassandra, 250 kilomètres au sud-ouest d’Abidjan) d’où elle implore la bonne compréhension des autorités judiciaires. Surtout, celle du couple présidentiel, Alassane Ouattara et son épouse Dominique.
[ Sur les traces de Mania à Kokolokpozo ]
Kokolokpozo, il est 16 heures 10 ce dimanche 21 mai 2017 lorsque nous arrivons dans ce gros village situé à 30 kilomètres de la ville de Sassandra sur l’axe Sassandra-Gagnoa. C’est un village bien calme que nous découvrons; la grande chaleur de ce jour,semble-t-il, y est pour quelque chose. Notre guide attend au “rond-point”, comme les populations appellent le carrefour qui fait office de gare routière pour le village.
Quelques salutations d’usage. Un bref tour chez le chef du village, Aimé Koukou, au “camp Godié” (un quartier du village). Nous lui exposons le motif de notre présence sur “ses” terres : ” nous sommes venu à la rencontre des parents de Dago Sylvie Mélanie, ex-fille de ménage chez un Libanais, dans les liens de la justice depuis 3 mois, et incarcérée, depuis 2 mois à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA) pour atteinte à la sûreté de l’État”.
Le chef baisse la tête et la remue en signe d’affliction. Tout en murmurant : “on se demande tous ce qui se passe. Une petite fille comme ça. Une bonne. Coup d’État !… Vraiment, aidez-nous ! “.
(Re)Lire >> Sos d’une fille de ménage “kidnappée” après l’attaque d’une gendarmerie (Côte d’Ivoire)
Son autorisation obtenue, avec notre guide en tête, nous arpentons quelques ruelles un peu herbeuses du village. Après 10 minutes de marche, nous arrivons au quartier”Zanmlanmanbogou” (quartier nigérien), dans une cour déserte. Personne à l’entrée de la petite maison en terre battue appelée communément “banco” couverte de tôle avec une porte en bois qui tient à peine. La cuisine, une aussi petite “cage” en banco sans porte d’où sort une fumée légère, signe d’une présence humaine à l’intérieur.
” Bonjour ” lance notre guide. De la cuisine, une voix sort : ” c’est qui ? “; et enchaîne (une dame sortant) : ” bonjour mes enfants”. Le regard de la dame qui se dressait devant nous les yeux à moitié fermés du fait de la fumée, était interrogateur. Le guide explique : “maman, c’est toi qu’on est venu voir”.
Ouvrant tous les yeux, la dame semble un peu plus surprise. Le guide tente de rassurer : ” Maman, il n’y a rien de grave. C’est le journaliste qui a raconté l’histoire de “Mania” (petit nom donné à Sylvie Dago Mélanie)”.
” Mon fils ! s’écrie la dame les bras ouverts et m’étreignant. Merci beaucoup. Que Dieu te bénisse. Qu’il bénisse tes patrons. Grâce à vous, beaucoup de gens s’intéressent au cas de ma fille aujourd’hui. Des associations sont allées la voir. Le député de Sago-Dakpadou et beaucoup de cadres la soutiennent. Merci beaucoup. Je ne savais pas que les journalistes écrivaient aussi pour nous les pauvres. Que Dieu vous bénisse. Asseyez-vous ici (elle nous montre un banc qu’elle essuie avec le bout du pagne qu’elle portait)”.
[ Détresse et désolation ]
À peine nous assîmes-nous qu’elle lançâ sourdement : “hé Mania, oh” . “Mon fils, continua-t-elle, je suis dépassée. Quand on m’a appelée pour me dire que Mania est arrêtée et qu’ils l’ont amenée à la PJ (ex-Police judiciaire, devenue Police criminelle ndlr), je ne savais même pas où mettre la tête. Mais, après, elle m’a rassurée que c’était juste pour l’entendre et que les policiers lui ont demandé de les aider à attraper un jeune qui la “cherchait” (draguait, ndlr). Ce qu’elle a fait. Donc ils devaient la libérer après. Deux jours, trois jours, une semaine… aie, qu’est-ce qui se passe encore ? On me dit encore, ils l’ont envoyée à la DST (Direction de la surveillance du territoire, ndlr).
Je ne comprends plus rien. Quand on se renseigne, on nous dit toujours qu’il n’y a rien. Même des policiers de la PJ disent qu’elle n’a rien fait. Seulement, ils ont eu besoin de passer par elle pour attraper le jeune, parce qu’il l’a appelé à partir d’un téléphone qui a été volé sur le lieu de l’attaque. Sinon, ils ont les preuves qu’elle était à la maison ce jour-là. Tout le monde a témoigné pour dire qu’elle a dormi à la maison à Marcory. On avait espoir. Et, un coup, on vient nous dire encore qu’ils l’ont amenée à la MACA. À la DST là-bas, les gens lui ont posé plein de question. On lui demande pour qui elle a voté en 2010 et que, elle, on l’appelait “maman patriote à Yopougon”.
Mon fils, en 2010, au moment des votes, ma fille était ici au village. Elle n’avait même pas de pièces pour dire qu’elle va voter. Mais, tout ça là, ça a quoi à voir avec attaque de Bingerville ? hééé ! Ils ont mélangé, mélangé affaire-là, jusqu’àààà… un coup, on dit qu’elle est à la MACA. Ça fait 3 mois que ça dure. Je n’ai rien. Son papa n’a rien. Nous voilà au village ici. (Me montrant la porte de sa maison) regarde maison où on dort dedans-là. Ma fille ne fait que travail de bonne chez les Libanais. Celle-là, elle va faire coup d’État comment ?”.
[ Le Président Ouattara et son épouse appelés au secours ]
Ses yeux imbibés ne peuvent plus retenir ses larmes. Elle fond littéralement mais poursuit : “Mon fils, lqu’ils libèrent ma fille. Je leur demande pardon. Dis à tes patrons ils n’ont qu’à dire au président Ouattara. Il n’a qu’à intervenir dans cette affaire-là. Sa femme, madame Ouattara qui est une mère doit savoir, quelle est ma douleur. Je souffre, mon fils. Même si tu as 1000 enfants, quand un se retrouve dans une situation comme celle de ma fille-là, tu ne peux même plus manger. Ils n’ont qu’à avoir pitié de moi. On a trop de problèmes.
Tout le monde dit qu’elle n’est pas dedans. Même les gendarmes de Bingerville ont reconnu que ce n’est pas elle, la fille qui faisait partie des assaillants. Mais, je ne comprends pourquoi on la garde encore en prison. On n’a même pas l’argent pour payer l’avocat. Vraiment, c’est Dieu qui va bénir le jeune avocat-là. Il a pris l’affaire en main. En tout cas, il se bat. Chaque jour, il nous rassure pour nous dire qu’elle va s’en sortir. Lui-même, il est très fâché avec la façon dont les gens ont fait l’affaire-là. C’est Dieu seulement, on prie pour lui. Que Dieu bénisse ses affaires”.
[ L’avocat entre doute et espoir ]
Pendant qu’elle parlait, une foule s’est constituée autour de nous. Tous semblent exténués par cette situation. J’entendais : ” libérez Mania. Elle n’a rien fait !”.
Mania, ou Sylvie Dago Mélanie, faut-il le rappeler, est dans les liens de la justice pour atteinte à la sûreté de l’État. Fille de ménage chez un Libanais, elle aurait été appelée par un de ses prétendants, à partir d’un téléphone qui aurait été volé lors de l’attaque de la brigade de gendarmerie de Bingerville le 20 février 2017. La police avait demandé sa collaboration pour mettre la main sur celui qui l’avait appelé. Ce qu’elle fit. Depuis lors sa vie a basculé.
Joint pour connaître l’état d’avancée de l’affaire, l’avocat dit avoir saisi “la chambre d’accusation pour plaider une libération de sa cliente”, mais, il dénonce “une lourdeur de l’administration” qui fait que “jusqu’ici les choses trainent encore”. “Ce vendredi, on sera un peu plus situé” rassure Maître Coulibaly Pansolier.
Chris Monsékéla