Près d’un mois après la fin du Grand dialogue national organisé par le président camerounais, et malgré la main tendue des autorités camerounaises, des groupes armés continuent de sévir.
Lors de sa visite le 10 octobre 2019 à Lyon, Paul Biya, le président camerounais, a promis à Emmanuel Macron, d’accélérer la mise en application des résolutions prises lors du Grand Dialogue National organisé du 30 septembre au 04 octobre 2019 , pour mettre définitivement un terme à la crise anglophone qui secoue son pays depuis 2016, et qui a déjà fait près de 2000 morts.
Ces réformes concernent entre autres, la décentralisation accrue, le statut spécial des régions anglophones. Malgré cette volonté affichée du chef de l’Etat camerounais, les groupes armés continuent de semer la terreur dans les deux régions anglophones du pays. Une semaine seulement plusieurs personnes ont été tuées, dont un officier de police, un militaire, un ex-combattant et un prêtre nigérian a été enlevé. En dehors de ces cas, des combats à l’arme sont devenus quotidiens dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest rapportent les sources locales. Quelques jours plus tard , dans la région du Sud-Ouest du pays, « onze ouvriers de la plantation située sur la route Tiko – Douala (région du Littoral), ont eu les doigts et les mains coupés avec des machettes par les séparatistes. Quatre autres hommes ont ensuite été enlevés et restent introuvables », a précisé le gouverneur de la région du Sud-Ouest, Bernard Okalia Bilai.
À cette allure, la paix semble loin de revenir dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Le politologue Aristide Mono pense que malgré le dialogue, « l’ennemi reste actif, et tient encore des positions importantes dans les deux régions en crise ». Pour lui, cette situation amène à questionner « les incidences positives réelles des défections médiatisées sur le retour à la paix dans les deux régions anglophones. Parce que la défection des généraux ambazoniens (nom donné au ressortissant de l’Etat imaginaire que veut créer la minorité anglophone du Cameroun), tel que cela a été présenté devraient entraîner la baisse ne serait-ce que relative de la violence ».
Aristide Mono indique qu’« On peut également interroger les incidences positives des propositions (projets de réformes) en faveur des régions en crise sur la crise anglophone. Avec cette situation qui perdurent, est-ce à présumer que ces propositions n’ont pas été bien accueilli ? » « Les résolutions prises lors du Grand Dialogue National ne concernent que ceux qui y ont pris part. De même, l’absence de représentation à cette rencontre des factions qui s’affrontent dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest exclut qu’elles se sentent concernées par les “affaires de Yaoundé” », commente pour sa part le chercheur Guy Beaudry Jengu. Un point de vue que ne partage pas le politologue Stéphane Zanga, pour qui, il est encore difficile de faire une évaluation deux semaines après la tenue du dialogue. Il propose « d’attendre encore pour mesurer l’impact des recommandations du Grand Dialogue National inclusif sur la situation sur le terrain ».
Lourdes conséquences économiques
Avec la guerre dans les régions anglophones du Cameroun, le pays a enregistré d’énormes pertes en ressources, pour la seule année 2017, la crise sécuritaire dans les régions anglophones a fait perdre un demi-point de croissance au Cameroun, indiquait un rapport du gouvernement cité par Jeune Afrique. Et si la situation perdure, « elle pourrait accroître le niveau de dépenses de défense et de sécurité, affectant ainsi les prévisions budgétaires », prévient la Banque Africaine de Développement.
« Si la résistance de la violence se poursuit on assistera tout naturellement à l’amplification des conséquences économiques, humaines et sociales de cette crise. Ce qui va fatiguer les protagonistes qui se trouveront tous épuisés par les dépenses et les affres de la guerre. Au final l’un va capituler, seulement après combien de temps et à quel prix ? » se demande Aristide Mono.
Vers une nouvelle médiation
Alors que la situation d’insécurité perdure, plusieurs options se présentent. « L’Etat devra imposer la paix dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, si l’implémentation des mesures visant à ramener la sérénité dans ces deux régions fait l’objet de rejet par les entrepreneurs du chaos », tranche Stéphane Zanga.
Guy Beaudry Jengu, propose à son tour, qu’« un dialogue incluant véritablement les factions sécessionnistes soit organisé, pour permettre que les élections à venir se tiennent ». Pour sortir de cette crise Aristide Mono a un avis mitigé. « En plus de la mise en œuvre rapide des solutions populaires du dialogue. Soit l’Etat renforce ses capacités de défense et de sécurité pour mieux résoudre la crise par les armes, soit il entame des pourparlers directs avec des leaders séparatistes sous l’égide d’une médiation internationale afin d’obtenir un dépôt des armes », analyse-t-il.
Depuis 2016, la partie anglophone du Cameroun constituée des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, proteste contre ce qu’elle considère comme une marginalisation. La plupart des anglophones exigent le fédéralisme, tandis que d’autres qui ont pris les armes exigent la sécession.
Joseph Essama