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    Coup d’État Niger – Landry Kuyo (Juriste et politologue) : « Si rien n’est fait en face, la CEDEAO doit prendre ses responsabilités… »

    Coup d’État Niger – Landry Kuyo (Juriste et politologue) : « Si rien n’est fait en face, la CEDEAO doit prendre ses responsabilités… »
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    La Rédaction
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    Visage désormais bien connu des débats télévisés, Landry Kuyo suit avec beaucoup d’intérêt la situation de crise au Niger. Dimanche 13 août dernier, en marge de la conférence de presse du ‘‘Soutien Africain pour la Démocratie et la Paix’’ (SADP), en lien justement avec cette actualité brûlante de la sous-région, le juriste et analyste politique a bien voulu réagir sur le sujet. Une position équilibrée à lire entre les lignes.

    Le Soutien Africain pour la Démocratie et la Paix, à travers cette conférence de presse, vient de marquer son apparition sur la scène sociopolitique. Au regard de sa matrice et de son plan d’actions, pensez-vous que c’est un mouvement qui a toute sa place à prendre ?


    Souvent, on a l’impression que les choses sont évidentes parce que l’on a fait l’expérience plus ou moins heureuse de la démocratie. Face à la réaction des peuples africains, en particulier des jeunes qui vivent une expérience de vie pas du tout facile, il est important de réaffirmer ce que c’est que la démocratie, puisqu’il y a une forme de dévaluation de celle-ci. Cette dévaluation n’est pas une vue d’esprit. Elle résulte d’actes manqués, d’une mise en œuvre, à certains moments et en certains endroits, qui ont manqué de pertinence et qui font, qu’aujourd’hui, ces jeunes-là, sans renoncer aux promesses démocratiques, voudraient bien connaître une autre expérience politique et se voir être débarrassés de leurs univers, de certains dirigeants qu’ils accusent à tort ou à raison. C’est en cela qu’il est important de rappeler que les peuples africains n’ont pas renoncé aux promesses démocratiques qui sont les libertés individuelles, les libertés collectives, le droit de décider de manière souveraine qui va me diriger et le droit de demander des comptes à celui que j’ai élu. Même lorsque les militaires viennent au pouvoir, par la suite, ces militaires s’organisent pour pouvoir restaurer l’ordre démocratique. C’est le cas au Mali. Cela veut dire qu’en réalité, le problème ce n’est pas la démocratie. Le problème est plutôt sa mise en œuvre. C’est pour cela que nous affirmons qu’il faut faire d’économie des coups d’État à l’effet, maintenant avec courage et lucidité, d’examiner la mise en œuvre de l’offre démocratique, de déceler là où ça ne va pas et apporter des solutions concrètes. Il faut s’interroger en ces termes-ci. Il faut absolument se mettre dans cette disposition en toute humilité, je dis bien en toute humilité à l’effet de sauver l’offre démocratique. Dans le cas contraire, on aura perdu un bien précieux. Pis, ce sont les mêmes peuples qui, aujourd’hui, acclament ces militaires, qui vont leur reprocher de les avoir trahis et d’avoir volé ce pourquoi eux et leurs pères se sont battus, c’est-à-dire, la liberté, l’égalité et la justice, le droit de prospérer et jouir des richesses que nous offre Mère nature. 

    Cela dit, comment régler ce problème cornélien qui se pose aujourd’hui au Niger ?

    Le problème au Niger n’est pas un problème cornélien. Le problème au Niger est un problème d’égo, un problème de personne. C’est donc un problème qui peut trouver des solutions, tant est que nous avons la capacité au niveau de l’Afrique et de la CEDEAO d’emmener les uns et les autres à s’asseoir et discuter. Il n’est plus question de se ranger derrière X ou Y pour se bagarrer. C’est la raison pour laquelle je n’hésite pas un seul instant à inviter tous les pays ouest-africains et leurs dirigeants, à l’effet de s’asseoir autour d’une table pour dialoguer. Si aujourd’hui la CEDEAO bande les muscles, c’est parce que de l’autre côté, du côté de la junte et de leurs soutiens, l’on refuse toutes les initiatives de discussion et de dialogue. Si au niveau du groupe de militaires tentant de faire un coup d’État au Niger, on avait laissé les délégations de la CEDEAO venir s’asseoir, on leur avait donné l’opportunité de donner leur message, on leur avait donné l’opportunité de visiter le Président Bazoum et sa famille, tenus en otage dans des conditions d’indignité, je ne crois pas qu’on aurait mis en action la force d’attente. Le Mali, le Burkina Faso et même la Guinée, ayant connu des coups d’État, continuent de dialoguer. Il y a eu des moments de tensions, mais le dialogue n’a pas été rompu. Ce qui veut dire qu’on n’aurait pas eu besoin d’activer la force d’attente si le dialogue avait été initié. 

    Absolument…

    En conséquence, c’est donc l’attitude de la junte nigérienne justifie que cette menace est brandie. Mais nous déclarons, à toute fin utile, que si une intervention militaire doit avoir lieu, elle ne sera pas contre le Niger. C’est une intervention vise précisément le groupe de militaires putschistes et leurs complices. En tout état de cause, cette intervention sera employée de manière ultime dans un état de nécessité absolue parce que la primauté, la priorité est le règlement diplomatique. C’est en cela qu’il faut tout faire pour que ce règlement diplomatique se fasse. Il ne faut pas en faire l’économie. C’est la raison pour laquelle dans les discussions, il faut être tempéré et respectueux. Il faut pouvoir emmener les autres à venir s’asseoir, le rassurer sur son lendemain en vue de les rassurer.

    Au Nigéria, les parlementaires se sont opposés au déploiement de la force de la CEDEAO.  Est-ce qu’il ne faut pas craindre une difficulté généralisée à ce niveau ?

    Non ! Vous savez, même si les textes nigérians donnent le pouvoir aux parlementaires de se prononcer sur la question, le président de la République a le pouvoir de décider malgré tout. Mais vous ne pouvez pas croire que le président du Nigeria a du mépris pour son parlement d’autant plus qu’il s’agit d’une opinion donnée par un groupe de parlementaires dans un cadre informel. En tout état de cause, quand bien même il évoque l’option de l’intervention militaire, la priorité est donnée au dialogue car les enjeux sont colossaux. Vous savez, les populations qui se trouvent au Niger se trouvent aussi au Nigeria, et en Côte d’Ivoire, les liens sont trop forts et imbriqués. Je réaffirme que personne n’a intérêt à ce qu’il y ait une résolution forcée de la crise. Mais si en face, il n’y a rien de raisonnable qui est fait, il reviendra à la CEDEAO de prendre ses responsabilités. Si l’on laisse faire, l’on aura définitivement inscrit dans les cœurs et dans les esprits des africains que, outre le mode pacifique d’alternance au pouvoir d’Etat, un autre moyen de facilité qui est le coup d’État existe et qu’il faut désormais prendre en compte. Les situations de fait vont s’opposer à l’Etat de droit. Il ne faudrait pas s’étonner pour quelques raisons que ce soit, quiconque portant une arme, se donne les moyens de dégommer n’importe lequel des Présidents de la République.

    Un mot sur le sentiment anti-français qui devient grandissant et qui accompagne souvent les coups de force en Afrique de l’Ouest. Est-ce que vous comprenez ce sentiment ? Si oui, qu’est-ce qui explique cela à votre avis ? 

    Vous savez, quand on examine les chiffres et la réalité au niveau de la gouvernance politique et économique, on dirait qu’il n’y a pas de raisons pour qu’il y ait un sentiment anti-français, puisque la France n’a pratiquement plus de pré-carrés en Afrique. Les États se donnent les moyens de diversifier leurs partenariats, d’autant plus que la France, elle-même, contribue à s’affaiblir. Elle n’est plus en capacité de satisfaire à l’essentiel des requêtes de ses partenaires africains. Sauf qu’en politique, la réalité ne compte pas autant que la perception. Or la perception est d’ordre culturel et aussi historique. Aujourd’hui, on observe l’accélération d’un processus de décolonisation qui n’a pas pu s’achever, il y a des années, et qui est ressenti comme un besoin nécessaire de trouver son achèvement maintenant. La France devenant donc un épouvantail, un bouc émissaire à l’effet de construire un discours populiste. Mais c’est aussi à elle, la France, de considérer ce qui a été, et d’examiner le regard qu’elle a porté sur les peuples d’Afrique. C’est à elle d’examiner sa politique africaine qui n’a pas toujours été celle qui mettrait l’Afrique dans une situation de dignité. C’est à elle de pouvoir faire son mea-culpa. Elle ne peut pas rejeter du revers de la main sa responsabilité, comme dirait Macron : Ce n’est pas moi, c’est la vieille France, je ne suis pas de cette génération. L’Histoire est continuelle. Les fils mangent les fruits qu’ont plantés leurs pères. La France doit revoir son offre pour l’Afrique, et surtout séduire à nouveau ces africains en les traitant, les considérant d’égal à égal.

    Martial Galé

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