L’attribution du marché de la réhabilitation du Cafop de Katiola (400 kilomètres au nord de la Côte d’Ivoire), par l’Unité de coordination du Projet C2D Éducation Formation (UCP-EF) au Groupement ECPD/EUROBAT est contestée.
Les entreprises Okounda Btp et CNTP ne sont pas d’accord avec la façon dont le marché de la réhabilitation du Cafop de Katiola a été attribué au Groupement ECPD/EUROBAT par l’Unité de coordination du Projet C2D Education Formation (UCP-EF). Elles ont fait opposition par courriers adressés à l’Autorité nationale de régulation des marchés publics (Anrmp). Les deux entreprises reprochent au Groupement ECPD/EUROBAT d’avoir remporté l’appel d’offre sur la base d’un faux. L’ingénieur-expert présenté comme son directeur des travaux serait plutôt l’ingénieur-expert de l’entreprise Okounda. (Fac-similé 1)
De quoi s’agit-il ?
Lorsque l’appel d’offre pour la réhabilitation du Cafop de Katiola est lancé, 27 entreprises postulent dans le délai. Après un premier tri des dossiers dit « évaluation technique » par une commission composée de 5 personnes représentant les différentes structures partie-prenantes du projet, notamment, le ministère de l’éducation nationale, l’Unité de coordination du Projet C2D Education Formation (UCP-EF), la direction des marchés publics (Dmp), le contrôleur financier issu du ministère de l’économie et des finances et le maitre d’œuvre (le cabinet expert qui a monté techniquement l’appel d’offre), les dossiers de 22 entreprises sont rejetés pour différents motifs bien notifiés dans le tableau des résultats paru dans le journal Fraternité Matin du 20 février 2018. 5 entreprises sont donc retenues comme remplissant les conditions pour se voir attribuer le marché susmentionné. Il s’agit de : Groupement ECPD/EUROBAT, CNTP, Okounda BTP, SCM et Entreprise Le N’ZI. (Fac-similé 2 : résultats paru dans Fraternité matin du 20 février 2018). Cette phase, la deuxième, est la phase de l’évaluation des offres financières.
À l’analyse approfondie des dossiers des dernières 5 entreprises en compétition, les membres de la Commission découvrent que 2 d’entre elles, ont le même ingénieur-expert. Elles ont fourni la même copie de diplôme du même ingénieur-expert. Forcément, soupçonnent les membres de la commission, il y’a du faux quelque part. Ils décident alors de s’en référer au maitre d’œuvre, la société ECGTX à qui la Commission demande par courrier en date du 15 janvier 2018 de bien vouloir demander aux 5 entreprises de fournir, chacune, l’original du diplôme de son ingénieur-expert ; question d’identifier l’usurpateur. (Cf, fac-similé 3).
Quelques jours plus tard, sous pli, chacun des 5 candidats répond à la Commission par l’intermédiaire de l’ECGTX. La commission peut alors statuer. Elle fait son rapport et l’adresse à l’Unité de coordination du Projet C2D Education Formation (UCP-EF) qui rend publics les résultats dans Fraternité matin du 20 février 2018. (Fac-similé 4). Le Groupement ECPD/EUROBAT remporte l’appel d’offre. Tout le processus devrait se terminer là. Que non !
L’origine du problème
Des langues au sein de la Commission se délient. Et la société Okounda Btp apprend que le Groupement ECPD/EUROBAT qui a remporté l’appel d’offre, a utilisé la photocopie du diplôme de son ingénieur-expert. Aux dires du gérant d’Okounda BTP, son ingénieur-expert a été contacté par, probablement, des responsables du Groupement ECPD/EUROBAT qui lui ont demandé l’original de son diplôme en échange d’une certaine somme d’argent au cours de la période où l’ECGTX avait demandé aux entreprises de déposer l’original du diplôme de leurs ingénieurs-experts. L’ingénieur-expert y avait opposé une fin de non-recevoir. En plus, selon le patron d’Okounda Btp, « il ne le pouvait pas, vu que l’original de son diplôme est bel et bien entre les mains du responsable de ressources humaines d’Okounda Btp ». À notre demande, il présente l’original en question. Ce qui induit, selon lui, que le Groupement ECPD/EUROBAT n’a pas pu fournir l’original du diplôme contenu dans son dossier présenté à la Commission. D’où vient-il qu’il puisse obtenir le marché quand on sait que le code de passation des marchés en Côte d’Ivoire est clair et rigide sur ce genre de question, interroge le plaignant ?
Qui de la Commission ou du maitre d’œuvre porte la responsabilité d’une telle incohérence ?
Le coordonnateur de l’Unité de coordination du Projet C2D Education Formation (UCP-EF), Bacary Kamara joint par téléphone explique qu’effectivement, à la demande de la Commission, les entreprises devaient produire les originaux des diplômes de leurs ingénieurs-experts. « En matière de passation de marché, précise-t-il, lorsqu’il y’a des zones d’ombre, on demande aux soumissionnaires de clarifier. Et c’est avec les clarifications que la Commission travaille ». À la question de savoir si oui ou non les entreprises Okounda Btp et le Groupement ECPD/EUROBAT se partageaient effectivement le même ingénieur-expert, il a répondu : « Quand j’ai cherché à vérifier, les résultats que j’ai eu ne me permettaient pas de tirer une conclusion ». Pourtant, la conclusion est là ; le Groupement ECPD/EUROBAT a obtenu le marché.
Dans les couloirs des locaux de l’Unité de coordination du Projet C2D Education Formation (UCP-EF), maître d’ouvrage du projet de réhabilitation du Cafop de Katiola, le maître d’œuvre, l’ECGTX est indirectement mis en cause.
Contacté, le directeur de l’ECGTX assure avoir « fait son travail en toute transparence ». « Nous ne sommes membre de la Commission qu’en tant que rapporteur. Nous ne prenons pas part au vote pour la désignation de l’entreprise qui doit exécuter les travaux », ajoute-t-il.
À la question de savoir si sa société a « manipulé les pièces » (pour employer la phrase exacte entendue dans les locaux du C2D), il est formel : « non, nous n’avons pas manipulé les pièces ». Au demeurant, il croit qu’il est « tellement simple de prouver à quelle entreprise appartient exactement l’ingénieur-expert » qu’il « ne comprend pas » toute cette gymnastique. « Si des gens dans la Commission ou au C2D pensent que mon cabinet a tripatouillé les dossiers, il suffit, pour eux de demander aux entreprises de venir physiquement, chacune avec son ingénieur. Nous, la Commission nous a demandé, en tant maître d’œuvre de demander aux entreprises de fournir les originaux des diplômes de leurs ingénieurs-experts. C’est ce que nous avons fait, et nous avons transmis tous les dossiers à la Commission qui a tranché. Les résultats ont été publiés. Il y’a des contestations et oppositions. Nous en avons été informés comme tout le monde. Nous constatons comme tout le monde. Tout est désormais du ressort de l’Anrmp. Ça devrait être quand même facile à trancher. Je répète encore une fois, il suffit de demander aux deux entreprises de venir chacune avec son ingénieur. On verra laquelle viendra avec l’ingénieur dont le diplôme est utilisé et mis en cause. Je crois que si l’on veut être transparent sur cette question, c’est comme cela qu’il faut procéder ».
L’ingénieur parle : « Je ne connais pas EUROBAT »
Rencontré, l’Ingénieur-expert Koné Kigneniman, est formel : « l’original de mon diplôme est chez Okounda BTP. C’est avec Okounda BTP que je suis en relation de travail. Je ne connais pas EUROBAT». Mais alors comment la copie de son diplôme se retrouve dans le dossier du Groupement ECPD/EUROBAT ? « Je ne sais pas. Je n’en ai aucune idée », affirme-t-il.
Dès lors, il ne reste plus qu’à poser la question directement à EUROBAT. En se référant à l’adresse de cette entreprise contenue dans son dossier, elle se trouverait à San Pedro (400 kilomètres au sud d’Abidjan). Le numéro du fixe composé en premier semble hors service. Le portable sonne, mais personne ne décroche. Une heure plus tard, un sms du même numéro est reçu : juste un point d’interrogation pour signaler, et savoir qui est l’interlocuteur. Nous relançons l’appel. Cette fois, une voix masculine au bout du fil, parle. Nous nous présentons et exposons l’objet de l’appel. Réceptif et courtois, l’interlocuteur se présente comme le responsable d’EUROBAT. Il informe qu’il est « en ce moment à l’extérieur de la Côte d’Ivoire ». Il souhaite une rencontre à son retour prévu d’ici peu. Nous insistons pour savoir si oui ou non son entreprise, dans le cadre de la passation du marché de la réhabilitation du Cafop de Katiola, a présenté le dossier d’un ingénieur-expert qui n’est pas en relation avec elle ? Nous n’obtenons pas de réponse immédiate, parce que le responsable insiste pour un rendez-vous à son retour au pays.
Du côté de l’Anrmp (Autorité nationale de régulation des marchés publics), arbitre à ce conflit, au nom de la clause de confidentialité sur une affaire en cours, personne n’a voulu se prononcer. Une source là-bas a simplement rassuré que « cette affaire sera réglée en toute transparence ».
Les responsables d’Okounda Btp disent ne vouloir qu’une seule chose : « se blanchir dans cette affaire de faux ». Ils assurent que leur ingénieur reste « clean ». L’autre entreprise plaignante, ( Cntp ) arrivée en deuxième position à cet appel d’offre, reste en embuscade, au cas où le Groupement ECPD/EUROBAT est disqualifié.
Chris Monsékéla
Photos :
• Fac-similé 1et 2 : courriers d’opposition des entreprises Okounda Btp et Cntp
• Fac-similé 3: Fraternité matin du 20 février 2018.
• Fac-similé 4 : courrier de la Commission aux entreprises transmis par l’ECGTX
• Fac-similé 5 : Résultats de l’appel d’offre Fraternité matin du 20 février 2018.