A l’instar de plusieurs pays, les caisses de retraites de Côte d’Ivoire rencontrent beaucoup de difficultés qui ont amené le gouvernement à entreprendre en 2012 une réforme pour rétablir l’équilibre. Cette réforme peut se résumer en un rallongement de l’âge de départ à la retraite (de 55 à 60 ans pour les personnels civils de la catégorie D à A3 et de 60 à 65 ans pour les personnels civils des grades A4 à A7) ; une hausse de la cotisation (de 18% à 25% du traitement brut indiciaire) ; et une réduction de la pension (de 2% à 1,75%), avec une nouvelle base de calcul des pensions prenant en compte les 15 meilleures années au lieu des 10 ans dans l’ancien système. Malgré les nombreux avantages que le gouvernement attribue à cette réforme, les fonctionnaires ivoiriens s’opposent à sa mise en œuvre. Alors, cette réforme est-elle la solution idoine ?
La réponse est non. Car un système étatique par répartition, où les jeunes actifs ayant un emploi aujourd’hui cotisent pour financer les « vieux » retraités, est condamné à la faillite tôt ou tard. En effet, la baisse continue du taux de croissance démographique et la hausse simultanée de l’espérance de vie des personnes âgées (+60 ans) constituent des défis pour ce système de retraite par répartition car il y aura plus de vieux donc plus de pensions à payer. Les prévisions indiquent que la population de plus de 60 ans représentera 6,41%[1] de la population ivoirienne en 2030 contre 3,5% actuellement. De plus, les statistiques indiquent que présentement un pensionné est pris en charge par 2,44 actifs. Le nombre de retraités en Côte d’Ivoire est appelé à doubler d’ici 2050. Donc, pour que l’équilibre du régime soit maintenu il faudra 4 à 5 actifs pour prendre en charge un retraité. Or le nombre de fonctionnaires est estimé à 186 508 en 2015 pour une masse salariale de 1347 milliards de FCFA soit 46% des recettes fiscales. Ce ratio est largement au-delà de la norme communautaire qui est de 35% des recettes fiscales. Le gouvernement ne peut donc pas accroitre indéfiniment le nombre de fonctionnaires.
En outre, le système de retraite par répartition ne peut pas fonctionner correctement à cause de la faiblesse de la création d’emplois. Les résultats de l’enquête nationale sur la situation de l’emploi et le secteur informel (ENSESI 2016) indiquait que 27,8% de la population en âge de travailler est en situation de chômage ou de sous-emploi. L’emploi qui se fait de plus en plus rare, et les jeunes y arrivent de plus en plus tard, tandis que la durée de leur cotisation se rétrécit par la force des réalités nouvelles du marché de l’emploi, l’un dans l’autre, ces deux facteurs impactent, de façon extrêmement régressive, le rapport numérique cotisants-bénéficiaires. Par ailleurs, la mauvaise gouvernance et les dysfonctionnements sont inhérents à la gestion publique des caisses de retraite. De nombreuses fraudes et des paiements indus ont été constatés au niveau du système ivoirien de retraite par répartition. Selon le Directeur Général de la CGRAE, des efforts ont été faits pour réduire de 20% les charges liées à la fraude de 2012 à 2015.
Aujourd’hui, l’une des raisons du refus de la réforme par les fonctionnaires ivoiriens réside dans le fait qu’ils se sentent spoliés par cette réforme. Le régime par répartition peut être source d’iniquité, puisqu’il repose sur le principe que les actifs d’aujourd’hui financent les vieux d’aujourd’hui. Mais il n’y a pas de garantie que ces jeunes actifs, qui seront les vieux de demain, bénéficient à leur tour de leurs pensions. En effet, lorsque le système fera face à de nouvelles difficultés, ce qui est inéluctable si on poursuit avec le système actuel, la pension sera réduite ou non payée même si les bénéficiaires ont cotisé plus auparavant. Ce système de retraite par répartition empêche la liberté de chacun de préparer sa retraite comme il l’entend (années d’activité, cotisations), et transmettre totalement ses économies à qui bon lui semble en cas de décès. Par exemple, selon la réforme de 2012, le conjoint du fonctionnaire décédé ne peut jouir de la pension que lorsqu’il aura atteint l’âge auquel le fonctionnaire décédé aurait pu jouir de la pension s’il était en vie.
Face aux difficultés du système par répartition et à la contestation de la réforme, il est important de changer de paradigme en adoptant la capitalisation. Le régime par capitalisation a beaucoup d’avantages. D’abord, la capitalisation est peu sensible aux déséquilibres dus à la dégradation de la structure démographique. Ensuite, le régime par capitalisation est plus équitable. L’équité requiert en effet que les pensions soient proportionnelles aux cotisations et qu’à contributions égales tous les retraités aient une pension comparable. Sur la base d’un contrat individuel, chaque assuré reçoit exactement ce à quoi il a droit. Quant à la liberté et à la responsabilité, l’âge de la retraite est une affaire de choix personnel aussi bien que le taux de cotisation. Chacun doit être responsable de la gestion de son patrimoine. Du point de vue de l’efficacité du système, il faut noter qu’en cas de stabilité monétaire, lorsque les taux de capitalisation sont intéressants, les rendements nominaux sont très avantageux. Au niveau de l’efficacité macro-économique, la capitalisation permet la collecte d’une épargne suffisante pour l’investissement. Enfin, son efficacité financière réside dans sa capacité à constituer des réserves permettant d’assurer l’équilibre. Cependant, pour que le régime par capitalisation marche, il faudrait satisfaire certains préalables. Il s’agit, entre autres, d’un système bancaire et financier sain et développé et d’une stabilité monétaire. Cela permet d’avoir des produits financiers diversifiés et moins risqués et une inflation maîtrisée.
En définitive, s’il est vrai que le système de retraite ivoirien mérite d’être réformé, le gouvernement ivoirien n’a pas réalisé la réforme appropriée. Car nous ne pouvons augmenter indéfiniment l’âge de départ à la retraite, les taux de cotisations et réduire la pension au moment où le coût de la vie devient de plus en plus élevé.
KRAMO Germain, Chercheur associé au CIRES, Côte d’Ivoire.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.