Ces jours-ci quelques commentateurs de l’actualité ivoirienne tendent à présenter les médias ivoiriens, comme une entité déconnectée des populations. Il n’en est rien ! La preuve cette une de l’IA (L’intelligent d’Abidjan) du 22 mai 2015, suivie de la publication du texte qui avait été écrit à l’époque pour alerter et pour attirer l’attention aussi bien des gouvernants que des consommateurs.
Est-ce la faute aux journalistes si entre-temps les populations et les consommateurs n’ont pas bougé, s’ils ont choisi lors de la présidentielle de ne pas faire connaître leurs attentes, dans les urnes ? Les journalistes ne peuvent pas agir à la place des populations. Ils jouent leur rôle d’alerte. Sur ce terrain l’IA n’a pas du tout failli à sa mission.
« Ils étaient là depuis avant et quand personne n’a bougé, ils ont pensé que c’était fini, qu’il n’y avait pas de problème», a commenté un lecteur à la vue de cette Une de mai 2015. L’article en soutien à cette Une, disait exactement ceci et est le suivant :
« L’annonce ou l’appel d’Odienné consistant à l’augmentation du prix de l’électricité à partir du 1er Juin 2015 fait de fortes vagues dans les foyers, et sur les réseaux sociaux. Pour l’heure peu de personnes montent au créneau pour défendre le gouvernement sur la question. Des questions solides et en béton se posent ça et là.
« Pourquoi il n’y a pas eu de préavis ? Ce n’est pas parce qu’il s’agit du gouvernement, ou d’un monopole que nous allons être prévenus seulement dix jours avant. Ce sont des foutaises ! On devait nous prévenir trois mois avant, comme dans tout contrat commercial, ou d’affaire. On ne peut pas nous imposer comme ça une décision», s’insurge Kouakou Marcel, un usager de la CIE qui pointe les problèmes d’accès à l’électricité qui existent déjà, les coupures intempestives et les nombreuses taxes qui existent déjà sur la facture d’électricité.
D’autres usagers et consommateurs se demandent si cette décision ne sera pas du pain béni pour la CNC et le changement qu’elle a promis. Estimant que l’opposition, en dehors du rejet du Président Ouattara et du slogan de la libération de Laurent Gbagbo, n’avait rien à proposer de concret, les tenants de cette grille de lecture pensent que la décision du gouvernement donnera du grain à moudre aux opposants.
Dans la veine de l’opportunité de la décision, cette autre question est posée dans les foyers : « Quelle idée ? Le Président ne pouvait-il pas attendre jusqu’à octobre 2015, l’après élection ? Cela prouve-t-il qu’il est si sûr de gagner qu’il ne tient même pas compte des conséquences de ce type de mesures impopulaires, même si c’est économiquement et techniquement nécessaire ? Si le pays avait encore attendu cinq mois, aurions-nous été en cessation de paiement ? C’est pour combien de milliards par mois, le gouvernement prend le risque de se mettre à dos, même ses propres partisans ?».
Des questions en béton qui en appellent d’autres : «La colère peut-elle s’organiser et dépasser la cadre des salons feutrés des populations, ou des grains et débats de cour commune ? Les révolutionnaires du clavier peuvent-ils aller au-delà des réseaux sociaux ? La mobilisation citoyenne virtuelle qui se fait et la révolte sociale qui est rêvée peuvent-elles devenir réalité ? Les associations de consommateurs ont-elles été informées et consultées ? Comment vont-elles réagir ? » . Autant de questions et de problèmes posés aux autorités ivoiriennes ! À défaut de vrais dossiers et des preuves en béton annoncés dans des affaires passées, voici de vraies questions en béton et des soucis réels pour le gouvernement ivoirien qui doit trouver une pédagogie, une formule de communication sociale, permettant de faire avaler la pilule.
Cette explication d’une tête forte du pouvoir est déjà à retenir : «Le Président n’est pas un démagogue. Il sait bien qu’il y a une élection dans quelques mois. S’il a autorisé cette décision, c’est bien la preuve qu’il n’est pas un populiste et qu’il prend le risque de mécontenter parce qu’il n’y a pas d’autre choix. Vous voulez qu’il mente et que s’il est réélu, l’augmentation qui devait avoir lieu maintenant, soit doublée ? Nous allons expliquer et les Ivoiriens comprendront, mais en tout état de cause, nous tiendrons compte des réactions». Du bon sens à encourager !
Dans tous les cas, même si la révolte sociale rêvée par certains n’a pas lieu dans la rue, elle pourrait quand même s’exprimer dans les urnes».
À la suite de cet article signé Charles Kouassi, la rédaction avait donné la parole à des consommateurs dans cette même parution de mai 2015.
[ Soumahoro Ben N’faly, président de l’Association pour la protection des consommateurs actifs de Côte d’Ivoire : « Trop c’est trop »
«Non ! Non ! Non ! Les nouvelles en provenance du Kabadougou ne sont pas bonnes. Le gouvernement décide d’augmenter le prix de l’électricité début juin ( en juin 2015) , à une période où l’électricité est de mauvaise qualité, il y a des coupures intempestives, des dégâts matériels non dédommagés, l’absence de sanction contre les fraudeurs et leurs complices de la CIE. Consommateurs, pour une première fois, disons non à cette décision. Trop c’est Trop».
Marius Comoé, président de la FACCI :«Que le gouvernement se souvienne des actions menées contre la vie chère»
«C’est une grande farce étant entendu que nous ne pensons pas que le gouvernement est conscient des réalités des populations. Le RHDP, coalition au pouvoir avait fait des promesses lors de l’élection présidentielle de 2010 qui n’ont pas été tenues. Une telle mesure verrait aussitôt la réaction des véritables associations de consommateurs, qui sont restés observateurs depuis l’accession au pouvoir du Président Ouattara. Nous avons été assez responsables et nous attendu les promesses faites en 2010. On nous avait promis une baisse du carburant, une université à construire chaque année, l’école pour tous… Le bilan à mi-parcours du Président Ouattara nous permet de dire que le régime actuel a trahi. C’est pourquoi nous mettons en garde contre la mise en œuvre d’une telle décision. Il ne faut pas réveiller le serpent qui dort car, à trop exacerber la tension sociale, la situation pourrait être dommageable. Que le gouvernement se souvienne des actions menées contre la vie chère. Trop c’est trop et la FACCI dont j’ai la lourde responsabilité de présider aux destinées n’acceptera aucune augmentation».
Patrice Kouaho , instituteur à la retraite : «On va se retourner vers les panneaux solaires»
«C’est la solution du Président de la République, pour faire face aux revendications des enseignants. Comme, il fallait s’y attendre. Sinon je ne voie pas où il va trouver les milliards d’arriérés de salaires réclamés par les collègues enseignants. On va se retourner vers les panneaux solaires»
Coulibaly Fatoumata, informaticienne : «C’est dommage…»
«Avec la cherté de la vie, si on doit augmenter l’électricité, où allons-nous. Aujourd’hui, il est difficile de joindre les deux bouts avec même un salaire de 200.000 FCFA. Les autorités devraient penser un peu à la population. Ce n’est pas tout le monde qui est travaille dans l’administration»
Koffi Yao Hervé, ferronnier : « C’est la mort programmée de nos ateliers »
«C’est la mort programmée de nos ateliers. Nous faisons tout avec l’électricité. Les factures sont déjà exorbitantes. S’il faut augmenter le prix de l’électricité, ça sera très compliqué. Que le Président Ouattara pense à nous. Sinon, c’est la clé que nous allons mettre sous le paillasson».
Sanogo Salif, commerçant de téléphone portable : «Le moment n’est pas propice»
«Le moment n’est pas propice. Parce que, nous les commerçants, aujourd’hui, c’est difficile d’assurer la pitance quotidienne. Ils devraient attendre dans deux ans, juste le temps pour les uns et les autres de se remettre» ]
Ces propos qui avaient été recueillis par Olivier Dion à Abidjan et Harry Diallo à Yamoussoukro, n’ont pas été suivis d’effets. Aussi bien sur les réseaux sociaux que et dans les salons, tout le monde s’est mis à se passionner davantage pour la politique et l’élection présidentielle , que pour les problèmes sociaux.
Lors des débats de campagne, peu de gens ont abordé la question. Les journalistes ne pouvaient dans ces conditions que passer à autre chose.
Les journalistes sont eux aussi des citoyens , et des consommateurs, au même titre que les autres. Ils paient des factures d’eau et d’électricité, ils doivent changer leur permis, ils vont dans les hôpitaux, ils prennent les transports, ils paient le carburant et leur gaz pour leur foyer. Ils subissent les caprices des propriétaires de maison. Les journalistes sentent et vivent ce que vivent les populations et les consommateurs.
En dehors de ceux qui choisissent parmi eux de prolonger leur activité professionnelle, dans la mobilisation sociale, citoyenne ou politique, les journalistes ne peuvent être plus royalistes que le roi, et crier plus que les autres concitoyens.
La résurgence de la question sociale ne mérite pas que des citoyens et des acteurs sociaux en revendiquent le succès au détriment de l’alerte qui avait été donnée depuis longtemps, par d’autres consommateurs, et en particulier par l’IA.
Charles Kouassi