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    Chronique Lundi – Mali, Burkina Faso, deux coups d’États militaires au cœur du G5 Sahel : deux causes identiques mais deux orientations différentes

    Chronique Lundi – Mali, Burkina Faso, deux coups d’États militaires au cœur du G5 Sahel : deux causes identiques mais deux orientations différentes
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 6 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    La passation forcée du pouvoir avec l’intrusion des militaires sur la scène politique a longtemps été l’une des caractéristiques de l’Afrique. Entre 1958 et 2018, l’Afrique a connu 70 coups d’État. L’ère des coups d’État n’appartient pas au passé. Le Mali vient de connaître deux coups d’État en moins d’un an : août 2020, le colonel Assimi Goïta mène un premier coup d’État contre le président Ibrahim Boubacar Keïta (« IBK ») ; 2021, il conduit un second coup d’État qui entraîne les démissions de Bah N’Daw, le président de la première transition, et de Moctar Ouane, le Premier ministre. Assimi Goïta est alors proclamé Chef de l’État par la Cour constitutionnelle malienne avec le titre de  « président de la transition, chef de l’État ». Au Burkina Faso, le coup d’État militaire est officialisé le lundi 24 Janvier 2021 avec la prise de parole du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. 

    Les causes de ces coups d’État sont largement documentées, notamment sur la faillite des gouvernements civils dans de nombreux domaines (luttes contre la pauvreté, l’insécurité, la corruption). Au Mali, depuis la réussite de l’opération Serval lancée en janvier 2013 et relayée en juillet 2014 par l’opération Barkhane, la lutte contre les djihadistes marque le pas. Au Burkina, l’incapacité du Président Kaboré à lutter contre l’insécurité et à donner à l’armée les moyens de cette lutte va accélérer la passation forcée du pouvoir, les attaques terroristes ayant fait plus de 2 000 morts en six ans. En novembre 2021, l’armée burkinabè va connaître, à Inata, dans le Nord, la plus sanglante attaque djihadiste contre les militaires : 53 gendarmes sont tués. Traumatisée par cette dernière attaque, les militaires vont s’emparer du pouvoir. Le fait nouveau est que, au Mali comme au Burkina, cette passation forcée du pouvoir bénéficie du soutien de la rue.

    Des présidents contestés par la rue et les militaires

    En Janvier 2013, appelée par les dirigeants maliens, l’armée française libère les villes du nord du Mali de l’emprise terroriste et empêche la constitution d’un califat subsaharien. Le 2 février 2013, François Hollande,  le Président français, est accueilli en héros à Tombouctou, 22 jours après le début de l’opération Serval. Il dira vivre à Tombouctou « le plus beau jour de [sa] vie », la population malienne célébrant le héros libérateur aux cris de « Hollande le sauveur, Hollande le messie ». Toujours en 2013, le socialiste Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) est élu président de la République avec 77,6 % des voix au second tour. La rue voit en lui  le sauveur du Mali. En 2018, la réélection d’IBK sera contestée et débouchera, en 2020, sur une grave crise politique. IBK, à la tête d’un Etat failli, n’apparaît plus comme le sauveur du Mali. Le 18 août 2020, il est renversé par les militaires. 

    Au Burkina, les 30 et 31 octobre 2014, le peuple se soulève et chasse Blaise Compaoré du pouvoir. L’armée prend le pouvoir par un coup d’Etat et, le 1er novembre, le lieutenant-colonel Isaac Zida est nommé président de la République. Devant le mécontentement de la rue, les militaires rendent le pouvoir aux civils.  En 2015, Roch Marc Christian Kaboré est élu président de la République. Il sera réélu pour un deuxième mandat en novembre 2020.  Premier président élu et réélu démocratiquement, Kaboré a pu apparaître comme le sauveur du Burkina. 

    Lire aussi : La chronique du lundi-Tchad et Mali :Deux cas d’école de l’arrivée au pouvoir d’un CMT(Conseil Militaire de Transition)

    IBK et Kaboré, incapables de reconstruire l’État et de lutter contre l’insécurité, ne prendront jamais la mesure du mécontentement de la rue et des colonels de leurs armées. Ils seront renversés par des juntes militaires qui, ironie de l’Histoire, trouvent leur légitimité dans le soutien de la rue. Enlisée dans une guerre sans fin sur un territoire immense, l’armée française n’a jamais eu la vocation de se substituer aux États africains pour assurer la sécurité des régions menacées par le terrorisme et des populations. 

    L’accélération de l’Histoire, dont les ruses sont amplifiées par les réseaux sociaux et l’action des activistes rémunérés par des forces extérieures, fait que, à travers la dénonciation de Barkhane, l’armée française est présentée comme une armée d’occupation. À l’évidence, une page se tourne. Macron, qui se voulait le maître des horloges au Sahel, s’est retrouvé dans l’obligation de gérer à la fois l’urgence et l’Histoire. Il s’est heurté à une junte malienne qui a compris qu’elle pouvait jouer sur tous les registres, même les plus obscurs, du nouvel ordre mondial et dont le seul objectif est de conserver le pouvoir.

    Les juntes au pouvoir ont-elles des orientations différentes ?

    L’erreur serait de réduire la situation actuelle au Sahel à une affaire franco-malienne et conclure à l’échec et à l’humiliation de la France par des militaires devenus des héros libérateurs portés par le souffle de l’ancienne lutte anticoloniale. La réalité est plus complexe. Les crises malienne et burkinabè ont révélé la véritable situation des États africains, confrontés à une instabilité chronique. 

    Certes, l’Afrique est riche des promesses de développement qu’elle porte. Le Père de la nation ivoirienne, Félix Houphouët-Boigny, avait dit : « Qui aura l’Afrique dominera le monde. C’est une vérité, parce que qui aura l’Afrique sera maître des matières premières dans le monde. » La Chine et la Russie l’ont compris. Formidable enjeu géopolitique, géoéconomique et géostratégique, l’Afrique est devenu le « ventre mou » de la mondialisation et du nouvel ordre mondial. Comme au temps de la « Guerre froide », les États africains devront choisir leur camp. La junte malienne, dans une fuite en avant pour conserver le pouvoir, a choisi celui de la Russie, préférant rompre avec ses anciens alliés occidentaux et la Cédéao. C’est son droit. 

    Lire aussi : La Chronique du lundi: Décryptage de l’annonce de la fin de l’opération « Barkhane » par Emmanuel Macron

    La junte militaire burkinabè semble ne pas vouloir s’inscrire dans une logique de rupture avec les alliés traditionnels du pays, ni avec la Cédéao. D’ailleurs, la Cédéao, tout en dénonçant le coup d’État et en réclamant le retour à l’ordre constitutionnel, n’a pas aggravé les sanctions contre la junte militaire. Une délégation ministérielle de la Cédéao s’est même rendue à Ouagadougou. Nommé officiellement Chef de l’État et des armées et chargé des grandes orientations politiques, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba s’est dit ouvert au dialogue. Il a rétabli la Constitution de 1991 et annoncé la rédaction  d’une Charte de transition. Il ne s’agit pas de donner une prime à coup d’État militaire, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba n’ayant donné aucune date pour rendre le pouvoir aux civils.  Au Mali comme au Burkina, chacun doit gérer en même temps l’urgence et l’Histoire. Seul restera le jugement de l’Histoire. L’Histoire se souvient du glissement vers des dictatures sanglantes des « libérateurs » portés au pouvoir au lendemain des indépendances.

    Christian Gambotti, Agrégé de l’Université,
    Président du think tank Afrique & Partage, Directeur général de l’Université de l’Atlantique, éditorialiste, politologue.
    Pour réagir : cg@afriquepartage.org

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