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Chronique Lundi – Les guerres d’influences en Afrique : L’occident sous la menace de la Russie en Afrique, fer de lance de la lutte contre l’occidentalisation du monde

Chronique Lundi – Les guerres d’influences en Afrique : L’occident sous la menace de la Russie en Afrique, fer de lance de la lutte contre l’occidentalisation du monde
Publié le
Par
Christian Gambotti
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L’offensive de la Russie en Afrique est une réalité. Avec la Guerre en Ukraine, l’Occident découvre que le mouvement qui conduit de nombreux activistes et certains gouvernements à se tourner vers Moscou est en train de s’amplifier depuis 2020, date à laquelle le gouvernement de la Centrafrique a sollicité l’aide de la Russie pour lutter contre des groupes armés.

Aujourd’hui, à côté des « instructeurs russes », des « mercenaires » du groupe Wagner, une milice privée, assurent la sécurité des dirigeants centrafricains. La junte militaire malienne après avoir a exigé le départ, « sans délai », des forces françaises (Barkhane) et européennes (Takuba), a fait le choix des « instructeurs russes » et de la milice privée Wagner. Le Mali, qui vient de recevoir des armes russes, dont deux hélicoptères de combat, évoque un « partenariat sincère et très ancien » entre Moscou et Bamako. Le retrait des troupes françaises engagées au Mali dans le cadre de l’opération Barkhane doit se lire comme une brusque accélération de l’Histoire avec la montée, chez certains dirigeants africains et dans les opinions publiques, d’un sentiment anti-occidental, instrumentalisé par les activistes pro-russes particulièrement actifs sur les réseaux sociaux et dans les médias.

A propos de la guerre en Ukraine, le militant panafricaniste Kémi Séba affirmait, début mars, dans une vidéo : « Poutine veut récupérer son pays et il n’a pas le sang de l’esclavage et de la colonisation sur les mains. Je préfère Poutine, même si ce n’est pas mon messie, à tous les présidents occidentaux et à tous les maudits présidents africains, soumis à l’oligarchie de l’Occident ». Le leader de la gauche radicale sud-africaine, Julius Malema, déclarait, de son côté : « Nous sommes là pour dire à l’OTAN et aux Américains que nous ne sommes pas avec eux. Nous sommes avec la Russie et, aujourd’hui, nous voulons remercier la Russie. Donnez-leur une leçon, nous avons besoin d’un nouvel ordre mondial et nous sommes fatigués de recevoir des ordres des Américains ».

Des liens historiques entre la Russie et l’Afrique

Après l’effondrement de l’Union soviétique, en 1991, la Russie s’était retirée du continent africain. L’Occident, enivré par sa victoire sur le communisme, convaincu que le monde allait s’occidentaliser, a eu tendance à oublier deux choses : 1) historiquement, de nombreux pays africains avaient entretenu par le passé, au moment de la « Guerre froide », des liens étroits avec une Union soviétique qui soutenait les mouvements de libération et qui a soutenu, après les indépendances, les régimes socialistes à travers l’Afrique. De nombreux pays africains considèrent qu’ils ont aujourd’hui encore une dette envers les Russes depuis l’époque de la Guerre froide. 2) A l’échelle de la planète, de nombreuses régions du monde n’acceptent pas cette domination de l’Occident, comme le montre l’analyse du vote de la résolution de l’ONU, le 2 mars 2022, condamnant l’invasion de l’Ukraine.

Lors de ce vote, pourtant adopté à une large majorité, sur les 35 pays qui se sont abstenus, seize sont en Afrique ; il faut ajouter huit Etats africains qui n’ont pas participé au vote et l’Erythrée qui a voté contre. En Ouganda, le fils du président Museveni, le général Muhoozi Kainerugaba, a affirmé un soutien sans ambiguïté à Vladimir Poutine, déclarant dans un tweet : « La majorité de l’humanité, qui n’est pas blanche, soutient l’action de la Russie en Ukraine. Poutine a absolument raison ! » Si l’on ajoute à l’hésitation de l’Afrique, l’abstention de la Chine et de l’Inde, force est de constater que la Russie n’est pas isolée dans le monde.

En Afrique, la longue période de retrait de la Russie qui a suivi l’effondrement de l’URSS, est terminée. Depuis 2007, l’Afrique, autre terrain de l’expansionnisme « poutinien », représente aujourd’hui une priorité pour la politique étrangère de Moscou. Pour marquer le grand retour de la Russie en Afrique, Poutine a organisé, en octobre 2019, à Sotchi, le Sommet « Russie-Afrique » avec la participation de. 43 Chefs d’Etat africains. Un an plus tard, la Russie était déjà devenue le principal fournisseur d’armes du continent. Si de nombreux Etats africains n’ont jamais rompu avec Moscou, il existe depuis ces dernières années de nouvelles dépendances, surtout militaire et alimentaire, vis-à-vis de la Russie.

L’arrière-plan idéologique de ce retour de la Russie est le discours « anti-occidental » et « anti-impérialiste » qui trouve un certain écho dans les opinions publiques africaines. La propagande russe vise à raviver le discours anticolonialiste avec des appels à la décolonisation et à la fin de l’impérialisme occidental. Des manifestations anti-françaises et anti-occidentales sont régulièrement organisées en Centrafrique, au Mali, au Burkina Faso. Des drapeaux russes sont agités par les manifestants.

En 2021, dans la République centrafricaine, a été inaugurée une statue qui symbolise le soutien des dirigeants de la RCA à la Russie : la statue montre des soldats locaux, soutenus par des combattants russes, protégeant les populations. Toujours à Bangui, au stade Barthélémy-Boganda, le 14 mai 2021, la population est venue assister à l’avant-première du film « Touriste », un long-métrage russo-centrafricain qui glorifie l’action des « instructeurs » et des mercenaires russes. Productions de contenus audiovisuels, financement de médias locaux, recrutement d’influenceurs « anti-occidentaux », campagnes de propagande sur internet, réseaux de manipulation, chaînes africaines ouvertement pro-russes : le « soft power » russe, qui déploie des moyens considérables, sature tous les supports de communication. La propagande pro-russe, dont on sous-estime l’ampleur, constitue une menace pour les gouvernements civils africains.

Le terreau populaire pro-russe : une menace pour les dirigeants africains.

Les récents coups d’Etat militaires dans l’Afrique francophone ont montré la fragilité des gouvernements civils, lorsqu’ils sont contestés par la rue. Comment éviter la passation forcée du pouvoir ? Les gouvernements civils doivent répondre aux aspirations des populations, permettre l’accès aux services de bases et garantir la sécurité. Les échecs des gouvernements ATT et IBK au Mali, de Kaboré au Burkina et d’Alpha Condé en Guinée ont rendu légitimes aux yeux de la rue les coups d’Etat militaires. De quoi est fait le lit des coups d’Etat militaires ? Alors que, en 1990, les populations africaines se sont opposées aux coups d’Etat, les militaires apparaissent aujourd’hui comme des libérateurs face à un Etat défaillant, absent sur l’ensemble du territoire, perçu comme claniste, prédateur et corrompu, incapable de tenir la promesse du développement, de la sécurité et de la démocratie.

La Russie, qui mesure la défiance des populations vis-à-vis des gouvernements civils, joue la carte d’une hostilité grandissante que suscite la présence occidentale pour avancer ses pions en Afrique. S’il n’est plus question de recevoir des ordres de Paris ou de Washington, les juntes militaires pourront-elles éviter de recevoir des ordres de Moscou ?

Christian Gambotti
Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Directeur général de l’Université de l’Atlantique
Contact : cg@afriquepartage.org.

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