Parmi les armes de Trump, le gel de l’aide financière internationale des États-Unis. Adossé à la formidable puissance militaire des États-Unis, Trump, qui se présente comme un pacifiste, n’a pas l’intention d’intervenir militairement pour imposer sa vision du monde. Il utilise pour cela trois armes : les droits de douanes, la signature de décrets (avec la jubilation enfantine de faire une belle signature) et le maintien du dollar américain comme pierre angulaire du système financier mondial. Si la diplomatie a toujours été, dans l’Histoire de l’humanité, l’exercice de la puissance, Trump ne s’embarrasse ni des politesses diplomatiques en usage dans les relations internationales, ni de considérations humanitaires. Il choisit de s’attaquer à l’USAID, une agence indépendante créée en 1961 par Kennedy pour contrer l’influence soviétique.
C’est ainsi que, dans les décrets signés par Trump le 20 janvier 2025, figure le gel de l’aide financière internationale des Etats-Unis (1), qui représente environ 40 % des dépenses globales de l’aide humanitaire dans le monde. Le montant total de l’aide américaine s’était élevé, en 2023, à 64,7 milliards de dollars. Trump et Musk ont entrepris de réduire de façon drastique les dépenses publiques, ils veulent aussi mettre au pas l’Agence et son personnel sur des critères purement idéologiques. Le secrétaire d’État américain Marco Rubio, nommé chef par intérim de l’USAID, a expliqué que l’Agence pour le développement international ne pourrait reprendre ses activités qu’après avoir répondu aux questions de la nouvelle administration Trump sur son financement et ses priorités. Dans le droit fil du slogan « America first », l’USAID doit désormais servir uniquement les intérêts des Etats-Unis (2).
La fin annoncée de l’USAID, des conséquences dramatiques pour l’Afrique
La suspension de tous les programmes de l’aide internationale américaine pendant 90 jours est une mesure radicale aux effets dramatiques dans les 130 pays, du Kenya à l’Ukraine, qui voient la mise à l’arrêt, depuis le 7 février 2025, de nombreux projets. Ce gel a déjà des conséquences dévastatrices en Afrique, car il fragilise encore plus des pays qui comptent parmi les plus pauvres du monde et qui sont confrontés à des crises économiques, sécuritaires sanitaires et climatiques. Parmi les 10 premiers pays qui bénéficient des aides de l’USAID, on trouve 6 États africains (Éthiopie, Soudan du Sud, Nigeria, Ouganda, Kenya et République Démocratique du Congo).
Le cas de l’Éthiopie montre que les aides de l’USAID sont indispensables en Afrique : 20 millions d’Ethiopiens (1/6è de la population) sont, depuis 3 ans, victimes d’une guerre civile devenue un nettoyage ethnique. À la guerre civile, s’ajoute la crise climatique avec une sécheresse historique dans la Corne de l’Afrique. On peut multiplier les exemples qui montrent que de nombreux pays africains accumulent des handicaps insurmontables : pauvreté extrême, fragilité économique, crise climatique, fragilité humanitaire, instabilité politique, guerre civile, famine, déplacement des populations devenues les otages des conflits armés.
Autre tragédie engendrée par le gel de l’aide financière américaine : l’aggravation des crises sanitaires. La lutte contre le SIDA subit un coup d’arrêt brutal, alors que l’Afrique est le continent le plus touché par le VIH. Dans le Soudan du Sud, qui subit une violence endémique et alors que 73 % de la population a besoin d’une aide humanitaire d’urgence, le pays est ravagé par des épidémies de choléra et de rougeole en Afrique, ce sont tous les domaines de la santé qui subissent un arrêt fatal : des millions de personnes ne pourront plus être soignées, des enfants ne pourront plus être vaccinés ou protégés contre la malnutrition.
Des ONG dans l’incapacité d’agir
Dans un article du Point, Capucine Graby écrit, le 7 février 2025 : « L’aide américaine est donc cruciale pour les populations et ce gel soudain a déjà des conséquences à très court terme sur des dizaines d’ONG qui travaillent en Afrique et ont dû stopper leurs projets du jour au lendemain. Cette annonce plonge des dizaines d’ONG dans une extrême fragilité tant elles sont dépendantes de l’USAID : Solidarité Internationale, par exemple, dépend à 36 % des aides américaines. Toutes sont en état de choc et doivent faire des choix aussi rapides que cruciaux entre leur stratégie d’action qui s’inscrit sur le long terme, par exemple travailler sur l’aide et la résilience des populations pour faire face aux catastrophes naturelles, et l’urgence. »
Elon Musk, nommé à la tête du nouveau département américain de l’Efficacité gouvernementale (DOGE), veut certes réduire les dépenses publiques, mais l’arrière-plan idéologique est toujours présent. Musk avait qualifié l’USAID d’« organisation criminelle » et qu’il est « temps pour elle de mourir ». Est-ce qu’il est temps aussi, pour les populations africaines abandonnées à leur sort, de mourir ?
Des outrances destinées à bâtir un nouvel ordre mondial
Avec l’élection de Trump, le monde est entré dans une ère nouvelle et l’Afrique n’échappera pas aux conséquences de l’ouragan Trump, dont les outrances préparent les esprits à la construction d’un nouvel ordre mondial au seul service des États-Unis. L’urgence est bien entendu humanitaire, car l’inquiétude est réelle, lorsqu’on regarde la situation des populations africaines prises en otages dans de nombreux pays par tous les conflits armés, l’instabilité politique et les crises économiques, sanitaires et climatiques. Il est donc important que l’USAID puisse reprendre ses activités et permettre aux ONG de travailler dans l’intérêt des populations les plus pauvres et les plus démunies, enfermées dans des guerres oubliées. Leurs programmes humanitaires, un outil important du soft power, ont toujours conféré aux Etats-Unis influence et crédibilité.
On peut comprendre que Trump dénonce la corruption qui sévit autour de l’aide américaine. En Éthiopie, notamment dans la région du Tigré ravagée par la guerre et la famine, cette aide est détournée par les militaires et les officiels. On peut comprendre aussi que les États-Unis remettent en question les aides déversées sur des pays qui affichent un anti-américanisme virulent et qui se tournent vers Moscou (Mali, Niger, Burkina Faso). Mais, le principe de réalité fonctionnera dans les deux sens : l’Afrique ne peut pas se passer de l’aide que fournissent les États-Unis et les États-Unis ne pourront pas se tenir loin du continent africain qui représente un formidable enjeu géoéconomique, géopolitique et géostratégique dans le nouvel ordre mondial.
Selon le Professeur ELY Mustapha, qui signe une intéressante analyse, – « Donald Trump et la Mauritanie : Diplomatie transactionnelle et multilatéralisme de survie » -, tous les pays africains devront adopter, « face à Trump imprévisible, une stratégie pragmatique, combinant neutralité tactique, renforcement des alliances régionales et diplomatie climatique offensive. » Le Professeur Ely Mustapha ajoute : « Dans ce jeu géopolitique où les règles sont réécrites quotidiennement, [l’Afrique] n’a d’autre choix que de maîtriser l’« Art of the Deal » à son échelle – ou de disparaître de l’échiquier. »
L’erreur pour les États africains serait de choisir entre Washington, Bruxelles, Paris, Moscou ou Pékin. Le multilatéralisme de survie suppose deux choses : une forte agilité diplomatique pour chaque État africain et la force du nombre à travers l’Union Africaine. De son côté, économiquement et stratégiquement, Trump ne voudra pas renoncer à l’exploitation des terres rares en Afrique. Actuellement, il observe de près ce qui se joue en République démocratique du Congo pour l’appropriation des richesses du sous-sol des provinces de l’Est congolais.
(1) La suspension de tous les programmes d’aide étrangère des Etats-Unis pour une durée de 90 jours s’applique à tous les programmes, excepté l’aide alimentaire d’urgence, ainsi que de l’assistance militaire à destination d’Israël, de l’Égypte et du Yémen.
(2) Note envoyée aux personnels de l’USAID : « Notre président s’est engagé à mener une politique “America first”. La pause de toute l’assistance étrangère signifie son arrêt. »
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Études et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org