Dans un contexte compliqué avec des tensions géoéconomiques et géopolitiques qui se traduisent par un ralentissement du commerce international et une réduction des flux financiers vers l’Afrique, la Côte d’Ivoire est un des rares pays qui peut encore bénéficier de l’appui des bailleurs de fonds pour accompagner les réformes et garantir la soutenabilité de sa dette publique. Elle vient d’obtenir 3,5 milliards de dollars du FMI. Ce programme d’appui, sur 40 mois, débloqué en avril 2023, a été validé par le Conseil d’administration du FMI avec une première tranche de 500 millions de dollars.
Le chef de mission du FMI en Côte d’Ivoire, Olaf Unteroberdoerster, explique les facteurs qui ont déterminé l’octroi du prêt : « Tout d’abord, les besoins de financement substantiels, prolongés et structurels de la balance de paiement. Deuxièmement, la rigueur du programme économique de la Côte d’Ivoire. Le troisième facteur, c’est le solide bilan de performance de la Côte d’Ivoire dans la mise en œuvre des programmes précédents. Et quatrièmement, la capacité de remboursement des ressources au FMI. »
La déclaration d’Olaf Unteroberdoerster décrit une réalité budgétaire : « les besoins de financement substantiels, prolongés et structurels de la balance de paiement » ; elle précise les trois conditionnalités de l’aide du FMI : la rigueur des programmes économiques, le solide bilan de performance dans la mise en œuvre des programmes précédents et la capacité de remboursement des ressources au FMI. Tous les pays africains font-ils face à une même réalité budgétaire ? OUI. Répondent-ils aux trois conditions dictées par le FMI pour un appui financier ? NON.
La Côte d’Ivoire est-elle devenue un pays modèle ?
De 2011 à 2019, l’économie ivoirienne a connu une forte croissance. Diversifiée et résiliente, elle a permis au pays de résister à la pandémie de Covid-19. Si la Côte d’Ivoire subit, comme l’ensemble du continent africain, l’impact négatif de la guerre en Ukraine, son PIB a pourtant progressé de 6,7 % en 2022 et, toujours selon le FMI, la croissance pourrait dépasser les 6 % en 2023. En apportant son appui, le FMI entend préserver la stabilité macroéconomique de la Côte d’Ivoire et la viabilité des finances publiques, ce qui permettrait de poursuivre sa marche vers le statut de pays à revenu intermédiaire.
Le gouvernement se réfère à la norme communautaire de l’UEMOA, qui est de maintenir le déficit budgétaire sous la barre des 3 %. Avec des voyants économiques qui sont au vert et la poursuite des réformes, le FMI considère que la Côte d’Ivoire pourra revenir à la norme des 3 % d’ici 2025. La Banque mondiale vient d’approuver une opération dotée d’une enveloppe globale de 300 millions de dollars pour financer la construction d’infrastructures urbaines durables, créatrices d’emplois. La Banque mondiale entend ainsi stimuler la croissance et permettre la réalisation des services sociaux de base.
Une Afrique qui ne peut pas se replier sur elle-même
En recherchant l’appui des bailleurs de fonds, la Côte d’Ivoire montre que l’Afrique ne peut pas se replier sur elle-même pour financer son développement. Prenons l’exemple du Ghana : l’actuel président Nana Akufo-Addo voulait un « Ghana sans aides » des pays riches et des bailleurs de fonds. Convaincu de la viabilité des finances publiques ghanéennes, il met un terme, en 2019, à l’accord passé par son prédécesseur avec le FMI, accord qui prévoyait un prêt d’un milliard de dollars contre des mesures d’austérité. Nana Akufo-Addo refuse d’entendre parler d’austérité. Mais, le Ghana sera fragilisé par les crises de la Covid 19 et la guerre en Ukraine qui entraînent un fort ralentissement du commerce international. Il vient donc de se tourner vers le FMI, qui lui a accordé un prêt de 3 milliards de dollars, étalé sur 3 ans, contre des mesures d’austérité. Quelles sont ces mesures d’austérité ? La hausse de la TVA et des impôts, le gel des embauches dans la fonction publique, la réduction du train de vie de l’Etat, etc.
Il faut en tirer deux conclusions : aucun pays ne peut avancer seul, sans l’aide des marchés financiers et chaque État doit s’assurer de la viabilité des finances publiques et de la soutenabilité de sa dette vis-à-vis des créanciers internationaux, ainsi que la soutenabilité de la dette intérieure.
Historiquement, en 1958, dans un contexte totalement différent, celui de la marche vers l’indépendance, l’homme qui avait dit « non » à de Gaulle, leader charismatique devenu un implacable dictateur, Ahmed Sékou Touré, avait eu cette formule : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage. » Faut-il considérer la soumission aux demandes des bailleurs de fonds comme une nouvelle forme d’esclavage ? Existe-t-il une néo-colonisation financière ? La question se pose depuis les années 1980, lorsque le « consensus de Washington » impose à l’Afrique un ensemble de réformes néolibérales à travers les « programmes d’ajustement structurel » (PAS).
De nombreux compromis ont permis d’atténuer la trop grande rigueur des PAS et de leurs multiples conditionnalités. Depuis les années 2001, la création du NEPAD ne s’éloigne pas de l’objectif des PAS : intégrer l’Afrique dans le modèle libéral du FMI et de la Banque Mondiale. Sans être devenu le discours officiel d’une orthodoxie budgétaire qui pourrait être adopté par tous les Etats africains sans exception, on assiste, avec les réformes mises en œuvre, à une victoire posthume du « consensus de Washington ». Les doctrines Sékou Touré et Nana Akufo-Addo ont échoué : l’intégration de l’Afrique dans une économie mondialisée ne peut pas se faire sans l’appui des bailleurs de fonds.
Sortir des griffes de l’Occident
Sortir de l’idéologie du « consensus de Washington » et des griffes du FMI et de la banque, telle est l’alternative que proposent les BRICS (1) avec la création d’une banque de développement (capital de 100 milliards de dollars) (2) et un fonds de stabilité, à l’image de celui créé par l’Union Européenne, et dont les prêts ne seraient pas assujettis à des conditions contraignantes comme les programmes d’ajustement structurel. La création d’une monnaie commune serait précédée par des transactions en yuan et non plus en dollar, l’actuelle monnaie d’échange internationale. Or, la moindre augmentation des taux d’intérêt par la FED pénalise fortement les économies émergentes.
L’architecture financière mondiale se trouverait-elle modifiée au profit des pays du Sud présentés, à tort, comme un bloc uni ? Ce n’est pas évident. Cette nouvelle architecture financière pourrait servir les intérêts de la Chine. Indice révélateur : l’Inde et l’Afrique du Sud voulaient accueillir le siège de cette nouvelle institution, siège qui sera finalement installé à Shanghai. Qui paie, commande. La Chine paie, elle entend commander (3). Si les BRICS représentent une puissance montante (42 % de la population mondiale, 21 % du PIB mondial), leur banque de développement et le fonds de stabilité auront à travailler dans des pays aux intérêts divergents et des territoires différents avec une forte asymétrie dans les poids financiers, ce qui ne manquera pas d’avoir une influence sur les prises de décision. Une nouvelle gouvernance financière planétaire, destinée à contourner les institutions financières mondiales, s’organise, mais, au profit de qui ? (4)
________________________
(1) Les BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud. Simple acronyme créé par la banque Goldman Sachs pour désigner les économies émergentes, l’acronyme BRICS a été transformé en une force politique, en 2006, quand il a été utilisé par l’inamovible ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov.
(2) Les régions des pays en développement du Sud global : l’Afrique, l’Asie du Sud, l’Amérique du Sud.
(3) Concernant les fonds de réserve de change commun, la Chine y contribue à hauteur de 41 milliards, le Brésil, l’Inde et la Russie, 18 milliards, l’Afrique du Sud, 5 milliards.
(4) La Russie, désormais exclue du G8, entend jouer sa partition en dehors de l’Occident. Mais, elle reste un quasi-nain économique. La Chine, seule véritable superpuissance politique, économique et financière, n’est-elle pas en train de vassaliser le bloc anti-occidental ?
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@agriquepartage.org