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    Chronique du lundi – les guerres hybrides en afrique : l’arme des guerres informationnelles dans les batailles idéologiques  

    Chronique du lundi – les guerres hybrides en afrique : l’arme des guerres informationnelles dans les batailles idéologiques  
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 7 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    Conquérir « l’hégémonie culturelle » pour conquérir le pouvoir, tel est l’enjeu dans les guerres d’influence qui structurent le nouvel ordre mondial. Le concept d’ « hégémonie culturelle » a été forgé par l’intellectuel communiste italien Antonio Gramsci (1891-1937). Il fallait, selon Gramsci, pour gagner les élections, d’abord gagner la bataille des idées. Depuis les Accords de Yalta, le partage du monde s’est fait sur l’affrontement de deux idéologies, celle du monde libre et celle du bloc communiste. 

    Le monde libre a diffusé la culture de Davos adossée au mythe d’une mondialisation heureuse. L’effondrement de l’URSS a laissé croire que le monde acceptait désormais de vivre dans le cadre des valeurs d’une civilisation universelle, libérale et démocratique. S’ajoutait, en Occident, le triomphe d’une révolution sociétale dont les transgressions venaient heurter les valeurs des civilisations plus conservatrices. 

    Les anciennes puissances coloniales n’ont pas vu l’influence grandissante sur les réseaux sociaux et dans les opinions publiques des activistes, militants d’un panafricanisme politique qui revenait sans cesse sur l’ère coloniale. Une galaxie hétérogène, avec des figures centrales devenues des vecteurs d’influence comme Kémi Seba, sature les réseaux sociaux et les médias d’un narratif victimaire qui donne dans la surenchère afin d’affaiblir l’Occident en Afrique. 

    Des stratégies sont mises en place, afin d’influencer des groupes de pression à l’intérieur de chaque État, comme l‘armée, manipuler les opinions publiques à travers des campagnes médiatiques et soulever la rue africaine en jouant sur l’émotion.

    Le champ des conflictualités entre la galaxie panafricaine et l’Occident s’ouvre à tous les sujets : des sujets récurrents comme la colonisation, le Franc CFA, la présence militaire, le pillage des ressources ; des sujets nouveaux comme les crises climatiques, les terres rares, la religion et la fuite des cerveaux. 

    Dans les guerres hybrides qui se déroulent sur le continent africain, les guerres informationnelles deviennent une arme particulièrement efficace, une arme terriblement efficace pour dominer le champ des influences dans les dynamiques du nouvel ordre mondial qui voit s’affirmer, en Afrique, la présence et les prétentions de la Russie de Poutine, notamment en Centrafrique et dans les États du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger). Les milliers de pages des « Wagner Leaks » (2 500 documents internes au groupe paramilitaire russe) ont révélé comment Wagner s’est installé sur les réseaux sociaux pour influencer l’opinion publique africaine en Afrique de l’Ouest en s’appuyant des « influenceurs » panafricains qui se sont faits le relai des thèses pro-russes. 

    La guerre informationnelle se déroule sur tous les réseaux sociaux : Facebook, WhatsApp, Twitter, TikTok, Des médias ou des blogs, sont créés, des journalistes locaux sont recrutés, des manifestations sont organisées, des ONG sont mobilisées. Cette guerre influence relève d’une stratégie globale qui est financée par des puissances étrangères et coordonnée en amont (fermes à troll), de façon à diffuser et amplifier artificiellement le narratif anti-occidental. Les « buzz » artificiels et les « fake news » servent à décupler l’audience selon l’étagement suivant : les contenus sont créés par des activistes, diffusés sur des médias que les activistes contrôlent, puis, repris par une galaxie hétéroclite de médias et supports africains (journaux, radios, sites d’information, etc.). 

    Il suffit de recenser le nombre impressionnant de médias qui reprennent, sous la forme d’un copié-collé, les communiqués et les analyses des activistes « décoloniaux » pour comprendre comment se construisent les guerres informationnelles, notamment celles dirigées, de façon particulièrement organisée et agressive, contre la France en Afrique de l’Ouest. Si le rôle de la Russie est désormais bien documenté, le Kremlin n’aurait pas pu s’implanter aussi rapidement sans une guerre informationnelle conçue par Wagner et l’appui des activistes locaux. 

    En très peu de temps, les coups d’État militaires ont « chassé » la France, mais aussi les États-Unis, du Mali, du Niger et du Burkina Faso ; en très peu de temps, le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont créé l’AES (Alliance des Etats Sahéliens). Le soft power qui dénonce le néocolonialisme des anciennes puissances coloniales comme la France est d’autant plus efficace qu’il est relayé par puissances étrangères comme les États-Unis, qui défendent leurs intérêts, la Turquie d’Erdogan ou l’Italie de Giorgia Meloni. On notera qu’une vidéo dénonçant le Franc CFA n’est pas l’œuvre d’un activiste panafricain, mais celle d’un membre du parti italien M5S qui fustige la politique française en Afrique.

    Les guerres informationnelles, outils incontournables dans les stratégies d’influence

    L’erreur serait de croire que la France et l’Occident n’ont aucune responsabilité dans leur perte d’influence en Afrique. Il a toujours existé un profond mouvement d’opinion hostile aux anciennes puissances coloniales. La Russie ne fait que saisir l’opportunité que lui offre le retour d’un discours anticolonial qui se nourrit des frustrations d’une grande partie de la population africaine, notamment la jeunesse. Beaucoup d’Africains comprennent qu’ils ont toujours subi, depuis la colonisation, le lourd fardeau de l’Histoire. Ils découvrent en même temps que leur continent regorge de richesses naturelles dont ils ne profitent pas, une forme de néocolonialisme permettant le pillage de ces richesses par des grandes puissances ou des multinationales et le maintien au pouvoir de gouvernements civils qui ont failli. 

    L’Occident est désormais pris dans une tenaille informationnelle avec, d’un côté, les activistes locaux et, de l’autre, des puissances étrangères, en particulier celles qui forment les BRICS. La Russie de Poutine n’a pas beaucoup d’efforts à faire pour organiser un « Sud global » autour de la remise en cause des représentations et des valeurs de la civilisation occidentale, en particulier un universalisme qui tend à gommer les particularismes des civilisations. Cette tendance à l’hégémonie civilisationnelle qui caractérise l’Occident produit ce que Samuel Huntington décrit comme un « Choc des civilisations » dans un livre fameux.

    La colonisation s’est emparé de l’Afrique par la force, personne ne le conteste, au nom d’une prétendue mission civilisatrice théorisée par des esprits pourtant progressistes comme Victor Hugo. Là où la puissance militaire décidait de l’organisation de l’ancien monde, on découvre aujourd’hui que les guerres informationnelles dessinent, à coups de messages sur les réseaux sociaux, de tweets et de médias artificiellement créés, le nouvel ordre mondial. La défaite en Afrique de l’Occident n’est pas une défaite militaire, aucun pays occidental n’est en guerre contre un pays africain, c’est une défaite dans une guerre informationnelle, l’information étant le nouveau champ des conflictualités surinvesti par de multiples acteurs, étatiques ou non, hostiles à l’Occident.

    Dans sa conclusion, le Rapport du Club Influence de l’AEGE dit, de façon très juste : « Cette défaite informationnelle en Afrique a donc le mérite de permettre à la France de restructurer sa façon de penser les confrontations modernes, notamment dans les champs immatériels. » Paris doit comprendre que l’ère coloniale reste le point de départ du rejet actuel de la France. Comment convaincre les populations africaines que la France ne cherche pas, sous une forme de néocolonialisme, à maintenir son empire colonial sur le continent ? Le narratif anticolonialiste est extrêmement mobilisateur de manière transnationale, comme le montrent les exemples du Mali, du Niger et du Burkina Faso, comme est mobilisateur la dénonciation du pillage des richesses. Je pense à l’uranium au Niger. La puissance de la France passerait aujourd’hui par ce pillage. 

    Il suffirait de dresser la cartographie des puissances étrangères qui exploitent les mines africaines, l’or au Mali ou en RDC, les terres rares en RDC, etc. La puissance de la France ne pèse rien face à la puissance de TikTok en Afrique. L’information, notamment à travers les réseaux sociaux, est devenue un  champ de bataille stratégique, et elle joue un rôle central dans les stratégies de guerres hybrides contemporaines.

    Christian GAMBOTTI –  Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org

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