Les nouvelles frontières des relations franco-africaines : le contexte géopolitique et géoéconomique
La France est en train de dessiner les nouvelles frontières de ses relations avec l’Afrique. Pour la première fois depuis le premier sommet Afrique-France qui s’est tenu à Paris en 1973, le prochain sommet de ce genre ni à Paris, ni dans un pays d’Afrique francophone. Il se tiendra, au premier trimestre 2026, au Kenya, un pays anglophone. Il ne s’agit pas, pour Paris, de s’éloigner de l’Afrique francophone. Le choix du Kenya est, selon les autorités françaises, le « signe important » que leurs relations sur le continent ne se limitent pas à l’ancienne zone d’influence, « pré-carré » francophone subsaharien qui avait d’abord bien résisté à l’épreuve de la décolonisation.
La France est aujourd’hui contestée dans certains pays africains, notamment à travers une stratégie sophistiquée de désinformation alimentée par les réseaux russes, en particulier dans les trois pays sahéliens qui ont connu des coups d’Etat militaire (Mali, Burkina Faso et Niger) (1). On doit cependant dire que les mystifications chiraquiennes et mitterrandiennes, – la réputation d’un Jacques Chirac et d’un François Mitterrand décolonisateurs est une réputation usurpée -, ont nourri l’idée que la France perpétuait dans l’Afrique francophone une forme de néocolonialisme. Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron ont, de façon maladroite, tenté de réécrire le logiciel des relations franco-africaines.
Le premier, dans le fameux Discours de Dakar (2), s’était lancé dans une explication confuse de sa politique africaine. Le second avait organisé, en 2O21 le calamiteux Sommet de Montpellier, sans inviter ses homologues africains, mais des représentants des sociétés civiles du continent. Dans un monde qui change avec des relations internationales qui obéissent à de nouvelles dynamiques géoéconomiques et géopolitiques, la France ouvrent de nouvelles frontières dans ses relations avec l’Afrique, notamment vers les Etats anglophones (3).
Le Sommet de Nairobi de 2026, qui se tiendra lors de la présidence française du G7, marque le retour à un format traditionnel, puisqu’il réunira des chefs d’Etat et de gouvernement. Emmanuel Macron et son homologue kényan, William Ruto, qui se sont rencontrés à plusieurs reprises, entretiennent des relations de confiance. Ils inviteront tous les dirigeants africains avec la volonté de bâtir « un multilatéralisme inclusif ».
Entre urgences nouvelles et thématiques essentielles
► Les urgences nouvelles – Les urgences nouvelles sont celles des réponses à apporter au défi climatique : lutte contre le réchauffement climatique, la dégradation des terres et la sécheresse ; préservation de l’environnement et de la biodiversité.
Le changement climatique fait peser de lourdes menaces sur le continent. L’Agence des Nations Unies pour la météo (OMM), dans un rapport multi-agences qu’elle a coordonné, annonce que le pire est à venir : hausse des températures, élévation du niveau des mers, multiplication des phénomènes météo extrêmes (cyclones tropicaux destructeurs, inondations, épisodes de sécheresses).
Le développement socio-économique de l’Afrique et la santé des populations sont sous la menace de la crise climatique. Le Secrétaire général de l’OMM, Petteri Taalas, a déclaré, dans un communiqué de presse : « Le changement climatique a un impact croissant sur le continent africain, frappant plus durement les plus vulnérables et contribuant à l’insécurité alimentaire, au déplacement des populations et à la pression sur les ressources en eau ».
Selon les experts de l’ONU, l’Afrique est en première ligne pour l’exposition et la vulnérabilité aux impacts des crises climatiques. Les COP se succèdent avec toujours le même constat, l’urgence de l’action climatique en Afrique, et la même absence de suffisantes, alors que les nations africaines ne peuvent pas lutter seules contre la crise climatique. Les besoins de financement sont énormes, mais les pays développés n’honorent pas leurs engagements.
Est-ce que le Sommet de Nairobi de 2026 peut apporter des réponses sur la question du financement de la lutte contre les crises climatiques en Afrique ? C’est justement l’une des thématiques essentielles qui sera abordée à Nairobi : « la réforme de l’architecture financière internationale ».
► Les thématiques essentielles – Le format de la Chronique du Lundi m’interdit d’entrer dans des analyses détaillées sur les trois thématiques que je considère comme essentielles pour l’avenir du continent africain ; la réforme de l’architecture financière internationale, la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU et le développement plus inclusif.
□ La réforme de l’architecture financière internationale – Il s’agit d’une priorité pour William Ruto et Emmanuel Macron. L’Afrique est de plus en plus confrontée à un assèchement de ses financements internationaux. Les investisseurs, qu’ils soient publics ou privés, se détournent des pays africains, alors que leurs besoins de financement, notamment pour les pays les plus pauvres, sont considérables. Le ralentissement de la croissance mondiale se traduit par un fort recul de l’investissement en Afrique.
Obligés de recourir à l’emprunt ou aux prêts chinois, de nombreux Etats africains sont sous la menace d’un endettement excessif. De nouvelles pistes doivent être exploitées pour financer le développement de l’Afrique, aider le continent à financer la lutte contre la pauvreté et le réchauffement climatique. Emmanuel Macron, à la tribune de l’ONU, a appelé à réformer en profondeur la Banque mondiale et le FMI pour renouveler la structure de leur capital et lever les blocages au financement des projets des pays du Sud.
□ La réforme du Conseil de sécurité de l’ONU – Le Conseil de Sécurité de l’ONU est un vestige du vieux monde qui doit être réformé. Sa composition correspond à un moment de l’Histoire au cours duquel l’Occident s’était arrogé le droit d’être le gendarme du monde. Seuls 5 pays sont des membres permanents du Conseil de sécurité, chacun disposant d’un droit de veto : Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni et Russie. S’ajoutent 10 membres non-permanents, sans droit de veto et renouvelables tous les deux ans par moitié.
Un autre monde a surgi depuis la décolonisation et la fin de la « Guerre froide ». L’ONU, toujours prisonnière du fonctionnement du vieux monde, ne prend pas la mesure de ce nouveau monde qui cherche à se faire entendre. Toujours à la Tribune de l’ONU, Emmanuel Macron s’est dit favorable à un élargissement de la composition du Conseil de sécurité qui doit intégrer de nouveaux membres permanents (Allemagne, Japon, Inde, Brésil et deux pays que l’Afrique désignerait pour la représenter). De nouveaux membres élus devraient aussi être admis. Il est important que cette question de la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU soit abordée à Nairobi.
□ Un développement plus inclusif – Parvenir à un consensus mondial pour un développement plus inclusif et durable, est une nécessité. Les pays développés doivent s’engager sur le partage des connaissances, les appuis technologiques et financiers pour soutenir le développement de l’Afrique. Trop de pays africains sont tenus à l’écart du développement mondial. Un développement mondial plus inclusif et durable est le principal défi que notre époque doit relever pour limiter les risques de conflictualités.
Ce sommet Afrique-France, organisé pour première dans un pays non francophone, le Kenya, témoigne d’une évolution de la diplomatie française sur le continent africain. Depuis 1973, ces sommets alternent entre la France et un pays africain francophone. Nairobi indique un tournant vers d’autres partenariats sans que la France ne renonce aux liens privilégiés qu’elle entretient avec l’Afrique francophone. Pour les valeurs de partage et de solidarité qu’il porte, l’espace francophone est, pour moi, le lieu à partir duquel peuvent se construire de nouvelles manières de travailler avec l’Afrique, un continent particulièrement touchée par la cascade de crises mondiales (sanitaires, alimentaires, sécuritaires, et climatiques).
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(1) La France et les trois pays de la bande sahélienne : Mali, Burkina Faso et Niger. La Russie, par pure opportunité, capitalise sur l’échec de l’Occident au Sahel dans la lutte contre l’insécurité et la pauvreté et sur l’impuissance des gouvernements civils. Le modèle de développement alternatif que propose le Kremlin à l’Afrique suppose une rupture totale avec l’Occident. Est-ce dans l’intérêt de l’Afrique et de la paix mondiale?
(2) Nicolas Sarkozy, Discours de Dakar, 26 Juillet 2007. Ce Discours multiplie les clichés négatifs sur l’Afrique et l’homme africain.
En 2023, les deux principaux partenaires de la France en Afrique subsaharienne ne sont pas des Etats francophones. Il s’agit du Nigéria et de l’Afrique du Sud (3,3 Md€). Dans l’Afrique subsaharienne, le premier partenaire africain
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org