Le développement de l’Afrique est une réalité. Mais, ce développement est ralenti par un contexte de plus en plus instable. Les causes de cette instabilité sont multiples et elles se complexifient. Les dynamiques de croissance, – qu’elles soient locales, nationales, sous régionales ou continentales -, se jouent dans la capacité des Etats à assurer la sécurité du territoire national et des populations, notamment dans les zones frontalières.
Pour cela, face à la multiplicité des acteurs et des formes de la conflictualité, face à la professionnalisation des groupes armés auteurs de violence (terrorisme, criminalité transnationale), les Etats de l’Afrique de l’Ouest doivent : 1) disposer de forces de sécurité (armée, gendarmerie) bien formées, armées, entraînées et encadrées 2) mettre en œuvre des mécanismes d’intégration régionale en matière de sécurité 3) renforcer la sécurité aux frontières en utilisant les drones, les images satellite, les technologies de surveillance de géolocalisation.
La coopération sécuritaire entre Etats ouest-africains
L’initiative d’Accra est un bon exemple de la volonté des dirigeants ouest-africains de promouvoir l’intégration régionale afin de de renforcer la coopération anti-djihadiste, alors que la dégradation de la sécurité au Sahel « menace d’engloutir toute la région de l’Afrique de l’Ouest », selon le président ghanéen Nana Akufo-Addo, ancien président de la CEDEAO.
De son côté, la CEDEAO, qui avait comme objectif, lors de sa création en 1975, une union économique et monétaire sous-régionale, a choisi, dès 1999, d’élargir son champ de compétence à la sécurité. Elle crée, en 2003, une force militaire de réaction rapide, afin de remédier aux conflits dans la région, l’ECOMOG, dont les soldats seront intégrés, l’année suivante, à l’ONUCI, l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire. La CEDEAO a voulu, à partir de 2004, construire une force militaire pour succéder à l’ECOMOG.
Depuis 2012, date des premières attaques djihadistes au Mali, les réponses sécuritaires qui ont été apportées en Afrique de l’Ouest, avec l’intervention des militaires français, la force conjointe du G5 Sahel et la Minusma, ont montré leurs limites, notamment auprès des opinions publiques. Alors qu’elle est désormais confrontée à des crises complexes (crise sahélienne, crise du bassin du lac Tchad, coups d’Etat militaires), il est urgent, pour la CEDEAO, de poursuivre la réorganisation de la sécurité des Etats ouest-africains en passant par les Africains eux-mêmes.
Mohamed Bazoum, sans renoncer à l’appui des partenaires extérieurs, a raison de dire que, face au terrorisme, « la télécommande est entre nos mains », pas entre celles des partenaires extérieurs. Les obstacles sont nombreux : un manque de moyens militaires, des financements limités et une capacité de mobilisation diplomatique encore insuffisante.
Spécialisé dans les questions de sécurité militaire, l’International Crisis Group analysait ainsi la situation en 2016 : « l’organisation régionale ouest africaine devrait procéder à un réexamen de toutes les dimensions de sa force en attente, son bras armé qui a succédé en 2004 à l’ECOMOG. Cela concerne non seulement la doctrine et les procédures opérationnelles, mais aussi le financement, sachant que cette force souffre d’un manque de moyens récurrent. » La vraie question est celle du financement.
Omar Alieu Touray, le président de la commission de la CEDEAO, a déclaré que, pour la nouvelle force de la CEDEAO, « les chefs d’État ont décidé de ne pas dépendre des financements volontaires, car jusqu’à maintenant, nous avons vu que les financements volontaires ne viennent jamais. Nous allons regarder comment financer la force avec nos propres moyens. »
Les Etats africains sont obligés de consacrer une part de plus en plus importante de leur budget afin d’assurer leur sécurité, alors que l’on assiste à un élargissement de la zone d’influence et de conquête des djihadistes, l’extension des phénomènes de prédation et de trafics et l’instrumentalisation des conflits entre agriculteurs et éleveurs amplifiés par les questions d’ethnicité et de religion. Les armées nationales et les organisations militaires sous-régionales constituent-elles des forces crédibles pour relever tous les défis sécuritaires, alors que, au-delà du Mali et du Burkina, les attaques terroristes se multiplient dans les zones frontalières en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Togo, au Sénégal, au Ghana ?
Une nouvelle zone de conflictualité : l’espace maritime
Les espaces maritimes sont de futures zones de conflictualité de haute intensité. Sur 17 pays concernés par la menace terroriste, 13 sont des pays côtiers bordés par l’océan Atlantique et le golfe de Guinée. La sécurisation et la préservation des espaces maritimes et des zones économiques exclusives, des espaces hautement stratégiques, deviennent des priorités absolues, y compris pour les pays enclavés (Mali, Niger, Burkina, Tchad), dont les économies dépendent des ports du Golfe de Guinée.
Des pays comme le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et la Mauritanie exploitent déjà des gisements de pétrole offshore. De nouveaux gisements (pétrole, gaz) ont été récemment découverts au large du Sénégal, de la Mauritanie et du Ghana. L’économie de la mer, dont pourraient bénéficier les pays de l’Afrique de l’Ouest, est menacée par les pêches illégales des chalutiers-usines géants au détriment des pêcheurs artisanaux locaux et une piraterie maritime de plus en plus militarisée.
L’espace maritime, qui est essentiel pour le développement économique et la stabilité politique des pays de l’Afrique de l’Ouest, est de plus en plus menacé. L’architecture de sécurité des pays de l’Afrique de l’Ouest doit donc intégrer une architecture régionale de sécurité maritime. Avec quels moyens militaires ? Avec quelles ressources financières, alors que FMI s’alarme d’une chute des sources de financement de l’Afrique.
Moins de financements disponibles signifient moins de dépenses sociales, alors que le tiers de la population africaine vit dans l’extrême pauvreté, mais aussi moins de dépenses pour la sécurité, alors que le continent voit se multiplier les crises sécuritaires, notamment avec les guerres informationnelles sur les réseaux sociaux et la cybercriminalité. L’immense défi sécuritaire auquel est confrontée l’Afrique de l’Ouest concerne l’espace terrestre, l’espace maritime, mais aussi l’espace immatériel du digital (internet, réseaux sociaux). Répondre au défi de la sécurité suppose, pour chaque Etat, des ressources budgétaires propres suffisantes, une forte intégration régionale et un soutien international (appui technique et financier).
Afrique et sécurité : où trouver l’argent ?
« Le financement de la paix et la sécurité de l’Afrique doit être une affaire africaine », avait martelé Olusegun Obasanjo, ancien président du Nigeria, lors de la première édition du Forum sur la paix et la sécurité en Afrique. Pour l’instant, l’Afrique demeure très largement dépendante des bailleurs de fonds internationaux et de ses partenaires traditionnels pour le financement de sa propre sécurité.
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@agriquepartage.org