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    Chronique du lundi – l’agroforesterie : une réponse efficace pour lutter contre la dégradation des sols et augmenter leur fertilité 

    Chronique du lundi – l’agroforesterie : une réponse efficace pour lutter contre la dégradation des sols et augmenter leur fertilité 
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 7 minutes

    L’agriculture africaine au défi de l’urgence climatique. L’agroforesterie offre à l’Afrique l’un des moyens les plus efficaces pour faire face à l’urgence du changement climatique, à la dégradation des terres, à la perte de la biodiversité et lutter contre la déforestation. Elle permet aussi une production agricole plus vertueuse qui répond aux Objectifs du Développement Durable (ODD). 

    Mais, il n’existe pas, dans toute l’Afrique de l’Ouest, une politique de développement de l’agroforesterie. Ni les pays, ni les producteurs nationaux ne mesurent encore l’importance de l’agroforesterie pour apporter une réponse efficace dans la lutte contre la dégradation des sols  et améliorer leur fertilité

    L’Afrique de l’Est, avec des pays comme le Kenya, conduit une politique volontariste en matière de développement de l’agroforesterie. Dès 2009, alors qu’il n’existe pas encore de véritable conscientisation environnementale, le Ministère Kenyan de l’Agriculture avait adopté des règles de foresterie agricole, exigeant que toutes les fermes aient une couverture arboricole de 10 % de leur surface, afin de répondre à la déforestation du pays qui avait atteint un seuil critique. Le Rwanda et l’Ethiopie ont suivi, intégrant l’agroforesterie dans les politiques de développement d’une agriculture plus vertueuse. 

    Aujourd’hui, face à l’urgence climatique, l’intérêt de l’agroforesterie pour lutter contre la dégradation des sols, augmenter leur fertilité et préserver la biodiversité, n’est plus contesté par personne, mais les obstacles demeurent et sont difficiles à surmonter : obstacles politiques avec des stratégies agricoles incohérentes, car fragmentées et sectorielles ; faiblesse des appuis techniques et financiers ; absence de sensibilisation et formation afin d’orienter les producteurs vers l’agroforesterie ; mécanisation de la production qui interdit l’intégration des arbres dans les exploitations agricoles ; insécurité du régime foncier ; absence de valorisation de la production arboricoles, ce qui décourage les agriculteurs refusent de planter des arbres sur leurs terres ; d’autant plus que les arbres ne sont pas immédiatement productifs. 

    La performance environnementale que représente l’agroforesterie ne peut pas être détachée de la performance économique, les petits producteurs, même dans la filière cacaoyère, ne parvenant pas à tirer des revenus décents de leur exploitation. Les réformes doivent toujours profiter aux assiettes des petits producteurs et non pas apparaître comme une réponse abstraite concoctée dans les bureaux ministériels ou par des instances internationales qui ont une vision globale. 

    « Penser globalement, agir localement » est un slogan qui a connu, à partir des années 1980, un immense succès qui permet de différencier la performance environnementale par le haut, nécessairement abstraite, et la performance environnement par le bas, c’est-à-dire à partir de solutions locales. La performance environnementale, perçue comme un véritable projet de société, ne peut être comprise et acceptée par les populations qu’à partir d’une parfaite articulation entre le développement durable et le développement local.

    L’agroforesterie en débat, un an après la COP15 qui s’est tenue à Abidjan

    La COP 15 s’est tenue à Abidjan du 9 au 20 mai 2022. L’Ivoirien Alain-Richard Donwahi, ancien ministre des Eaux et Forêts, porté à la présidence de la COP 15, a immédiatement voulu faire de l’agroforesterie un moyen de lutte contre la dégradation des sols et un des axes pour rendre plus vertueuse la filière cacaoyère. 

    En Côte d’Ivoire, près de 80% du couvert forestier a disparu. Les causes sont multiples : commerce du bois de chauffe, exploitation illicite des forêts, urbanisation et agriculture qui détruisent des hectares de forêts, etc. L’expansion de la culture du cacao est l’une des causes principales de la déforestation. Économiquement, 70 % du cacao mondial est produit en Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire et le Ghana étant les plus gros producteurs. 

    En Côte d’Ivoire, la production et le commerce du cacao représentent 40 % des recettes d’exportation et emploient 8 millions de personnes, soit presque un tiers de la population du pays. Mais, dans le même temps, l’expansion sans cesse croissante des zones cacaoyères a entraîné une dégradation de la qualité des sols, une baisse de leur fertilité et des rendements et une accélération de la déforestation.

    Des politiques et scientifiques de l’Afrique de l’Ouest se sont réunis pendant deux jours à Abidjan, afin d’améliorer la fertilité des sols forestiers. La production de cacao est l’une des causes de l’infertilité de ces sols. L’agroforesterie, en associer des arbres et des cultures agricoles sur une même parcelle, figure parmi les alternatives évoquées, afin d’aller vers des pratiques culturales cacaoyères plus vertueuses. 

    Anicet Ebou, enseignant chercheur à l’INP-HP, l’Institut national polytechnique Félix-Houphouët-Boigny, présente ainsi l’agroforesterie : « Dans la culture du cacao en général, dans l’agrodéforesterie, on va demander qu’ils puissent planter des arbres. On a des cultures pérennes et il y a aussi des arbres fruitiers qui peuvent permettre des ressources additionnelles : des manguiers, des bananiers. » 

    Les études qui sont faites sur ces ressources additionnelles visent à  identifier les meilleurs pratiques qui vont permettre de retenir le carbone augmenter la fertilité des sols et restaurer les terres dégradées.

    Le principal obstacle est parfaitement défini par Drissa Traoré, le point focal du projet Terri4Sol au ministère de l’Agriculture : « Les populations ne voient pas encore l’intérêt de l’agroforesterie. Tant qu’on n’aura pas aidé les producteurs à améliorer les conditions de revenus, nous aurons du mal à passer ». 

    Un énorme travail de sensibilisation de tous les acteurs de la filière cacaoyère est nécessaire pour diffuser les connaissances et les bonnes pratiques qui vont assurer la durabilité et la résistance au changement climatique tout en augmentant les rendements. Il s’agit aussi de faciliter l’accès aux financements et sécuriser la propriété foncière et des arbres.

    Pour Alain-Richard Donwahi, président de la COP 15, « L’agriculture reste le secteur-clef de l’économie ivoirienne. La Côte d’Ivoire doit promouvoir une agriculture intelligente capable d’améliorer les rendements, assurer des revenus décents aux producteurs et répondre aux défis de crise climatique. L’agroforesterie fait partie des solutions que propose une agriculture intelligente. Nous devons faire converger vers le même objectif deux axes longtemps considérés comme contradictoires : l’expansion et la durabilité de la filière cacao et la restauration du couvert forestier. A côté de l’agroforesterie, qui ne peut se développer que dans certaines zones, une agriculture intelligente doit promouvoir des cultures moins agressives pour les sols et plus résilientes au risque de sécheresse. »

    La contradiction majeure : produire plus mais produire mieux

    Dans une Afrique qui souffre encore de malnutrition et qui devra répondre dans les années qui viennent à un défi démographique d’une ampleur inégalée, comment résoudre la contradiction suivante : demander à l’agriculture de s’engager résolument dans la protection de l’environnement et de la biodiversité et, en même temps, de produire plus ? 

    Face à l’urgence climatique et à la nécessité de lutter contre la dégradation des terres et la déforestation, il convient d’engager l’agriculture vers de nouveaux modes de production ; mais, face au boum démographique, à l’urgence alimentaire et aux risques de famine, l’agriculture africaine doit produire plus. Elle doit donc produire mieux, car il s’agit, pour lutter contre le dérèglement climatique, de répondre à la demande légitime de protection de l’environnement en engageant l’agriculture vers des modèles de croissance plus vertueux qui préservent les ressources, – l’eau et les terres -, sur lesquelles s’appuient les productions agricoles. 

    La réponse, pour résoudre ce paradoxe, se situe du côté de l’agro-écologie. Je reprends, pour conclure, ce que dit l’AFD : « la diffusion des techniques de production agro-écologiques est un enjeu essentiel pour le développement durable en Afrique de l’Ouest. Ces techniques permettront non seulement d’accroître la productivité de l’agriculture mais aussi de renforcer sa résilience face aux effets du changement climatique. Elles contribueront en cela à endiguer l’insécurité alimentaire et nutritionnelle dans la région.»

    Christian GAMBOTTI –  Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@agriquepartage.org

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