Depuis 2020, cinq coups d’État militaires se sont succédé en Afrique de l’Ouest : Mali, en août 2020 et mai 2021, Guinée Conakry, en septembre 2021, Burkina Faso, en janvier 2022, Niger, en août 2023. En février 2022, une tentative de coup d’État s’était soldée par un échec en Guinée-Bissau. Sur les 15 pays de la CEDEAO, 3 pays de la zone sahélienne, – le Mali, le Burkina Faso, le Niger -, ont connu une passation forcée du pouvoir.
Les raisons conjoncturelles qui expliquent ces coups d’État militaires ne doivent pas faire oublier les causes profondes. Une interprétation de ces coups d’État militaires se fonde sur deux idées qui, pour moi, sont erronées : 1) la France a perdu son influence en Afrique et elle est chassée de son ancien « pré carré » 2) ces coups d’État sont préparés dans les officines secrètes du Kremlin.
Sur la première explication, la France n’est pas, en réalité, chassée d’Afrique ; elle subit la concurrence d’offres alternatives dans les domaines de la sécurité et du développement. Ces offres proviennent des anciens « amis » des mouvements de lutte contre la colonisation, la Russie et la Chine. Moscou a formé la plupart des militaires putschistes.
Sur la deuxième explication, la Russie a su tirer profit de l’opportunité que représente la montée, dans les opinions publiques, d’un discours antioccidental. En revanche, il est clair, qu’à travers Wagner, le Kremlin, sans jamais apparaître, a pu mener une guerre informationnelle particulièrement efficace sur les réseaux sociaux, s’emparer de supports de communication ou les créer, rémunérer des journalistes, financer des activistes, organiser des manifestations anti françaises.
En réalité, l’Occident collectif n’a pas mesuré l’importance de la montée d’une posture anti occidentale parmi les nouvelles générations et dans une partie des opinions publiques. En face du discrédit de l’Occident qui sature le discours des activistes, nous avons défendu l’universalisme d’une civilisation colonisatrice et soutenu des gouvernements civils faillis, incapables de lutter contre la menace terroriste et éradiquer la pauvreté.
L’armée française, d’abord perçue comme une armée de libération, en 2012, au Mali, est apparue, ces dernières années, comme une armée d’occupation. Ce scénario antifrançais s’est reproduit au Burkina Faso en 2022 et au Niger, ces derniers jours. On oublie un peu vite la manifestation organisée en 2021 contre une colonne de l’armée française qui passait par Téra, au nord-ouest du pays, et au cours de laquelle plusieurs manifestants sont morts.
Il y a toujours eu, dans certains États africains, depuis quelques années, les ferments d’une remise en cause de la présence de la France dans les jeunes générations dont la culture politique a pu se construire dans une forme d’opposition à la France en particulier et à l’Occident en général. Ce discours anti français et anti occidental, s’il reste minoritaire, notamment à Niamey, n’est pas inédit, il est « en maturation » depuis plusieurs années et il a offert à une Russie très pragmatique une opportunité de conquête de l’espace francophone.
Il suffit de payer des manifestants pour qu’ils se rendent devant l’ambassade de France et brandissent des pancartes demandant le départ de la France. Certes, le Niger est un allié fidèle de l’Occident dans la lutte contre le terrorisme djihadiste, mais, le président démocratiquement élu, Mohamed Bazoum n’hésite pas à se tourner vers la Russie, qui est le premier fournisseur d’armes de l’armée nigérienne.
Les causes profondes de la maturation d’un discours antioccidental
L’Occident se nourrit d’une analyse erronée des réalités africaines, analyse dont on retrouve tous les marqueurs dans le Discours de Dakar, prononcé par Nicolas Sarkozy, le 26 juillet 2007, devant des étudiants, dans la capitale sénégalaise, Sarkozy, alors qu’il est Président de la République française, déclare que « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. » La France reste sous l’influence du fameux Discours de Victor Hugo qui justifiera la colonisation (1).
Chirac, maladroitement, parlera des bienfaits de la colonisation. Quelques années plus tard, Macky Sall, le président du Sénégal, semble répondre à la France, lorsqu’il affirme qu’il est temps, pour l’Afrique, de s’émanciper de la tutelle des grandes puissances, si elle veut ne plus porter « le fardeau de l’Histoire ». Lors de la 77e Assemblée générale de l’ONU, ouverte à New York le 20 septembre 2022, le président sénégalais, alors à la tête de l’Union africaine, prononcera un véritable plaidoyer pour la neutralité africaine dans la guerre en Ukraine : « l’Afrique a assez subi le fardeau de l’Histoire ».
Ce fardeau de l’Histoire est celui de la colonisation qui prive l’Afrique de son identité, celui de la « Guerre froide » qui fait de l’Afrique l’otage des grandes puissances, celui de la fin de la « Guerre froide », période pendant laquelle l’Afrique est marginalisée, oubliée, projetée hors du monde. Ces dernières années, alors que la menace des coups d’État militaires avait pratiquement disparu, les puissances occidentales ont continué à soutenir des gouvernements civils faillis, qui se caractérisaient par l’échec des politiques publiques, l’incapacité à éradiquer la pauvreté et à lutter contre l’insécurité, la fraude électorale, la corruption, la faillite d’un modèle démocratique, etc.
Les « think tank » occidentaux, sous le discours trompeur d’un afro-optimisme de circonstance, oubliant les populations africaines, présentaient l’Afrique comme un Eldorado pour les investisseurs, convoquant à Paris, Londres, Washington, des « Africa Summit », des « Africa Business Forum », consacrés à l’investissement et aux opportunités d’affaires en Afrique pour multinationales occidentales, pendant que certains dirigeants africains se tournaient déjà vers de nouveaux partenaires, notamment la Russie, comme en témoigne le succès du dernier « Russia-Africa Summit », qui s’est tenu à Saint-Pétersbourg, les 27 et 28 juillet 2023.
Un contexte de forte instabilité favorable aux coups d’État militaires
Les enjeux de sécurité et de développement créent un contexte de forte instabilité qui favorise le retour des coups d’État militaires. Il n’est pas étonnant que ces coups d’État aient lieu dans la région sahélienne, au moment où, face à la montée du terrorisme, l’Occident n’arrive plus à garantir la sécurité des États et des populations. Au bout de dix ans de présence militaire en Afrique aux côtés des armées nationales africaines, l’idée prévaut que la France a échoué dans la lutte contre le terrorisme.
Dans la guerre informationnelle qui oppose la France à la Russie, l’armée française est même présentée comme une complice des terroristes. La junte malienne accuse la France d’armer les groupes djihadistes et d’entretenir le chaos dans la zone sahélienne pour préserver ses intérêts.
En matière de développement, l’Occident n’a pas pu répondre aux attentes des populations africaines, se contentant de discussions sans fin sur l’aide au développement, la restructuration des dettes publiques africaines. Même si la dette publique africaine est constamment restructurée, voire annulée en partie par les partenaires financiers du continent (FMI, Banque Mondiale, BAD), les États africains sont toujours obligés de s’endetter auprès des bailleurs de fonds. Près de quinze ans après les dernières initiatives d’allègement de dette mises en œuvre par la communauté internationale, la menace d’une nouvelle crise de la dette en Afrique se profile.
Quels sont les problèmes de fond qui expliquent qu’il est facile de manipuler des opinions publiques fragiles, ce qui conduit une partie de la jeunesse africaine et des populations à se tourner vers de nouveaux partenaires ? Il s’agit de la promesse non tenue du développement et de la sécurité. Si l’Occident ne veut pas perdre l’Afrique, il lui faut retrouver une crédibilité perdue. Pour cela, les pays riches doivent investir massivement en Afrique et assurer le transfert des technologies pour assurer le développement du continent.
L’endettement à perpétuité de l’Afrique n’est pas la solution. Deux chiffres : 1) en 2022, le continent devrait en tout payer 44 milliards de dollars US d’intérêts à ses créanciers extérieurs 2) le service de la dette représente jusqu’à 60 % de leurs revenus. Comment garantir l’accès à la santé, l’éducation, l’emploi, l’électricité, l’eau potable ? Comment répondre à l’urgence climatique ?
À moins que l’Occident ne choisisse de quitter l’Afrique comme il a déserté l’Afghanistan ! Vingt ans après leur chute, en 2001, les Talibans contrôlent de nouveau l’intégralité de l’Afghanistan. Que signifie cette défaite pour l’Occident ? Peut-on parler d’une véritable déroute occidentale ? En réalité, l’Occident doit comprendre qu’il a, depuis toujours, agi de façon incohérente en Afrique. Face à l’accélération de l’Histoire, il ne peut prétendre perpétuer
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du Think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org