Comment les États africains peuvent-il éviter les pièges du nouvel ordre mondial ?
BRICS versus G7
Il ne s’agit pas de réduire le nouvel ordre mondial tel qu’il se construit aujourd’hui à un affrontement entre les 5 pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et les partenaires du G7 qui représentent les 7 économies occidentales réputées être les plus développées (Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne, Japon, Italie, Canada).
Créé dans les années 1970, le G7 était devenu le G8 avec l’intégration, en 1997, de la Russie. En 2014, la crise ukrainienne, après l’annexion par Poutine de la Crimée, jugée illégale par les pays occidentaux, va mettre fin à la participation de Moscou au G8. Mais, il existe de fait, avec le G7, un front occidental, et, avec les BRICS, un front de pays émergents qui affirment leur volonté de s’émanciper de la tutelle de l’Occident.
La création du G20, à partir des années 1999, avait pour objectif de renforcer la coopération entre les pays du G7 et les pays émergents. Le G20 compte 19 pays (Afrique du Sud, Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, République de Corée, Royaume-Uni, Russie) et l’Union européenne. Les cinq pays des BRICS font partie du G20, comme l’Arabie Saoudite qui vient d’intégrer les BRICS.
Les puissances occidentales souhaitaient mieux associer les pays émergents aux discussions sur l’évolution du système économique et financier international. Lieu de discussion entre pays industrialisés et pays émergents, le G20 affichait l’ambition de devenir l’instrument privilégié de la « bonne gouvernance » de l’économie de marché mondialisée, afin d’éviter les crises. Pourquoi le mouvement des BRICS va-t-il alors prendre de l’importance ? La réponse est simple : le G20 symbolise à son tour, comme le G7, la domination des grandes puissances occidentales et les décisions qui sont prises, favorables aux intérêts de l’économie de marché, sont imposées aux pays émergents et à leurs populations.
L’Occident, aveuglé par le prétendu universalisme de sa civilisation et de ses valeurs (économie libérale, démocratie, droits humains, égalité homme-femme) ne mesure pas alors la montée des courants nationalistes ultraconservateurs dans les pays émergents et la résurgence des mouvements anticolonialistes en Afrique. Au temps de la « Guerre froide » (1945-1991)), les Etats africains étaient sommés de choisir entre l’Oncle Sam et le communiste, c’est-à-dire entre les deux idéologies qui structuraient les relations internationales.
À la fin de la « Guerre froide », l’illusion aura été de croire que le maître-mot du monde était le mot « coopération », l’OMC étant, dans l’imaginaire occidental, l’outil-miracle qui doit permettre de bâtir une paix durable. Mais, le véritable maître-mot du monde est, depuis les années 1970, le mot « crise ». Le capitalisme va connaitre une crise systémique qui bouleverse les rapports de force au sein du G20, les puissances occidentales, historiquement dominantes, ne sont plus les seuls maîtres du jeu. Dans un monde devenu multipolaire, le front antioccidental s’affirme et l’influence des BRICS s’étend. L’Afrique devra-telle choisir entre les BRICS et le G7 pour avancer sur la trajectoire du développement ?
L’Afrique et les BRICS
À l’issue du Sommet qui vient de se tenir à Johannesburg, les BRICS s’agrandissent. Le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud ont annoncé l’entrée de six nouveaux membres : l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Les BRICS passent à onze États qui, en 2024, devraient représenter plus d’un tiers du PIB mondial et près de la moitié de la population. Les BRICS à onze expriment une volonté commune : la « dédollarisation » de l’économie mondiale.
Le président brésilien Lula, évoquant même la mise en place d’une monnaie commune, avait déclaré en juin, avant le Sommet de Johannesburg : « Chaque nuit, je me demande pourquoi tous les pays seraient obligés de réaliser leurs échanges en se basant sur le dollar. » Le poids, la domination de la Chine, les déséquilibres économiques et les rapports de puissance vont très vite apparaître au cœur du projet d’élargissement des BRICS.
Pour Jim O’Neill, l’économiste inventeur de l’acronyme BRIC, en 2001, le projet économique des BRICS, adossé à la création d’une banque centrale et une monnaie commune, semble peu viable. Quant au projet politique, les divergences sont telles, qu’il est peu réalisable. Pour Jim O’Neill, les BRICS, « ne sont jamais parvenus à rien depuis qu’ils ont commencé à se rencontrer. » Comment pourrait-il en être autrement avec les difficultés que représente l’élargissement. L‘exemple de l’Union Européenne, qui réunit pourtant des pays développés qui ont un même socle civilisationnel, montre qu’il ne faut pas confondre élargissement et approfondissement. L’Union Africaine est confrontée au même dilemme : l’élargissement ou l’approfondissement.
En 2001, l’acronyme BRIC regroupait quatre puissances émergentes dont le potentiel devait leur permettre de respecter un agenda économique. Il n’était pas question d’agenda politique. Poutine, qui fait clairement de l’Afrique subsaharienne une priorité majeure dans sa volonté d’expansionnisme colonial, cherche à inclure, dans l’agenda des BRICS, un agenda politique, comme à l’époque de la « Guerre froide ». Il appartient à l’Afrique de ne pas tomber dans le piège que lui tendent à nouveau les ruses de l’Histoire.
Le Président de l’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, s’il pointe régulièrement le ressentiment persistant des pays africains envers l’Occident, comme il l’a encore fait lors du « Sommet pour un nouveau pacte financier mondial », à Paris, n’entend pas participer à une guerre entre l’« Occident collectif » et le « Sud global ». Pour Macky Sall, le Président sénégalais, l’Afrique ne doit pas porter à nouveau « le fardeau de l’Histoire » en se laissant enfermer dans des choix contraires à ses intérêts. Les déplacements de Cyril Ramaphosa et de Macky Sall à Moscou n’ont jamais été des signes d’allégeance à la politique expansionniste du Kremlin.
L’Afrique et le G7
Les puissances occidentales commencent-elles à comprendre qu’elles ne doivent pas déserter l’Afrique ? En juin 2022, le G7 a annoncé un programme d’infrastructures de 600 milliards de dollars, notamment pour l’Afrique. Si le nom de la Chine n’est jamais prononcé, il s’agit bien de concurrencer le projet chinois des « nouvelles routes de la soie ». Le projet du G7 inclut le respect des droits des travailleurs, de l’environnement, de l’égalité de genre. En même temps, le G7 promet la transparence, contrairement aux prêts opaques, peu avantageux, consentis par la Chine, des prêts qui aggravent les problèmes d’endettement des pays africains, la fragilité de leurs économies les rendant encore plus vulnérables.
Avec les prêts chinois, les pays africains sont encore plus endettés et leur PIB n’a pas réellement progressé. Inverser la tendance face à la Chine, la Russie ou d’autres puissances dont l’offensive s’accélère en Afrique, ce n’est pas uniquement pour remporter une guerre économique ou défendre des intérêts marchands. La guerre est multidimensionnelle, civilisationnelle, culturelle, sécuritaire. Mais pour gagner cette guerre d’influence, il est important que l’appui technique et financier de l’Occident atteigne les populations, ce qui est loin d’être le cas.
Les coups d’Etat militaires récents, soutenus par une partie des opinions publiques, trouvent leur explication dans le fait que les aides occidentales au développement n’atteignent pas les populations. Or, ce qui caractérise l’Afrique d’aujourd’hui, c’est la volonté des populations, notamment des jeunes générations, de ne pas être tenues à l’écart de l’Histoire d’une Afrique nouvelle qui est en train de s’écrire, ni être projetées hors de l’enrichissement national. L’Aide au Développement, avec sa succession de prêts et de restructuration des dettes publiques, qui n’améliorent pas leurs conditions de vie, c’est le vieux monde dont ne veulent plus les populations.
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@agriquepartage.org