Afrikipresse
Politique

Chronique du lundi – De l’élection des maires au remaniement ministériel : quel est le veritable enjeu pour Alassane Ouattara et le RHDP ?

Chronique du lundi – De l’élection des maires au remaniement ministériel : quel est le veritable enjeu pour Alassane Ouattara et le RHDP ?
Publié le
Par
Christian Gambotti
Lecture 6 minutes

Depuis 2011, le camp présidentiel a remporté, dans des circonstances différentes, toutes les élections. Entre 2011 et 2018, le contexte électoral est celui du boycott mis en œuvre par l’opposition. Les victoires électorales récentes du RHDP sont d’autant plus significatives que, depuis 2018, les élections sont marquées par l’inclusion des partis d’opposition qui renoncent au boycott mis en œuvre en 2018. L’opposition participe aux élections régionales de 2018 et aux législatives de 2021 (1). 

En 2023, le triomphe électoral du RHDP, lors des élections locales du 2 septembre 2023, est total avec 123 communes remportées sur 201, soit 31 de plus qu’en 2018, et 25 régions sur 31, soit 7 de plus qu’en 2018 (2). Aux municipales, on note des victoires hautement symboliques et fortement médiatiques comme à Yopougon avec l’élection d’Adama Bictogo ; aux régionales, dans la région de la Mé qu’il dirige depuis 2013, la réélection de Patrick Achi qui obtient 68,06 % des voix. 

Le paysage politique ivoirien, sur l’ensemble du territoire à travers les municipales et les régionales, et dans les trois assemblées constitutionnelles (Assemblée nationale, Sénat, Conseil Économique, Social, Environnemental et Culturel), a la couleur du RHDP, le parti créé le 16 juillet 2018 par Alassane Ouattara pour préserver les acquis de sa gouvernance, défendre son bilan et porter son ambitieuse vision « Côte d’Ivoire 2030 », qui accorde une attention particulière au développement du secteur privé et au bien-être des populations.

En choisissant le nom de RHDP, Alassane Ouattara se place sous l’autorité politique, philosophique et morale, mais aussi économique et sociale, du Père de la nation, Félix Houphouët-Boigny. Premier président d’une Côte d’Ivoire indépendante, Houphouët-Boigny avait su incarner l’unité nationale et la cohésion sociale dans un pays comptant 60 ethnies différentes. Le RHDP, dans une société ivoirienne qui reste taraudée par les anciens affrontements ethniques et les fractures territoriales, est conçu comme un parti politique transethnique et transgéographique, réunissant plusieurs sensibilités politiques. 

Dans l’esprit d’Alassane Ouattara, il ne s’agit pas d’un remaniement ministériel que dicteraient l’euphorie de l’écrasante victoire électorale du 2 septembre 2023 et le fait que l’opposition, tétanisée par sa défaite, soit incapable de fédérer son électorat. Le sens politique oblige à regarder plus loin, au-delà des circonstances actuelles favorables qui font penser que la victoire ne peut pas échapper au RHDP en 2025.

L’articulation entre le local et le national, une priorité dans la perspective de 2025

Calqué sur le modèle occidental, l’État, dans les jeunes nations africaines qui vont naître dans les années 1960 avec les indépendances, reste aujourd’hui encore trop abstrait. Longtemps enfermé dans la structure du parti unique et la gangue ethnique, le pouvoir politique n’incarne pas l’unité nationale, ni la cohésion sociale. Ce n’est que récemment, avec l’entrée de l’Afrique dans la mondialisation, que se forgent les idées de nation et de souveraineté, et que recule la mythologie du panafricanisme

L’Afrique existe-telle ? On peut se poser la question. Une vérité s’impose : il existe 54 Etats indépendants et souverains, mus par des intérêts divergents et des influences concurrentes. Les gouvernements civils posent sur leurs actions des mots que les populations, ne comprennent pas, d’où les frustrations et les colères de la rue qui se sont traduites par l’acceptation des coups d’État militaires. 

Quels sont les élus qui posent sur leurs actions les mots que les populations comprennent ?  Le maire et les conseillers municipaux, qui vivent au milieu de leurs administrés, au plus près des réalités économiques, sociales et environnementales. Il faut donc faire fructifier les victoires électorales du 2 septembre 2023, notamment en redynamisant l’UVICOCI (Union des Villes et des Communes de Côte d’Ivoire). C’est à l’UVICOCI, à travers les maires dont l’un des rôles est de faire remonter les informations venues du terrain, que s’expriment les préoccupations des citoyens, notamment les préoccupations sociales. 

Le danger pour une institution qui représente les pouvoirs intermédiaires est de faire de son ancienneté, – l’UVICOCI a été créée en 1983 -, le seul marqueur de sa légitimité. Le sénat est confronté au même danger. Un sénat redynamisé, avec la nomination de Kandia Camara à la tête de l’institution, une femme d’action, doit permettre d’aller vers une organisation plus efficace et une meilleure représentation des pouvoirs locaux, ainsi qu’un renforcement du dialogue entre tous les acteurs de la décentralisation, un processus toujours en transition en Côte d’Ivoire.

L’avenir du « ouattarisme » passe par le local

Houphouët-Boigny a fait de l’État le pilier majeur de la construction de la nation ivoirienne. L’État est nécessaire. La décennie Ouattara (2011-2021) a permis de consolider le rôle de l’État : toutes les élections ont eu lieu aux dates prévues, les institutions assurent le fonctionnement des pouvoirs publics, l’État assume pleinement ses pouvoirs régaliens. Mais, les gouvernements ivoiriens, depuis 2011, parlent-ils réellement aux populations ? Oui, évidemment. Sont-ils entendus ? Nous sommes entrés dans l’ère de la contestation de la parole politique et du rituel habituel de la prise de parole par tel ou tel ministre. 

Aujourd’hui, tous les commentateurs politiques s’arrêtent à la formation du prochain gouvernement ivoirien. Ouattara se projette déjà au-delà des résultats électoraux du 2 septembre 2023. Très flatteurs pour le camp présidentiel, ces résultats masquent l’essentiel, car être élu pour être élu, ce n’est rien. Il faut appréhender les dynamiques contemporaines, en particulier les dynamiques invisibles qui traversent aujourd’hui les sociétés africaines et qui ont, au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger et au Gabon, permis le renversement de l’ordre constitutionnel.

Un pouvoir régalien qui surplombe la société sans mesurer l’impact des grandes politiques publiques sur les conditions de vie des populations est voué à l’échec. C’est pour cela que les nominations sont moins importantes que la philosophie qui présidera à l’action du nouveau gouvernement. Cette philosophie doit prendre en compte le rôle des maires et des présidents de région.

__________________________

1)    Le scrutin présidentiel de 2020, qui voit la réélection d’Alassane Ouattara, sera pourtant boycotté par une large part du FPI.

(2)    Les élections locales de 2018 avaient été remportées par le RHDP avec 92 communes et 18 régions contre 50 communes et 2 régions pour le PDCI-RDA (associé au RHDP) et 2 communes et 1 région pour le FPI.

(3) Félix Houphouët-Boigny : « Certes, nous ne sommes pas un pays socialiste, mais notre ambition est de réaliser (…) un social plus hardi. »

Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@agriquepartage.org

Réagir à l'article

Publiés récemment

Démographie : huit bombes d’Hiroshima larguées sur l’Union européenne en 2023

Démographie : huit bombes d’Hiroshima larguées sur l’Union européenne en 2023


JO de Paris 2024- Football après la 1ère journée : Fortunes diverses pour les équipes africaines

JO de Paris 2024- Football après la 1ère journée : Fortunes diverses pour les équipes africaines


JO Paris 24-Handball : Une défaite d’entrée pour l’Angola face aux Pays-Bas

JO Paris 24-Handball : Une défaite d’entrée pour l’Angola face aux Pays-Bas


École de la deuxième chance : 169 diplômés de l’école des talents de Kaydan intègrent le groupe

École de la deuxième chance : 169 diplômés de l’école des talents de Kaydan intègrent le groupe


Lu pour vous by CoolBee Ouattara, “ABOBO MARLEY” de Yaya Diomandé ou quand l’Europe n’est plus l’eldorado tant revé jadis

Lu pour vous by CoolBee Ouattara, “ABOBO MARLEY” de Yaya Diomandé ou quand l’Europe n’est plus l’eldorado tant revé jadis



À lire aussi