La vulnérabilité des câbles sous-marins est une menace pour l’Afrique
Les satellites ne représentent qu’1% des échanges de données pour deux raisons : coût élevé et rapidité moindre des connexions. La quasi-totalité du trafic Internet, quelles que soient les parties du monde, passe par des câbles de fibre optique sous-marins : 99 % du trafic mondial total sur Internet transite en effet par plus de 420 lignes sous-marines. L’un de ces câbles, long de 17 000 km, part du Portugal pour relier Le Cap en Afrique du Sud.
Ces câbles sous-marins sont sous étroite surveillance. Pourtant, le jeudi 14 mars 2024, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Bénin, le Burkina Faso et le Liberia ont subi d’importantes coupures d’Internet en raison de câbles sous-marin défectueux. La Côte d’Ivoire fait partie des pays les plus touchés, la panne ayant affecté les deux plus grands opérateurs, Orange et MTN. Cet incident, qui est purement technique, met en évidence la vulnérabilité des lignes sous-marines, ce qui constitue pour l’Afrique une réelle menace.
Un enjeu économique et social, politique et géopolitique
La cybersécurité est devenue une priorité pour l‘Afrique. Il est tout aussi vital de sécuriser les infrastructures physiques comme les câbles sous-marins par lesquels passent des milliards de dollars d’échanges d’informations et de transactions financières, notamment le Swift (Society for the Worldwide Interbank Financial), qui est principal système d’échanges de la finance mondiale. L’enjeu est tel que des investissements considérables seront de plus en plus nécessaires pour assurer la sécurité et la résilience des câbles sous-marins qui permettent la transmission des données à la vitesse de la lumière. Le contrôle de ces « autoroutes de l’information du fond des mers » est l’objet d’une guerre hybride que se livrent les grandes puissances pour contrôler les flux de données. Cette guerre hybride verra se multiplier les attaques intentionnelles.
Dès 2014, certains navires suivaient la route des câbles sous-marins. Simple espionnage ou préparation d’actes de sabotage ? Difficile à dire pour l’instant. Mais depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie et l’émergence d’un nouvel ordre mondial particulièrement instable, aucune hypothèse n’est à exclure en matière de menaces. Pour l’instant, la rupture des câbles sous-marins, plus d’une centaine par an, est provoquée par des bateaux de pêche traînant les ancres. Les spécialistes notent que les câbles sont renforcés à proximité des rivages, ce qui les protège des accidents, mais, que rien n’est fait pour les renforcer en mer, alors qu’ils ont le diamètre d’un simple tuyau d’arrosage (Sources : « Les câbles sous-marins, cibles de toutes les convoitises », France 24, 10 juin 2021).
Les attaques contre les câbles sont réalisées par des États lors des tensions internationales (les exemples sont nombreux), mais elles peuvent être le fait d’acteurs non-étatiques. Ses câbles ayant été coupés et volés par des pêcheurs, afin d’en récupérer les matériaux composites pour les vendre, un pays du Sud-Est asiatique a perdu 90 % de sa connectivité avec le reste du monde pendant trois semaines. Coupures accidentelles, attaques intentionnelles par des acteurs étatiques, ou non-étatiques, les ruptures des câbles sous-marins sont, le plus souvent, ignorées par le grand public.
Cyberguerre sous les mers
Les stratégies de conquête sous-marine se multiplient, ce qui aggrave la menace sur la sécurité et la résilience des câbles sous-marins, alors que le volume et l’importance stratégique circulant sur les câbles ne cessent de croître avec la révolution digitale. Paradoxe amusant : une société chinoise a nommé son câble qui relie la Chine à Marseille « Peace », pendant que le gouvernement chinois en faisait un modèle d’« intégration civilo-militaire », mélangeant le scénario des échanges commerciaux avec un scénario de conflit (Sources : « Cyberguerre sous les mers », Géopolitis, 5 mars 2017).
Dans cette cyberguerre sous les mers, les États sont menacés par la puissance des GAFAM qui ont les capacités financières et techniques de faire construire leurs propres câbles. Google, dont le monopole sur le marché de la recherche en ligne est constamment dénoncé (90 % des parts de marché), est propriétaire du câble qui relie la France aux États-Unis. Mais, quels que soient les systèmes utilisés par les câblo-opérateurs, ces systèmes, pour des raisons de coût lorsqu’il s’agit de les protéger, ont une sécurité médiocre, ce qui expose les câbles à des coupures accidentelles ou à des attaques intentionnelles. La fragilité des câbles sous-marins, face aux menaces physiques dans un contexte de conflictualité entre les États et de menace terroriste, engendre des risques de plus en plus grands de cybersécurité. Les États se sont engagés dans des stratégies de sécurisation de ces infrastructures, mais les coûts de mise en œuvre sont prohibitifs.
La Côte d’Ivoire déploie une cellule de crise pour rétablir Internet
Après la panne majeure qui les a touchés, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale ont été privés d’Internet. En Côte d’Ivoire, selon Netblocks, l’organisation de surveillance d’internet dans le monde, seuls 3% des internautes du pays avaient une connexion dans la nuit du jeudi 14 mars à vendredi. Le gouvernement ivoirien, 24 heures après le début de la panne, a annoncé avoir mis en place une cellule de crise pour rétablir internet. Selon ministère ivoirien de la Transition numérique, la mise en place de cette cellule de crise, adossée à un « comité interministériel », vise à « suivre l’évolution de la situation et de s’assurer du rétablissement du service dans les meilleurs délais », après les « fortes perturbations du service internet sur toute l’étendue du territoire national ». La panne s’explique à la fois par des « coupures inhabituelles de câbles qui sont intervenues à la fois au niveau local en raison de travaux de voirie » à Abidjan et « au niveau international sur plusieurs câbles sous-marins ».
Communiquer, effectuer des transactions financières, transmettre des informations en toute sécurité, l’Afrique, pour consolider son développement, dépend de la sécurité et de la résilience des câbles sous-marins. Le continent ne peut pas faire l’économie de la mise en place des systèmes de maintenance efficaces, afin de garantir le fonctionnement de l’infrastructure et faire face à tout incident causé par des phénomènes naturels, des ruptures accidentelles ou des attaques. Si l’enjeu politique et économique des câbles sous-marins figure désormais au cœur des agendas diplomatiques et stratégiques africains, la question du financement des initiatives de sécurisation de l’infrastructure mérite d’être posée.
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org