Yopougon n’est pas une commune comme les autres. Elle incarne d’abord, dans les années 1960, avec sa zone industrielle, la volonté des pouvoirs publics, de rééquilibrer, à Abidjan, les activités économiques concentrées au Sud et au Plateau. Il s’agit aussi d’offrir des logements aux classes moyennes alors naissantes et à une population qui ne cesse d’augmenter. Pari réussi. Très vite, Yopougon se développe au point de devenir une véritable entité autonome capable, par ses activités industrielles et de services, de développer un marché de l’emploi et, par ses productions (agroalimentaire, habillement, matériaux de construction, etc.), de fournir un marché local et régional.
Dans l’étape du développement économique d’Abidjan et de la Côte d’Ivoire, les activités de Yopougon sont dévolues au marché local et régional et non pas à l’importation et l’exportation maritimes. Le formidable développement de la commune n’est pas sans conséquence : alors que la planification urbaine prévoyait, dans l’esprit des planificateurs, un développement périphérique très encadré de type « ville nouvelle », l’urbanisation incontrôlée et anarchique, sur fond de pauvreté, se traduit par la multiplication des quartiers populaires et précaires : « Yao Séhi », « Sicobois », « Sicogi », « Mon mari m’a laissé », « Doukouré », « Wassakara ».
Avec ses 1 550 000 habitants, Yopougon reste encore très pauvre : les services publics sont insuffisants, les infrastructures inadaptées et, dans certains quartiers, les populations n’ont pas accès à l’eau courante. Autre caractéristique de Yopougon, sa forte identité ivoirienne : la proportion de ressortissants étrangers reste faible (8,8 %, alors que la moyenne abidjanaise est de 22,4 % avec un maximum de 39,5 % à Treichville. Cette identité ivoirienne, si elle contribue à renforcer la solidarité entre les Yopougonais, n’a pas manqué d’être instrumentalisée à certaines périodes d’Histoire récente de la Côte d’Ivoire.
L’élection de Yopougon, un enjeu politique national ?
La commune de Yopougon a toujours été considérée comme un bastion des partisans de l’ancien Président Laurent Gbagbo. L’opposition boycottant les scrutins, Yopougon passe, en 2013, aux mains du RHDP, le parti présidentiel. Gilbert Koné Kafana, très proche collaborateur d’Alassane Ouattara, est élu maire contre Bertin Yao Yao, le maire intérimaire sortant. Kafana, réélu maire en 2018, perdra son siège de député lors des élections législatives de 2021 contre la liste menée par Michel Gbagbo, allié au PDCI. Il s’agit du premier scrutin municipal à Yopougon que les pro-Gbagbo n’ont pas boycotté depuis la chute de Laurent Gbagbo en 2011.
Devenu ministre d’Etat, président du Directoire du parti présidentiel, Kafana demande qu’Adama Bictogo soit investi par le RHDP pour le remplacer à la mairie de Yopougon en 2023. Figure charismatique, très populaire, Adama Bictogo, président de l’Assemblée nationale et député d’Agboville, est envoyé en mission pour conserver Yopougon. Le scrutin pourrait s’annoncer très politique avec, pour les pro-Gbagbo, un parfum de revanche sur 2010. Laurent Gbagbo, dans l’un de ses meetings, avait déclaré : « Entre Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, vous choisissez qui ? ».
Elu député de la circonscription de Yopougon en 2021, il affirme être « sur son territoire ». Mais, Yopougon votera-t-elle pour Michel, parce qu’il est le fils de Laurent ? Votera-t-elle pour le candidat du PDCI, Augustin Dia Houphouët, un enfant de Yopougon, qui s’est adressé en nouchi (argot ivoirien) à ses sympathisants et qui porte des “lêkê”, – des méduses -, ces chaussures en plastique emblématiques des habitants de villes populaires de Côte d’Ivoire. L’élection de Yopougon prend ainsi la forme d’un test grandeur nature entre les trois grands partis politiques ivoiriens, – RHDP, PPA-CI (le nouveau parti de Laurent Gbagbo), PDCI – qui veulent ainsi mesurer leurs forces avant 2025.
En choisissant Adama Bictogo, les habitants de Yopougon ont choisi de se tenir loin de toute revanche politique sur 2010. La victoire confortable de Bictogo, dans ce bastion historique de l’ancien Chef de l’Etat Laurent Gbagbo, vient évidemment conforter le camp présidentiel. Mais, il s’agit d’une élection locale dont les enjeux concernent la vie de la population locale. Les habitants de Yopougon ont compris que Bictogo était avant tout porteur d’un projet de transformation et de développement de la commune, et d’un message de rassemblement. Fin politique, Adama Bictogo sait que l’enrichissement national ivoirien, une réalité palpable, n’atteint pas comme il le faudrait les populations de Yopougon.
Un enrichissement national qui n’atteint pas les populations de Yopougon
Aujourd’hui, en Afrique et plus particulièrement en Afrique francophone, ce sont les populations qui frappent à la porte de l’Histoire. Les putschistes militaires sont accueillis comme des libérateurs par des populations et des jeunes générations qui, sous des gouvernements civils, n’ont pas vu arriver jusqu’à eux l’enrichissement national et les aides internationales. Le rejet des élites politiques, le plus souvent issues de la période postcoloniale, s’est traduit par une succession de coups d’Etat militaires et une détestation de l’Occident.
Alassane Ouattara sait que le résultat de l’action politique se mesure immédiatement à l’échelle de la commune, là où se concentre le lieu de vie des populations. L’investissement public dans les infrastructures économiques n’a jamais été aussi massif : à Yopougon, les populations souffrent du manque d’infrastructures, les routes sont mauvaises. L’Etat investit dans l’éducation : à Yopougon, dans certains établissements, les enfants étudient à même le sol. L’Etat investit dans la santé : à Yopougon, le manque de dispensaires est criant ; le CHU, fermé en 2019 pour rénovation, n’a toujours pas rouvert. Des quartiers n’ont pas accès à l’eau, à l’électricité. Il n’existe aucune politique d’aménagement urbain afin d’améliorer le cadre de vie des habitants et répondre à la crise climatique.
La liste est longue des défis à relever : manque d’eau courante, accès aux soins difficile, routes en mauvais état, emploi, performances économique, sociale et environnementale, etc. Homme de terrain, Adama Bictogo le sait. Saura-t-il ne pas être un maire de bureau ? Saura-t-il s’entourer d’un cabinet performant et d’une équipe municipale efficace ? Les populations se souviennent que la commune a payé un lourd tribut à la crise postélectorale de 2010 et elles n’ont pas voulu donner à Bictogo une victoire politicienne. Elles lui ont donné un mandat pour transformer la commune. A lui d’incarner véritablement le changement (1). La mère des élections, l’élection présidentielle de 2025, se prépare dès aujourd’hui à travers l’exercice du pouvoir localement.
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(1) Koumassi, l’une des 12 communes du district d’Abidjan, s’est totalement transformée au cours des dernières années sous l’action des autorités municipales : sécurité, voirie, dématérialisation des activités, meilleure organisation des commerces, amélioration de la circulation, assainissement, etc. En 2021, Koumassi a remporté le Prix de la ville la plus propre du pays.
