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    Chronique du lundi – Abidjan, la capitale économique de la côte d’ivoire au défi du « désordre urbain » et des realites sociales

    Chronique du lundi – Abidjan, la capitale économique de la côte d’ivoire au défi du « désordre urbain » et des realites sociales
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 6 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

     « Avec l’urbanisation rapide et incontrôlée, les villes de Côte d’Ivoire produisent de plus en plus des paysages marqués par le désordre urbain. Les paysages des communes d’Abidjan en sont la parfaite illustration », tel est le constat que font les auteurs d’une contribution publiée sur la plateforme de discussion « Regardsuds » (1). 

    Dans une Côte d’Ivoire devenue indépendante, Félix Houphouët-Boigny, esprit visionnaire qui se projette toujours dans le futur, sait que les villes, alors que son pays est essentiellement rural,  doivent se développer de façon harmonieuse. De 1960 à 1974, il met  en place un plan d’urbanisation, fondé sur deux principes : la planification et la gestion de l’aménagement urbain. Mais, Abidjan, comme toutes les villes africaines, doit absorber le formidable exode rural qui se traduit par un afflux massif de populations qui s’installent sans respecter le schéma directeur de l’aménagement urbain. 

    Des zones d’habitations précaires et des bidonvilles vont se créer. Ce désordre urbain, au fil des années, va perdurer et s’aggraver pour deux raisons : les présidents qui ont succédé à Houphouët-Boigny ne se sont pas attelés à de la mise à jour du plan d’urbanisation d’Abidjan ; de 1999 à 2011, l’instabilité et les graves crises politico-militaires qui se succédé ont interdit de travailler sérieusement sur la question de la ville. Ce n’est que récemment, dans le droit fil de ce voulait faire Félix Houphouët-Boigny, qu’Alassane Ouattara a demandé à son gouvernement de travailler sur le plan d’aménagement d’Abidjan, le développement de la capitale économique du pays étant freiné par le désordre urbain et l’occupation illégal de l’espace public.

    Le ministre gouverneur du district autonome d’Abidjan, Ibrahima Cissé Bacongo, est chargé d’une mission devenue l’une des priorités du gouvernement : réinventer Abidjan. Hautement symbolique, cette mission a pour but de « lutter contre le désordre urbain » et « d’assainir le cadre de vie des Abidjanais ». Il ne s’agit plus simplement de tracer des voies de circulation, libérer l’espace public et construire. Des urgences nouvelles ont surgi : un cadre de vie décent dans toutes les communes ; la mobilité ; un habitat et des bâtiments écoresponsables ; la lutte contre le réchauffement climatique et les inondations ; la sécurisation du foncier et la sécurité. Abidjan doit désormais se penser comme ville du futur en devenant une ville écoresponsable et éco-durable. 

    Le Premier ministre ivoirien, Robert Beugré Mambé, définit ainsi le projet qui vise à lutter contre le désordre urbain : « [Nos] ambitions sont grandes, pour notre capitale économique, vitrine d’entrée dans notre beau pays. Le résultat nous rendra tous fiers d’appartenir à ce district. » Une brigade spéciale composée de 295 agents issus des polices municipales des 13 communes que compte Abidjan est chargée « de faire respecter dans le district autonome d’Abidjan, l’ordre et la discipline ». Cette brigade spéciale, dont le lancement s’est fait officiellement le 22 juillet 2024, est chargée de libérer les grandes artères et l’espace public occupé illégalement en menant des opérations de « déguerpissement » dans plusieurs quartiers ; elle est chargée aussi de veiller au strict respect des mesures prises par les autorités de la capitale : interdiction de la vente ambulante, de la mendicité et des fameux pousse-pousse, communément appelés « wotros », ces charrettes qui servent au transport des marchandises.

    Le syndrome du village Potemkine et la question sociale

    Dans plusieurs de mes Chroniques sur l’aménagement urbain, j’avais fait référence au fameux « village Potemkine », du nom du ministre russe Grigori Potemkine, qui aurait fait construire de beaux et faux « villages-décors », afin de masquer la pauvreté des lieux lors de la visite de l’impératrice Catherine II, en Crimée, en 1787. Potemkine s’est défendu en récusant cette accusation et en affirmant qu’il n’y avait pas de misère à cacher en Nouvelle-Russie. Il est évident que les opérations de « déguerpissements » ne sont pas destinées à cacher une précarité économique et sociale qui existe véritablement dans certaines communes du district d’Abidjan. 

    Comme toutes les métropoles de l’Afrique subsaharienne, Abidjan subit une croissance urbaine incontrôlée marquée par une forte démographie : trois millions d’habitants en 1998, 4,5 millions en 2014, près de 6,5 millions aujourd’hui. Selon les auteurs de la contribution « Désordre urbain et cadre de vie à Abidjan : Cas du quartier Sideci1 à Yopougon (Côte D’ivoire) » (1), cette croissance démographique rapide et incontrôlée «  engendre un durcissement des conditions d’accès d’une part à la propriété d’un logement et d’autre part à l’accès d’un logement locatif (…) pour ceux qui ont des faibles revenus. Par ailleurs la croissance démographique (…) n’a pas été accompagnée de la création suffisante d’emplois modernes », ce qui a provoqué « le développement du secteur informel. 

    Conclusion des auteurs : « À Abidjan, les espaces surtout le domaine et les servitudes publics sont pris d’assaut par les petits commerces et métiers en prolifération depuis la crise économique des années 1980. Cette situation pose problème non seulement au niveau de la gestion de l’espace et de l’aménagement urbain mais engendre des conséquences sur le cadre de vie des riverains. » On comprend que les opérations de déguerpissements frappent les quartiers les plus précaires et les populations les plus pauvres. Une opération de déguerpissements dans le quartier Ebrié d’Adjamé, une commune d’Abidjan, a donné lieu à des affrontements entre des jeunes et les autorités locales, le dimanche 21 juillet 2024. 

    Le porte-parole de la chefferie Ebrié, N’Koumo Jacques, dénonce le manque de concertation : « Si vous voulez nettoyer une emprise, vous devez quand même vous asseoir avec des gens et coordonner ça tranquillement pour qu’il n’y ait pas de débordements. On ne peut pas venir dans un village avec des machines pour venir détruire des bâtisses. Nous ne sommes pas d’accord. » En même temps, les populations concernées considèrent que les indemnisations qui leur sont proposées sont insuffisantes et qu’elles n’ont pas toujours été versées. C’est donc la question sociale que doit résoudre le gouvernement ivoirien, lorsqu’il conduit des opérations de déguerpissement.

    Pour de nombreux observateurs, Koumassi, la commune d’Abidjan dont Ibrahima Cissé Bacongo est le maire, peut servir d’exemple en matière d’aménagement urbain. Cette commune populaire a changé de visage avec « des rues plus salubres qu’auparavant, des boulevards mieux entretenus, des commerçants autrefois anarchistes désormais disciplinés, une circulation fluide en lieu et place des embouteillages (…) Et pourtant, ici, dans un passé récent, le quotidien des habitants de la commune rimait avec désordre, insécurité, insalubrité, inondations et incivisme de tout genre. 

    De commune tristement célèbre, Koumassi est donc passé entre 2018 et 2022, soit en quatre années, à une cité où il fait maintenant bon vivre, sous l’ère Cissé Bacongo. » (2) Cependant, « à Koumassi (…) le développement n’a pas fait que des heureux. Par exemple, environ 5.000 personnes vivaient sur ce site des quartiers Houphouët Boigny 1 et 2. Elles ont été délogées par les autorités municipales sans mesure d’accompagnement. Même si la mairie soutient avoir mené l’opération dans les règles de l’art » (3).

    Les opérations de déguerpissements visent à répondre à la question de la ville africaine du futur. Mais elles posent aussi la question sociale, une question toujours posée et jamais résolue.

    __________________________

    ⦁ Plateforme de discussion REGARDSUDS. Contribution postée le 5 mars 2022 : « Désordre urbain et cadre de vie à Abidjan : Cas du quartier Sideci1 à Yopougon (Côte D’ivoire) ». Auteurs : Abou MOURITALA, Yabi IBOURAÏMA, Evariste O. B. ADEOTI, Euloge OGOUWALE.

    ⦁ « Le 360 Afrique », article d’Olive Adjakotan, posté le 10/04/2022.

    ⦁ Idem

    Christian GAMBOTTI –  Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org

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