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    Chronique – du bon usage de la CAN 2024 : La CAN, un outil de puissance polymorphe

    Chronique – du bon usage de la CAN 2024 : La CAN, un outil de puissance polymorphe
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 6 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    Depuis le 13 janvier 2024, la Côte d’Ivoire accueille la 34è édition de la Coupe d’Afrique des Nations,  la deuxième de son histoire. Evénement sportif majeur, puisqu’il s’agit de la plus grande compétition sportive panafricaine, la CAN est aussi l’occasion pour la Côte d’Ivoire « d’asseoir [son] leadership en Afrique de l’Ouest, et même sur tout le continent », selon le porte-parole du gouvernement, Amadou Coulibaly. « Parmi les supporteurs, il y a aussi des hommes d’affaires, des entrepreneurs. Cette compétition est une vitrine aussi politique qu’économique, lors de laquelle chacun pourra constater que le climat des affaires est bon », explique Amadou Coulibaly.

    Chercheur à l’IRIS (Institut des Relations Internationales et Stratégiques), Lukas Aubin, spécialiste de la géopolitique du sport analyse ainsi le rôle du sport : « Le sport est un outil de puissance polymorphe, qui peut notamment être utilisé pour attirer des investisseurs ». Il s’agit bien, pour la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara, d’affirmer sa puissance à travers la CAN. 

    Concept-clé des relations internationales, la puissance est associée à l’Etat. Historiquement, la puissance est associée à la force militaire qui permet la conquête de territoires nouveaux. Plus récemment, l’économie est la forme nouvelle de la puissance. S’ajoute aujourd’hui le sport comme outil de puissance (1). L’organisation d’événements sportifs de prestige (Coupe du monde de football, Jeux olympiques) est une manière pour un pays de s’affirmer dans les dynamiques nouvelles de la mondialisation et de revendiquer sa puissance dans un contexte régional, continental ou international.

    Ces trois dimensions, – régionale, continentale et internationale -, se retrouvent à travers la CAN 2024.  La Côte d’Ivoire veut faire de la CAN 2024 la vitrine de son développement. Le pays entend ainsi affirmer son « leadership en Afrique de l’Ouest, (…) sur tout le continent » et sur la scène internationale. Pour Amadou Coulibaly, la CAN est « l’occasion de montrer au monde ce qu’est devenu » la Côte d’Ivoire ». Le président Alassane Ouattara n’a jamais caché les ambitions de son pays : il veut faire de cette 34e édition « la meilleure de l’histoire ».

    Si la victoire des « Eléphants » contribuerait à accroître la popularité du gouvernement, l’organisation de la CAN, au-delà du sport, est bien une priorité politique, à la fois de politique intérieure (renforcement de la cohésion sociale et de l’unité nationale) et de politique extérieure (vitrine diplomatique et levier d’influence). C’est dans l’urgence, pour répondre à cette double priorité, qu’Alassane Ouattara a nommé, le 16 octobre 2023, un nouveau premier ministre, Robert Beugré Mambé, en lui confiant la charge de ministre des Sports. 

    Pression énorme à la mesure des enjeux politiques et économiques sur Robert Beugré Mambé, qui s’est vu confier la délicate mission de finir en seulement trois mois les grands chantiers de la CAN. Déjà, en 2016, Robert Beugré Mambé avait été appelé en urgence, pour organiser, l’année suivante, les Jeux de la francophonie, alors que les travaux avaient pris du retard. Comme la CAN, ces Jeux de la Francophonie représentaient un formidable enjeu politique. A moins de deux ans de la prochaine élection présidentielle, on comprend l’importance que représente pour le parti au pouvoir l’organisation de la CAN.

    Les enjeux et les risques  économiques

    Alassane Ouattara, comme Félix Houphouët-Boigny, le père de la nation et de l’indépendance ivoirienne, dont il fut le premier ministre, est convaincu que le développement de la Côte d’Ivoire passe d’abord par des investissements publics importants dans les grands projets. L’Etat a investi plus de 500 milliards de francs CFA (760 millions d’euros) dans les domaines suivants : construction de 4 stades « ultramodernes » à Ebimpé en banlieue d’Abidjan, San Pedro au sud-ouest, Yamoussoukro au centre et Korhogo au nord ; deux stades rénovés à Abidjan (sud) et Bouaké (centre) ; 24 terrains d’entraînement ont été aménagés. 

    Les axes routiers reliant les villes hôtes ont été réhabilités et modernisés afin de fluidifier les déplacements des équipes et des supporters : autoroute Abidjan-Yamoussoukro, voie reliant Abidjan à San Pedro. Le secteur du tourisme attend des retombées importantes en lien avec le programme « Sublime Côte d’Ivoire », lancé en 2019. Ce programme, destiné à faire de la Côte d’Ivoire, le leader africain du tourisme d’affaires, est  cofinancé par l’Etat (1 500 milliards de francs CFA) et le secteur privé (1 700 milliards de francs CFA).  

    Destinée au 1,5 million de visiteurs attendus  à l’occasion de la CAN, une application mobile, « Pass touristique », a été développée pour répertorier les sites à visiter et faciliter les réservations. Il est évident que tous les secteurs de l’économie pourront bénéficier des retombées du mois de compétition de la CAN. La CAN est une formidable opportunité pour consolider le développement économique de la Côte d’Ivoire.

    Mais, Lukas Aubin, chercheur à l’IRIS, tient à rappeler qu’« en plus d’être très difficile à mesurer, la capitalisation économique sur un événement n’est pas systématique ». De nombreux exemples montrent qu’il est difficile de pérenniser les emplois créés par un événement de prestige et d’amortir les lourds investissements réalisés. Quel est le risque ? La construction de ce qu’on appelle des « éléphants blancs » (2), c’est-à-dire des infrastructures surdimensionnées, éphémères, rapidement obsolescentes, qui desservent le pouvoir politique et les populations. 

    La rentabilité des stades de la CAN, qui ne sont pas démontables, est-elle assurée après la CAN ? S’ils tombent en désuétude et deviennent des épaves urbaines, ce serait, pour le gouvernement, un échec politique et un motif de colère sociale dans un pays où, selon la Banque Mondiale, en 2019, 39,5 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté. Les « éléphants blancs », une fois la compétition terminée, restent à la charge de l’Etat. L’effervescence spéculative autour des « Eléphants blancs » de la CAN représente un risque pour le développement des villes, l’aménagement urbain et un échec politique. 

    Comment saisir les opportunités économiques offertes par l’organisation de la CAN, afin de transformer les investissements en vecteurs financiers capables de dynamiser le développement urbain et améliorer les conditions de vie des populations ? Ladji Karamoko Ouattara apporte une réponse optimiste : « Les stades ne sont plus l’apanage du sport. Il y a aujourd’hui un fort dynamisme culturel dans le pays. Des concerts, des spectacles ainsi que des meetings politiques ou religieux pourront être organisés ».

    ____________________________

    Christian Gambotti : Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org

    (1)   Le sport, outil de puissance. Lire : Pascal Boniface, « Le sport : une fonction géopolitique », La Revue Défense nationale, n°800, mai 2017, pp.134-138. Carole Gomez, « Jeux olympiques : le sport comme vecteur de puissance géopolitique », Diplomatie magazine, n°114, février 2022. Pim Verschuuren, « Les multiples visages du « sport power », La Revue internationale et stratégique, N°89, Paris, IRIS éditions/Armand Colin, 2013, pp. 131-136.

    (2)   Ne pas confondre les « Eléphants », l’équipe de football de la Côte d’Ivoire et ce que l’on nomme les « éléphants blancs ». Un « éléphant blanc » est une réalisation d’envergure prestigieuse qui s’avère en définitive plus coûteuse que bénéfique et dont l’exploitation ou l’entretien devient alors un fardeau financier. Lire les travaux de l’architecte Mathieu Mercuriali qui annonce la fin de l’architecture de la démesure.

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