Comment est constitué le quotidien des dockers ? Afrikipresse a fait une immersion dans leur univers au Port autonome d’Abidjan pour en savoir davantage sur le métier et sur la conditions des travailleurs.
Résident à Port-Bouët (route de Grand-Bassam), Konaté Adama (39 ans) mène une vie professionnelle pleine d’incertitudes et d’angoisses. Une situation qu’il vit presqu’au quotidien, comme l’ensemble des 8249 autres dockers de Côte d’Ivoire, dont 1250 à San-Pedro.
Quotidien jonché d’incertitudes
Ce mercredi 22 février 2017, comme la plupart de ses collègues, il s’est réveillé très tôt le matin , dans l’espoir de se retrouver parmi les ‘’chanceux’’, à la tête du long rang dressé depuis le levée du jour par les dockers, devant le hall d’embauche du Port autonome d’Abidjan (PAA), pour être parmi les sélectionnés jour. « C’est une affaire de loterie», ironisent Konaté Adama et des dockers dans leur jargon.
Situé face à la Direction générale du Port, le lieu de recrutement qui ne désemplit guère tous les matins. Sur place, la désillusion est totale pour Adama : «Je suis arrivé avant 7 heures du matin, mais le chef d’embauche vient de me signifier que je suis quand même venu en retard. Il dit qu’il y avait un nombre précis de personnes à recruter aujourd’hui, ce qui a été fait. Et c’est comme cela tous les jours, depuis 13 ans que je suis docker. Je suis donc là, à rôder maintenant ici au port, avant de rentrer chez moi, sans travailler».
Sentiments partagés par Kahouré Irié Bi qui vient, d’Abobo ‘’derrière-rail’’. Après s’être difficilement extrait du cafouillage engendré par la bousculade au sein du rang constitué par les dockers, il livre lui aussi, son ras-le-bol : « Moi, je suis docker depuis février 2001, période au cours de laquelle j’ai obtenu officiellement ma carte de docker. Et cela fait à présent plus de 16 ans que je suis dans le milieu. Mais, en réalité, cela n’a rien changé dans ma vie. Comme toujours, j’ai payé mon transport à près de 2400 Francs Cfa ce matin et je suis arrivé ici. Et voilà que je vais retourner bredouille à la maison. C’est vraiment frustrant, puisque c’est à la fois, une perte d’argent, et une perte de temps. Et c’est comme cela pratiquement tous les jours. Il n’y a seulement que la semaine dernière que j’ai pu avoir deux jours de travail. Lorsqu’on arrive, nous ne sommes pas sûrs, à cent pour cent, d’avoir du boulot. Et pourtant, je vis en couple, je suis père de 4 enfants. Nourrir ma famille dans ces conditions relève vraiment d’un travail d’Hercule. Je crois que c’est ce cafouillage là que le gouvernement doit essayer de corriger. Il s’agit de la programmation du docker. Il faut vraiment une organisation professionnelle au niveau du travail de dockers en Côte d’Ivoire».
Pourtant selon Attoh, chef d’équipe à Bolloré, en ce qui concerne son entreprise, «les choses sont faites dans les normes pour que les dockers soient traités dans de bonnes conditions».
Face aux récriminations liées aux critères de sélection, Abdoulaye, Kahouré, l’agent de recrutement des dockers, en service ce jour, tente de clarifier les choses : « À écouter les plaintes des dockers, cela pourrait prêter à confusion et donner l’impression que nous faisons du favoritisme, ce qui n’est pas le cas. Il faut que les choses soient bien claires. D’abord, nous sélectionnons la main d’œuvre en fonction du volume du travail qui est dans le navire. C’est ce qu’on appelle chez nous, ‘’le recrutement par rapport au chantier’’. Et lorsque les dockers sont sélectionnés, nous leur indiquons le navire sur lequel ils sont affectés pour le travail. Mais pour que vous soyez sélectionnés, il vous faut forcément avoir une carte docker. Si vous n’avez pas cette carte, il n’est pas possible pour vous de travailler. Et puis comme les dockers habitent souvent très loin de Treichville, ils doivent venir très tôt le matin pour se faire enregistrer pour le travail. Ici, il y a ce qu’on appelle la régulation. La régulation, s’est-à-dire que dans la sélection des dockers, nous prenons les premiers qui arrivent très tôt et s’il y a certains qui n’ont pas eu à travailler, nous enregistrons leur carte et ils sont prioritaires le jour suivant. Mais on ne peut pas être à la maison et se faire enregistrer. Il faut forcément la présence physique du docker….car, ceux qui se plaignent sont généralement ceux qui ne viennent pas souvent ».
Des doléances certes, mais le travail d’abord
Nous pénétrons ensuite dans l’enceinte même du PAA, à partir de l’autre extrémité de la grande clôture. Après avoir franchi le grand portail d’entrée du PC1, pour le visiteur, le bâtiment abritant les toilettes des lieux, presque masqué par une ‘’montagne’’ d’immondices captive très vite l’attention. Lorsque nous jetons un coup d’œil à l’intérieur malgré l’odeur pas très accueillante, le délabrement des lieux saute aux yeux.
«Vous constatez avec nous, comment nos toilettes sont délabrées? Plus grave, vous voyez, le robinet ? C’est le seul au sein des toilettes que nous utilisons, même pour boire de l’eau. Ça veut dire que nous sommes exposés à toutes sortes de maladies ici. Surtout que nous n’avons pas de produits pour nous laver les mains, encore moins de produits adéquats pour l’entretien des lieux. Comme quoi, nous sommes des laissés pour compte, nous qui nous battons nuit et jour pour faire entrer des ressources dans les caisses de l’État », déplore un docker sur place.
À quelques pas de là, nous avançons sur le quai céréalier, précisément dans le magasin 3 Bis où se fait sous nos yeux, la mise en pile du sucre de la société SITD. Adama Sow, le chef d’équipe, à la tête de huit ouvriers explique le travail : «Aujourd’hui, nous avons reçu la marchandise venant du bateau que nous devons stocker à l’aide des fourchettes. Ça va en hauteur si on veut que les plies soient plus assises. Et au fur et à mesure, on les entrepose dans le magasin. Ici, on les dépose en big bag (gros sacs). Mon équipe et moi, devions être là avant 7 heures du matin car, au plus tard à 7 heures 30, le travail commence ».
Pour Ouattara Avdheraman, le chef du magasin où se déroule le stockage, il faut une connaissance en gestion de stock en magasin, mais bien avant, précise-t-il, «il faut avoir une nette connaissance de la cargaison du bateau, en comparaison à la déclaration faite auparavant par son équipage ».
Notre visite prend fin à bord du navire baptisé ‘’ HC JAVA ROSA’’, amarré au quai 5. Sur ce grand bateau de plus de 150 tonnes, les ouvriers s’attellent pour le compte de la société SITD, au déchargement de la cargaison essentiellement composée de sucre qui sera entreposé dans le magasin 3 bis, antérieurement visité. Importé de Chine, le sucre à décharger est destiné à la consommation en Côte d’Ivoire….
Claude Dassé